Regard éloquent du Mastard à son pays. Autre regard « connivent » dudit pays.
— On vient pou’r’connaît, la p’tit’ dame qu’on a causée, Gros Louis.
— Si vous voudrez m’ suv’ ! répond ce frère de terre et de vocabulaire du Mastard.
On traverse la salle des cadavres où règnent un froid et un silence sépulcraux.
— On a été d’obligés d’la mett’ dans l’ancienne morgue, vu qu’on affiche complet en périod’ d’vacances. Y z’ont z’eu beau institutionner l’permis à points, les congés payés continuent d’ s’fraiser la gueule à qui mieux mieux, comme si qu’en aurait pas z’assez pou’ tout l’monde !
On traverse un palier désert comme le Sahel un dimanche après-midi pendant la retransmission d’une course de formule I. Vient tout de suite après une seconde salle, plus petite que la précédente, moins fraîche mais davantage sépulcrale d’ambiance.
— Maint’nant casse-toi, Gros Louis, murmure Béru ; c’est préférab’.
Docile, le bonhomme en blouse blanche s’efface. Je referme la lourde derrière lui et, comme sa serrure comporte une clé, j’en donne un tour.
Au même instant, mon camarade Béru, avec une maestria de prestidigitateur, passe les menottes aux poignets du Ricain avant qu’il ait eu le temps de réaliser.
Après quoi, en vrai gros lâche, il lui met une série de directs à l’estom’ et au foie avant de le conclure d’un phénoménal crochet à la mâchoire qui ferait passer Stallone pour le Petit Chaperon rouquinos.
— De la part du « gros sac », mon Minouche, lui dit-il.
Mais le produc n’a pas dû l’entendre car il est groggy.
Quand Mister Mortimer se met à jouer des ramasse-miettes, il se trouve dans un grand bac de zinc qui pue la mort ancienne. Une deuxième paire de cabriolets emprisonne ses chevilles. La bassine sombre coulisse sur un rail permettant de la rentrer à l’intérieur d’un compartiment aménagé dans le mur, ainsi qu’une onzaine d’autres.
— O.K., Mortimer ? je lui lance. Vous qui souffrez tant de la chaleur, vous allez être à la fraîche, là-dedans.
— C’est une farce grotesque ou quoi ? demande-t-il avec calme.
— Comme si nous avions l’âge de faire des blagues, mon pauvre vieux. Attendez, je vais tout vous expliquer ; un instant, please !
J’enfonce le bac avec son occupant dans la profondeur du caveau provisoire, ensuite je ferme sa porte de fer dont les chromes se piquent de rouille.
— Je pense sincèrement que ton idée est vibrante, Gros.
— On va voir, prudente-t-il.
Je laisse s’écouler une dizaine de minutes avant de déponner.
Dans son trou à rat, il est devenu plutôt pâlichon, le faux cadavre. Mais son regard contient tellement de haine à mon égard que je vais bronzer comme avec des U.V.
— Le principe est le suivant, expliqué-je à l’Américain. Vous détenez le vieux type qui fut mon directeur avant que je prenne sa place, celui que votre ex-femme appelle Gros Bébé. A son propos, je vous rassure : elle est bien vivante et a déjà déposé contre vous. Vous connaissant, j’ai craint que vous ne le rendiez qu’en échange de votre liberté. Or je suis le genre de policier qui veut à la fois le beurre et l’argent du beurre. C’est donc vous qui allez commencer par remettre M. Achille Hachille en circulation. Vous demeurerez ici tant que le cher homme ne sera pas au ministère de l’Intérieur, une coupe de Dom Pérignon à la main. L’endroit est désaffecté, de plus notre ami Gros Louis, que vous avez vu, est le seul employé qui ait encore la charge de cette ancienne morgue. Conclusion : personne, je répète bien PERSONNE, en dehors de nous, ne peut vous sortir de ce sépulcre. Si vous décidez de coopérer, dites-le ; nous irons récupérer Achille pendant que vous méditerez dans ce putain de casier et vous en sortirons ensuite pour vous en trouver un autre plus confortable. Si vous refusez, je vous dis bonne nuit et vous boucle jusqu’à demain midi. Savoir si vous trouverez suffisamment d’oxygène pour attendre, ça, c’est votre problème. Une minute pour décider ! Pensez bien que, de toute manière, vous allez demeurer là-dedans jusqu’à ce qu’on ait mis la main sur Gros Bébé. Voilà, ma trotteuse est partie, vous décidez.
Il n’attend pas :
— Oh ! arrêtez votre charre, enviandé de poulet ! D’accord, je vous le rends, votre gâteux.
— L’adresse ?
Il me la donne.
Je le renfourne aussi sec !
* * *
Un hangar immense qui pourrait abriter un Boeing 747. Mais foin d’aéronautique, c’est du matériel de cinoche-tv qu’il recèle. Une armée de projos sur pieds, des rangées de « gamelles », des rails de travelling, des décors ayant servi et qu’on a démontés pour les empiler, que sais-je-t-il encore-t-il. Tout au fond, se trouve un vieux camion-caravane destiné aux tournages en extérieurs. D’après Mortimer, c’est dans ce véhicule sédentarisé par d’innombrables avaries consécutives à l’âge qu’est enfermé Chilou.
Je regarde le Gros.
— Ça me fait quelque chose, dis-je.
— A moi z’aussi, reconnaît le Chourineur. Dans quel état soit-il, c’vieux paf ?
Nous allons bien voir…
Sachant qu’il n’est pas seul, je toc-toque à la portière coulissante. Puis me placarde sur le côté, afin de laisser le Gros comme unique terlocuteur de l’éventuel geôlier ; ce gros sac est tellement plus rassurant que deux mecs dont moi !
Un remue-foyer à l’intérieur [10] San-Antonio a voulu écrire remue-ménage, mais il écrit tellement vite, ce con !
, un cliquetis, la portière coulisse en grinçant.
— Salut ! fait niaisement Sa Majesté avec un franc et inaltérable sourire mérovingien.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demande un gonzier que je ne vois pas encore, mais ça ne saurait tarder.
— Le boss ! dit laconiquement le Mafflu.
Et, en très grand artiste, il tourne déjà les talons comme un qui vient de remplir sa mission.
Négligemment, tu vois ? Tranquillos comme Jean-Baptiste. Cette volte juste pour désamorcer le mec, le détendre bien complètement. Je te jure que ce gros con a du génie kif toute la colonne de la Bastille !
Mais il n’exécute pas un seul pas. En une prodigieuse pirouette d’éléphant repensé par Dali, il se rue sur l’homme (lequel est surélevé par rapport à lui), le saisit à bras-les-jambes, le soulève et, d’une détente formidable, le projette par-dessus son épaule, et dans ma direction.
Désireux d’apporter ma contribution à l’œuvre béruréenne, je tire un superbe penalty dans la mâchoire du gars qui en hennit de douleur. Béru s’approche pour placer le sien à la tempe K.-O. express.
Le garde-chiourme est un grand vilain à la boule presque rasée. Avant mon coup de botte, il possédait une mâchoire carrée. Avant celui du Gros, des oreilles décollées. Maintenant c’est une grande loche flasquos, tuméfiée et impardonnable [11] Pourquoi « impardonnable » ? San-Antonio a son mystère.
. Il avait un appareil téléphonique portable en bandoulière, lequel a été propulsé à travers le hangar. N’ayant plus de menottes à dispose, Béru va récupérer le dragonne de cuir du biniou pour entraver les mains de sa victime. Moi, je me sers du téléphone pour alerter la brigade de récupération. Enfin, oh ! oui : enfin, nous pénétrons dans la caravane. Une seconde porte s’oppose encore à nous. Le Mastard la vainc d’un coup d’épaule de transporteur de pianos.
Et alors, ô merveille des merveilles, nous voici au contact du Vieux.
Un Vieux toujours égal à lui-même, rasé de frais, en robe de chambre de soie noire à motifs chinois, le crâne éblouissant.
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