Le gonzier n’est pas fier.
— Applique-toi, lui conseille froidement Stephen Black. Sinon, en cas de pépin, ça risque de saigner.
La femme pique une vraie crise de nerfs. Black lui balance une formidable torgnole d’un revers de main.
— Arrête, connasse ! enjoint l’Américain de son ton glacial.
— Je peux pas, c’est plus fort que moi, je vous jure ! pleurniche la gonzesse.
Black la guigne du coin de l’œil.
— Branle-toi, ça te changera les idées.
Elle en est médusée, la pauvrette, tellement sans histoire jusqu’alors.
L’automobiliste vient de ralentir, il prend large et entame le franchissement de la séparation médiane. Le danger est constitué par la circulation inverse. Les plantes destinées à couper l’éblouissement des phares, la nuit, ne permettent pas de voir arriver les bagnoles.
— Tu t’engages mollo, qu’ils aient le temps de voir ton capot et de s’écarter ! conseille Black avec un calme forcené.
Le type obéit. Il porte une veste de daim beige, en provenance d’une grande maison. Les manches en sont retroussées et dégagent celles d’une chemise de lin bleu. Une montre Cartier scintille à son poignet. Sa nuque brune sent la lotion riche. Il a une bonne coupe de cheveux. Black se dit tout ça pendant que le gars opère le changement de voie. Gros bol ! Tout se passe bien. Deux ou trois automobilistes sidérés par une telle audace vident leurs batteries à klaxonner pour exprimer leur farouche réprobation. Les voici enfin dans l’autre sens.
— Impec, approuve l’Américain, t’as une chance de voir demain.
Puis à la femme, qui continue de chougner comme une perdue :
— Je t’ai dit de te branler ; t’attends quoi ? Que je me fâche ?
Il promène le canon de son feu sur ses nichons pendouilleurs.
— Enlève ton slip et fais-toi un doigt de cour, la mère. J’adore ce genre de spectacle.
Mais elle ne se décide toujours pas. Il lui place alors la pointe du pistolet entre les cuisses, l’orifice de l’arme braqué sur la banquette, mais le canon contre le pubis de la malheureuse. Il presse la détente. La femme hurle.
— C’est juste le coup de semonce. Le prochain je te tire en plein dans la chatte.
Puis, au conducteur :
— Si tu veux régler ton rétroviseur pour profiter de la séance, tu peux. Mais fais gaffe à la route tout de même.
Anéantie, la femme relève sa robe imprimée et ôte avec des gestes grotesques un slip qui ne l’est pas moins.
Lorsque le participe passé
est employé sans auxiliaire,
il peut être considéré
comme un véritable adjectif verbal
qui s’accorde en genre et en nombre
avec le nom auquel il se rapporte [9] J’émets les plus grandes réserves sur cette définition que nous proposent MM. Sève et Perrot dans leur dictionnaire orthographique.
.
Quand je rentre à l’hôtel, après ma conversation avec le comte Bellazzezzeta et les joyeusetés qui s’ensuivirent, je trouve Bérurier dans la posture exacte où je l’ai quitté, à savoir entre les ravissantes jambes d’Anita, occupé à la contenter avec la force de pénétration et l’application qu’on pourrait attendre d’une foreuse à pétrole.
Ma venue lui fait tourner la tête. Il me jette :
— On joue le troisième set, mec. Mam’selle est drôlement entichée.
Son formidable cul velu, vergeté, crevassé, raviné, constellé de bleus et de cicatrices nombreuses est une bielle infernale activant son phénoménal piston.
La môme a trouvé une posture ad hoc pour profiter au maximum de l’engin. En fin de course, elle a un râle sec suivi d’un « houiiii » enthousiaste. A croire que chaque « brassée » (Béru dixit) lui permet de capitaliser quelque chose dont elle tirera encore profit par la suite. Peut-être des souvenirs sensoriels, après tout ? Encore que ceux-ci soient les premiers à s’effacer de la mémoire qui a d’autres plus beaux chats à fouetter. Personnellement, mes souvenirs de cul ne sont pas collés à la coque de mon cerveau. Moi, les remémorances concernent des instants où le sentiment jouait du luth. La bitoune, c’est pour l’instant, juste pour l’instant. Le cœur, lui, c’est pour toujours.
J’admire la performance du Gros d’un œil blasé par mes propres prouesses avec la soubrette de La Résidence . Décidément, je donne fortement dans l’ancillaire ces temps-ci. Pour commencer, ma bonniche portugaise, et maintenant la petite femme de chambre (le terme convient au poil) tessinnoise. La loi des séries ! C’est kif les accidents de chemin de fer. Ensuite viendra le temps des duchesses. Je suis tout terrain, pas sectaire du paf pour un liard.
Je laisse ces monsieur-dame se dégorger la glandaille à l’extrême, s’essorer jusqu’à l’os de seiche, total, complet, triple zéro ! Vais-je me jeter sur la litière du Gros puisqu’il copule dans mon lit depuis deux plombes d’horloge ? Ça pue le fauve bien qu’il n’y ait point encore dormi. La bauge innettoyée.
Mains sous la nuque, jambes croisées (l’une battant je ne sais quelle mesure bizarre), je passe en revue les révélations du comte Bellazzezzeta. Drôle de gazier, ce Ron Silvertown. La disparition de sa statuette gothique qui l’a tellement catastrophé représentait quoi pour lui ? Beaucoup plus que la valeur vénale de l’objet, c’est certain. Et pourtant, le bougre de comte est formel : la statuette n’était pas truquée. Il s’y connaît, Bellazzezzeta, il a dû fourguer de quoi garnir dix musées, le vieux flambeur. Un objet d’art de cette nature n’a pas de mystère pour lui.
Alors ? Comment se fait-il que Silvertown ait rameuté des spécialistes de haut niveau pour récupérer son bout de bois ? Franchement, j’arrive pas à cohérer dans cette affure. Tonton, la grosse dondon d’Adélaïde, ils viennent branler quoi ou qui dans ce bigntz ?
Autre question brûlante : pourquoi, lors de sa première visite à l’Américain, la gagneuse de Moktar s’est-elle fait jeter comme une lavasse, et pourquoi a-t-elle eu droit à un entretien d’une heure le lendemain ? Entretien à la suite duquel elle marquait paraît-il une vive satisfaction ? Qu’est-ce qui motivait ce revirement dans le comportement de Silvertown ?
Sans cesser de gamberger, j’attire le biniou à moi, je compose le zéro zéro pour « sortir de l’hôtel » (c’est écrit en français sur la notice du grelot) et, d’un doigt automatique, je tabule le numéro que je veux.
Qui était l’homme aux béquilles et au pansement à la tête, le faux oncle de Silvertown ? Celui qui, presque à coup sûr, s’est emparé de la statuette ? Pourquoi les sbires du Ricain ont-ils affrété un hélico pour se rendre chez l’oncle Tom ? Pourquoi cette période de tranquillité de douze années avant qu’il se mette à chier des hallebardes pour le père Dugadin ? Pourquoi ?… Pourquoi ?… Pourquoi ?…
On décroche à l’autre bout. Une voix pâteuse grommeluche un « Ici Mathias, j’écoute » qui ressemble aux ébats de quinze canards dans la vase d’une mare. Cependant qu’un immense cri de triomphe éperdu me vient de la chambre voisine.
— Je jouiiiiiis !
— Moi aussi, ma biquette, répond paisiblement le Gros, mais c’est pas une raison pour pousser c’t’ gueulante : tu vas réveiller l’hôtel !
— J’écoute ! insiste le Rouquin à l’autre extrémité.
— Moi aussi, lui dis-je. Béru vient de faire reluire une superbe créature et c’était beau comme le contre-si de la Callas à sa grande époque.
— Oh ! c’est vous, monsieur le commissaire !
— A cette heure indue, qui voudrais-tu que ce soit ? Tu as de quoi écrire ?
— Presque.
— C’est-à-dire ?
Читать дальше