— C’était unique ! elle dit.
Elle répète :
— Unique.
Je tapote sa main, murmure avec modestie :
— Mais non, penses-tu, môme, un petit galop d’essai pour se mettre en verve. Si on se revoit, je te passerai la suite du programme : « La nuit de folies du calife », « La horde en rut », « Les manches à couilles attaquent à l’aube » !
Au bout d’un peu, elle rêvasse :
— Ce que vous m’avez fait : le très long baiser entre les jambes, comment avez-vous appelé cela, chéri ?
— La « tarte aux poils », ma chérie, chez nous, c’est monnaie courante ; même les sacristains le pratiquent aux chaisières !
— Fabuleux ! J’avais un peu connu cela avec mon psychiatre qui est hongrois d’origine, mais il avait de l’asthme et le plaisir n’avait pas le temps de se développer, comprenez-vous ?
— Ah ! c’est quelque chose qui ne souffre pas la médiocrité, sentencié-je. Il s’agit d’une manœuvre de longue haleine, si je puis dire. Il faut pour la réussir pleinement, disposer d’une cage thoracique à grande capacité et d’une langue de caméléon.
Elle opine (elle sait bien faire). Rêvasse encore à la merveilleuse séance sur la couverture. Je lui avais fait ôter sa combinaison verte et l’avais mise à genoux, de force. Doigt de cour dans l’œil de Caïn. Ensuite, embraque alternée, ce que, nous autres pros appelons le coup du « par-ci, par-là ». Au début, elle protestait que « Non, non, impossible ! » Mais impossible pas français, le président Mitterrand te le dira ! Au bout de cinq minutes, elle était folle de régalade et appelait : sa maman, son mari, le Président Bush, le pasteur Martin Luther King, le général Colin Powell, chef d’état-major des armées, sœur Thérésa, Frank Sinatra, son gynéco, le docteur Porridge, sa vieille grand-mère du Connecticut, son pot de vaseline Greymon-Diamond, le godemiché de sa sœur Barbara, son rouleau à pâtisserie, la main de son masseur, son bidet à jets multiples et sa bombe de mousse Buttockclean. Elle en redemandait toujours, en exigeait ! Et moi, infatigable, j’en dispensais généreusement.
Tout ça à quelque cent mètres du cadavre d’Irving Clay ! La mort, la vie : allégorie ! Et Sauveur, hébété, attendait la fin de notre plaisir auprès de sa victime. Mais il ne la reconnaissait pas comme telle. Pour lui, ça devenait accidentel, ce trépas. Ce n’était pas l’assassinat méticuleusement élaboré auquel rêvait sa vengeance, mais un banal décès à la suite de manœuvres ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Il avait frappé Clay pour l’estourbir, pas pour le buter. La nuance primait tout.
Comme si elle suivait le développement de mes pensées, Brigitte Simpson demande :
— Vous en avez fait quoi, du type que vous pourchassiez ?
— Rien, fais-je. Mon pote lui a mis une avoinée et on l’a laissé sur place avec sa tire.
— Vous êtes certain qu’il n’est pas mort ?
— Evidemment.
— Vous allez séjourner encore à Fresno ?
Je songe à la brave Maryse dont il serait grand temps que nous nous occupassions, comme dirait Jean Dutourd à qui il est arrivé de rater un train, mais jamais un subjonctif.
— Probablement deux ou trois jours, oui.
— Nous nous reverrons ?
— Avec joie.
— Dans un lit avec vous, ça doit être mieux que par terre sur une couverture.
— Vous en jugerez.
Je me retourne, Sauveur, dûment ceinturé, dort sur l’un des sièges arrière, mais du sommeil léger d’un truand qui a un flingue en guise d’oreiller. Mon mouvement le fait soulever une paupière.
— T’inquiète pas : j’entends tout, dit-il. Pourquoi veux-tu demeurer à Fresno ?
— Maryse ! Elle ne doit pas être transportable si on l’a opérée.
— Et alors ? Tu vas pas rester à son chevet et lui tenir la main entre deux troussées à cette péteuse ? Ta collaboration est achevée, flic. Tu dois rejoindre ta volière, moi je m’occuperai de ma gosse.
Il est amer, à cran, pas saisissable, fût-ce avec des pincettes en or gainées de velours.
— Comme tu voudras, soupiré-je.
— En rentrant à Paris, tu préviendras le frelot du Gitano ?
— Bien sûr.
— Et puis tu lui refileras de l’osier, un gros paxif. Pendant que tu limais madame, j’ai dégauchi le trésor de guerre du fumelard dans sa Porsche.
Il sort de sa vague un gros sachet en peau de chamois fermant à l’aide d’un cordonnet.
— Je le savais, dit-il. Ils agissent tous pareil, parce qu’il n’y a pas d’autres solutions pour réduire une fortune à sa plus simple expression. Des cailloux : diams et rubis. Le plus mignard avoisine les cinq carats. Tu proposes ça à Cartier, il t’embrasse à pleine bouche. Qualité exceptionnelle ; il savait choisir, le salaud !
— Ben tu vois : t’auras pas perdu ton temps, dis-je.
Il sent le mordant de ma voix et tique.
— Si tu veux ta part, flic, te gêne pas.
— M’insulte pas, le Turc, je ne le mérite pas.
Il hausse les épaules.
— Vous me plumez avec votre intégrité ! Tous tes collègues ne sont pas comme ça !
— Hélas ! non, mais dans l’ensemble notre boîte tient le coup.
— Je vais attriquer la moitié du pactole à Manolo, ce sera comme une espèce d’héritage que lui aura laissé le Gitano.
— Manolo fait dans les gemmes, justement.
— Alors il va mouiller !
— Tu risques de chanstiquer sa vie. Il est pépère avec les siens, dans sa maisonnette de banlieue. Comme sa grognasse n’est pas une épée de sommier, il va tirer des petites salingues aux terrasses. Bref, son existence est sur rails.
— Tu te figures que l’osier va lui faire perdre les pédales ?
— Ça risque.
— Non seulement il joue les vertueux, mais le voilà prédicateur, ce flic de mes burnes ! explose Sauveur. C’est pas perdreau, mais cureton que t’aurais dû te faire !
— Je m’accommode de ma conscience, mec. Quand je crois la cause intéressante, j’hésite pas à traverser l’Atlantique avec un truand, mais ça ne m’empêche pas de garder mon nez propre. Alors, « l’héritage » du Gitano, comme tu appelles ça, tu le remettras toi-même à Manolo de La Roca ; je fais pas le facteur dans ce genre de combines.
— Bien, monseigneur !
Une fois posés à Fresno, je dis civilement au revoir à notre piloteuse de charme (car son mari est là : un grand primate à poils blonds, avec des yeux clairs bourrés d’innocence et de connerie), et nous récupérons ma tire de louage sur le parking. Direction d’hosto.
Je me sens un peu penaud vis-à-vis de Maryse que nous avons abandonnée sur son lit de douleur. Vraiment, on peut dire que nous faisons passer la « justice » avant la tendresse, Sauveur et moi. Drôle de père et drôle d’amant qu’elle a touchés là, la pauvrette ! Le dabe ne songe qu’à éventrer l’assassin de son copain Gitano, l’amant qu’à faire reluire une ravissante pilote d’hélico ! Faudra qu’elle apprenne l’aquarelle, Maryse, ou la musique. Qu’elle se consacre à un art pour oublier les mesquineries de l’existence.
L’hôpital Santa Puta de la Constipation est neuf, étincelant de blancheur. Des infirmières pour feuilleton télé se meuvent silencieusement dans des couloirs égayés de lithographies futuristes représentant des villes dans le ciel, des trains volants, des femmes-automobiles et autres gracieux cauchemars de ce type.
On demande l’infirmière-chef. Toujours comme dans les feuilletons ricains, c’est une Noire pour donner bonne conscience au public, prouver l’à quel point on a l’esprit large aux States et que l’ancien racisme, tiens, fume !
Jolie personne, bien roulée, un maquillage approprié qui accentue la beauté de ses traits. Le cul un peu haut, comme toutes les Noirpiotes, ça, on n’y peut rien ; haut et cubique, comme si elles trimbalaient une giberne de gendarme sous leurs jupes. Côté odeur, c’est la pharmacie qui domine. Elle est agréable, seyante. Le climat californien me portant au derme, je ferais volontiers rebelote avec elle. Alors je plonge mes yeux au fond des siens et je prends ma voix suave de « speaker » d’avant-guerre pour lui demander comment se porte Miss Kajapoul. Elle me répond que l’opération s’est bien passée, que la patiente est réveillée depuis plusieurs heures et qu’elle a même de la visite.
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