Je m’approche au plus près. Je distingue deux malles d’osier empilées l’une sur l’autre et vice versa, à gauche de l’entrée. Messires les Arabes continuent de se raconter le pourquoi du comment du chose. A quoi bon finasser ! Compte sur tes réflexes, Sana et buffalobille-moi ces mecs !
Sans précipitation intempestueuse, je m’insère dans l’encadrement.
Le camarade Tu-Tues est une de fois de plus à l’honneur. Je découvre les deux mecs en train de boire du lait, assis à la table.
— Je croyais qu’on était en plein ramadan, leur dis-je en les couvrant.
Ils bondissent !
— On se calme ! conseillé-je, sinon vous ne pisserez jamais le lait que vous venez d’avaler, les gars !
Instant d’indécision. L’un d’eux se risque à vouloir dégainer. Je le praline avant la fin de son numéro. Il morfle contre le temporal, ce qui a pour résultat de décoller son étiquette droite et de l’estourbir au quatre tiers.
— On lève ses mains ! intimé-je à son pote, sinon c’est Pearl Harbor.
Pour des fois qu’il comprendrait pas le français, je répète en anglais. Sage précaution car, dès lors, il obéit.
Délester les deux hommes de leurs armes, sans être tout fait un jeu d’enfant, ne relève tout de même pas de l’exploit.
Celui qui a dégusté ma bastos dans sa baffle est complètement secoué. On jurerait un demeuré. Il garde sa bouche ouverte, il a le regard fixe et laisse pisser le raisin le long de son cou sans songer à l’étancher.
— Qu’avez-vous fait de mes amis ? je demande à celui qui est intact.
Car je viens de constater que les corbeilles d’osier sont vides.
D’un hochement de menton, il m’indique la pièce voisine.
— O.K. Marche devant !
Il me précède. Il s’agit bien d’une chambre, comme prévu. Et je dois admettre qu’elle est très convenable ; meublée moderne, avec des murs tapissés d’un papier paille de riz dans les tons jaune pâle.
Béru et Pinaud, tristement (et strictement) nus, sont pêle-mêle et réciproquement (me complais-je à répéter). Morts ? Avec le sourire en tout cas ! Des béatitudes indicibles les ont figés dans des expressions paradisiaques. L’homme normal qui prend son pied avec la meilleure amie de sa femme, n’a pas le visage plus radieux.
— Death ? questionné-je.
— No, heroin !
Camés ! La super, l’hyper, l’overdose !
Sans cesser de braquer le type, je me baisse pour palper Pinuchet. Pas glacé, mais bien frais, le Fossile. Si on servait toujours le champagne à sa température du moment, ce serait le rêve.
— S’ils meurent, je te tuerai ! affirmé-je à mon prisonnier. Mets-toi face au mur et appuie des mains contre. Maintenant recule tes pieds. Surtout ne bronche plus parce que je t’allumerais.
Et c’est à ce moment d’accalmie que je remarque la photo punaisée contre la porte d’un placard mural. On ne peut pas parler de poster, néanmoins elle est d’assez belles dimensions.
Cette image est sinistros. Te flanque la gerbe. Ça représente un homme ligoté à une potence en croix de Saint-André. Deux autres types, des militaires, sont occupés à le torturer. Ils lui ont coupé les génitoires et les lui ont enfoncées dans la bouche. Ensuite (ou auparavant) ils lui ont écrasé les dix doigts des mains, lesquelles ne sont plus que deux masses sanguinolentes informes.
La photo a été tirée au moment où l’un des deux soldats enfonce un manche d’outil dans le fondement du supplicié, tandis que son compagnon d’horreur lui découpe la chair de l’abdomen avec un rasoir.
Maintenant, que je te dise, Louise : je reconnais le militaire sodomite. Ne l’ai vu qu’une fois, et il était vachement mort, mais ses traits mutilés sont restés gravés dans ma mémoire : il s’agit du brigadier Edouard Santorches, mort en service place de l’Alma de l’explosion d’une grenade !
Grande réunion à la Maison Pébroque.
Le Vieux est prostré comme un pingouin malade.
— Des ennuis de santé, monsieur le directeur ? m’inquiété-je.
— Du tout, cher Antoine.
Beau fixe ! Cher Antoine, c’est la toute grande exception !
— Des préoccupations professionnelles, alors ?
— Non, mon chou, dès lors que vous avez solutionné cette terrible affaire et que la presse célèbre mes louanges…
Il hésite, puis me saisit au bras, comme il lui arrive de le faire dans les cas délicats.
— San-Antonio, mon cher, il se passe qu’on veut de moi à l’Académie française. Mieux : on m’y espère !
— Tous mes compliments, patron. Le vert vous siéra bien.
— Ils sont une bonne vingtaine à trépigner pour que je fasse acte de candidature, me promettant une élection de maréchal.
— Alors il ne faut pas hésiter.
— Reste une petite formalité, Antoine.
— Laquelle ?
— Il faudrait, enfin il conviendrait, il serait souhaitable que j’eusse écrit un livre. Vous les connaissez ? Ils sont traditionalistes, ces bougres.
— Eh bien, mettez-vous au travail, monsieur le directeur.
Il hoche la tête.
— Certes, évidemment, bien sûr. Mais je suis tellement occupé, et le temps presse. Dites-moi, mon bébé, vous qui avez une plume, ça vous ennuierait de m’apporter votre concours ?
— Volontiers, si j’en suis capable. En faisant quoi, monsieur le directeur ?
— Oh ! simplement écrire le livre ; pour le reste j’en fais mon affaire. Mais quand je dis livre, Antoine, attention : pas vos imbécillités habituelles ! Foin de calembredaines et autres turpitudes ! Il va falloir faire dans le grave, le classique ! No cul, Antoine ! No cul ! Je sais que ça vous sera difficile, mais je l’exige. Je verrais assez une biographie, là on met toujours dans le mille. La vie de Fouché, tenez ! Un Fouché réhabilité aux yeux de l’opinion. Ou alors, plus proche, celle de Pasqua. Ça plairait chez les Quarante. Le titre ? Pasqua ou Charles XII . Ça y est, JE le tiens, vous n’avez plus qu’à l’écrire. Remise du manuscrit à la fin du mois, n’est-ce pas ? On n’est que le 16, San-Antonio, et je ne vous demande pas de me faire Autant en emporte le vent , mon garçon !
L’arrivée du sous-directeur l’interrompt. C’est au tour de Dumanche-Ackouihl, dit Beau-Philippe, de me happer.
Rigolard et mystérieux.
— Deux mots, San-Antonio. D’abord un grand bravo pour avoir mené à bien votre enquête. Ensuite il me faut vous annoncer une nouvelle étonnante, très cher. Figurez-vous que j’ai eu, tout à l’heure, la visite de l’inspecteur Blanc qui vient de quitter l’hôpital. Savez-vous ce qu’il m’a demandé ? La main de la fille !
La main d’Emeraude ! Jérémie ! Eh ben, dis donc, il ne se refroidit pas son grand amour !
— Je suppose que vous l’avez éconduit ? monsieur le sous-directeur.
— Un beau gars comme lui, avec des muscles en bronze ! Mais je ne suis pas raciste, mon cher commissaire. Certes, il est déjà marié et il a une tripotée d’enfants, mais chez ces gens-là, la bigamie n’a pas été inventée pour les chiens ! Je la lui ai accordée, San-Antonio. Ainsi ma fille sera-t-elle à l’abri. Je rêvais d’avoir un gendre comme Jérémie ! Un costaud, beau à crever. Sans compter qu’elle ne sera pas malheureuse si j’en crois ce qu’on dit des Noirs. Plus membré qu’eux, tu meurs !
Il glousse.
— Son épouse légitime l’accompagnait pour venir formuler la requête. Elle était aux anges. Elle avait peur que Blanc ne la répudie, mais du moment qu’ils vont vivre tous ensemble…
« Cette exquise femme assurait que son mari avait absorbé je ne sais quelle potion magique que vous lui avez donnée et que c’est ce philtre qui l’a ramené dans le droit chemin. Ah ! vous êtes un démiurge, Antoine. Vous me permettez de vous appeler Antoine ? Oh ! Seigneur, c’est tout à vous ce beau paquet que je tiens dans ma main ?
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