Désarmantes de naïveté, ces demoiselles. On leur balance n’importe quelle vanne, elles l’absorbent. La pute, surtout aux Amériques, ce qui fait son principal charme, c’est qu’elle te fait causer sans s’occuper des réponses. Au bout d’un peu, je me dis qu’il est temps de rendre notre investissement en boissons fermentées productif. Alors j’explique à Linda et Betty qu’on est venus rejoindre un parent, mais y a maldonne parce que personne ne répond plus à la demeure où il créchait.
Doucettement, je les branche sur le Gitano. Sauveur prend le relais pour décrire son pote. Il a même une photo de Miguel datant d’y a déjà lurette et qui le représente lors d’une virouze à la foire du Trône, en danseuse de french cancan : il suffit d’enquiller sa tronche dans un trou et de laisser opérer le gazier au polaroïd. Les pétasses ricaines se boyautent. En même temps elles pouffent qu’oui-oui, c’est bien le french boy qui venait se divertir. On n’a plus qu’à laisser le champ libre à leur mémorance. Il claquait un osier noir, le Gitano. Pas chipoteur du morlingue ! Les billets verts lui fondaient entre les doigts.
Comme l’a prévu Sauveur, il faisait de sacrées parties dans la boîte. Elles avaient beau lui seriner que c’était pas permis par la direction et qu’aux Délices y avait un seuil de « convenances » à ne pas franchir, il se débrouillait pour s’exploser, le coquin. Son grand numéro : la tarte aux poils. Ça doit être une affaire de famille, le bouffage de cul, chez les La Roca. Que ça soit Manolo ou Miguel, faut qu’ils dégustent du frifri, messieurs les frangins. Pourtant, c’est pas une spécialité espanche, la minouche. Je sais des Espingos, quand tu leur parles de cette aimable pratique, ils crachent par terre en proférant des macho cabrio méprisants… Mais les frères La Roca, eux, en ont découvert l’agrément ! Ils s’étaient totalement francisés de ce côté-là.
Une parole en provoquant une autre, on finit par apprendre que s’il tâtait un peu à toutes ces dames, il avait sa favorite dans le lot, le french boy : Maureen, une sang-mêlé. Les deux, ça dégénérait vaguement en idylle. Ils sortaient ensemble le jour de congé de la gosse. Miguel emmenait jaffer sa coloured dans les meilleurs restaus de la région pour l’initier. Il y était connu et demandait aux chefs de lui préparer certaines recettes qu’il leur communiquait. Priorité à la gueule ! Son côté éducation française, au Gitano.
Je demande à Linda de me présenter la Maureen en question, elle me répond que, justement, c’est son jour de relâche. Alors je lui demande où elle crèche, mais elle répond fermement qu’elle n’a pas le droit de communiquer l’adresse du personnel, formellement prohibé par cette fameuse direction qui m’a l’air vigilante et coriace. Moi je trouve qu’elle récrie trop fort pour que ça soit sincère.
— Emporte un moment ta connasse, il faut que j’interviewe la mienne entre quat’z’yeux, dis-je à Sauveur.
Lui, il demande pas mieux. M’est avis qu’il a les amygdales enflées et qu’il est partant pour un petit coup de dégorgeoir mutin, le nouveau veuf. Note que c’est pas le décès de sa mémère qui l’aura plongé dans l’abstinence, car elle paraissait scrafée au plan du radada, la maman. Comment qu’il s’arrange avec ses glandes, l’enfant de Turc, ça c’est son problo. M’est avis qu’il doit avoir quelques potesses bienveillantes à Pantruche qu’il va faire vibrer les soirs de spleen. Il entreprend sérieusement sa nouvelle copine et, bon, ils se cassent.
Comprenant qu’il ne faut pas lésiner avec la conscience professionnelle des gens, j’extrais de ma vague un billet de cent points.
— En échange de l’adresse de Maureen, murmuré-je. C’est du fric vite gagné, non ?
— Qu’est-ce que vous lui voulez ?
— Simplement qu’elle me parle du french boy ; c’est notre parent et on est inquiets à son sujet.
Linda ne peut retenir une drôle de réflexion :
— Vous pouvez !
Je fais un arrêt de volée.
— Ah ! oui ? Pourquoi ?
Elle mord ses jolies lèvres grosses comme des rebords de matelas pneumatique, mais il est trop tard.
— Parce qu’il travaillait chez un type qui n’avait pas bonne presse.
— Irving Clay ?
— Tout juste.
— Qu’est-ce qu’on lui reprochait ?
— D’appartenir au Cartel Noir.
— Le Cartel… du meurtre ?
— Enfin, c’étaient des bruits, hein ! Et de toute façon, Clay est mort et enterré !
— Non, rectifié-je, songeur : pas enterré, incinéré !
— Ça revient au même.
Sauf qu’on ne peut pas exhumer un mec parti en fumée ! Mais je garde ma réflexion pour moi.
— Alors, vous me la filez, l’adresse de votre petite copine, Linda ? Vous savez bien que je vais l’obtenir d’une façon ou d’une autre, c’est juste pour me faire gagner du temps !
Ça la rassure.
— Elle a un studio au 14 de Pascagoula Street, à l’entrée de Biloxi. Son nom de famille c’est Granson.
— O.K.
Je lui fourre le talbin dans la paume (pour le serrement du jeu de main).
— C’est gentil, remercie-t-elle. Et à part ça, je peux rien pour vous ?
— Sans façon : j’ai apporté mon manger aux States.
— Dommage, j’adore faire l’amour avec les Français, à cause de la spécialité du french boy , vous savez ?
— C’est vrai ?
— Vous êtes les champions. Vous bouffez aussi bien que des femmes et quelques fois mieux.
Merci du compliment.
— C’était confortable ? demandé-je à Sauveur quand on se retrouve dans la Cadillac Seville.
Il fait la moue.
— Un veau ! Si nos gagneuses étaient aussi locdues, Paris ne serait plus Paris depuis longtemps ! J’avais l’impression de tirer dans un dispensaire, sous contrôle médical !
— Elles se gaffent du s.i.d.a., faut les comprendre.
— Ça ne change rien, fiston. C’est de la peau de connasse. Ici, le mec qui est pris de court a intérêt à bavouiller avec les chèvres, comme en Turquie, à l’époque de mon dabe. Les bergers, ils avaient leur favorite qui crânait dans le troupeau. En plus, elle leur donnait du lait !
Je rigole. Un phénomène, Kajapoul !
On roule en souplesse. Ces caisses ricaines ressemblent autant à de vraies autos que ma prose à celle de Paul Claudel, mais elles sont berceuses, faut avouer. A leur bord, on flotte dans le moelleux, la Chantilly.
Ici, les routes sont larges et plates ; elles traversent des agglomérations bizarres, composées de motels rivalisant d’originalité, de stations d’essence illuminées, de parcs où l’on vend des tires d’occasion, de grands magasins gigantesques comme des villes. La pub matraque dur. Une enseigne masque la suivante. Le néon est infernal et dit merde à la nuit. Y a pas de nuit ! On distingue des derricks embrasés dressant leurs carcasses de métal sur fond d’enfer. Un autre monde !
Sauveur ronchonne :
— Je vois pas ce que ce con de Gitano trouve de bien à ce pays. Tu m’attriquerais une montagne de talbins, je préférerais vivre en Q.H.S. chez nous, que de m’établir ici !
Y a pas de véritable cambrousse le long de la route. C’est comme si on traversait une banlieue infinie.
Je roule mollo because la speed limit ; inutile de se faire crever par un poulman. Ils ont des motos monstrueuses, pleines de chromes et de lumières clignotantes, des uniformes de guerriers de l’apocalypse, version « Guerre des étoiles » et des bouilles qui feraient fermer sa gueule à l’horloge parlante.
On atteint bientôt Biloxi. Linda m’a prévenu que sa collègue, la favorite de Miguel, créchait à l’entrée de la ville. Pascagoula Street, c’est comme qui dirait la nationale qui continue dans la cité. Toujours ces stations, motels, supermarkas.
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