— Où diantre m’embarquez-vous ? protesté-je.
Indifférence souveraine de mon guide. Sa conduite commence à me briser les testicules.
— Pensez-vous que je vais vous filocher jusqu’à la Saint Trou-de-balle, laquelle coïncide avec la vôtre ! fulminé-je d’un ton rendu puissant par l’abus d’oligoéléments auquel je me livre.
Il s’arrête, jappouille un vague truc d’une voix cassante, me gratifie d’un vent cinglant et réitère son mouvement de tête du début.
Avec un soupir de destroyer touché par une mine, je continue de le suivre. Ma patience prend de plus en plus de la gîte. Comme s’il voulait en rajouter, le basset force l’allure. Ses membres ont beau ne mesurer qu’une quinzaine de centimètres, quand il se met à tricoter, il bouffe de la lande, mon camarade !
N’importe : je lui garde ma confiance. Le talonne.
Il franchit tout le parc et stoppe devant une fosse à compost située dans un angle du mur isolant le jardin public d’un lotissement voisin. Mon valeureux collaborateur saute dans cette réserve d’humus et de déchets organiques et se met à creuser énergiquement. Il gratte des antérieures, s’excite, grogne, ronchonne et finit par extraire un godillot à laçage semblable à celui qu’a immortalisé Van Gogh dans un célèbre dessin au crayon.
Le cher cador me l’apporte.
— Êtes-vous en train de m’expliquer, excellent Salami, qu’il s’agit là d’une des chaussures de l’assassin ?
Il me vote un jappement qui, traduit du basset, signifie :
« Pourquoi croyez-vous que je me crève le cul, connard ? »
Et il retourne fouiller afin de m’obtenir la paire !
* * *
— Du quarant’-quatr’ ! grommelle Béru. Y s’en faut d’ trois pointures qu’ j’eusse eu pu les garder par la sute. Là, é sont terrereuses, mais décrottées et cirées, tu peuves les mett’ pour une noce.
Je présente sa trouvaille à Messire Toutou. Lui dis d’un ton de rêvassement :
— Nous avons trouvé leurs traces de départ, pas celles d’arrivée.
Il s’assied, me considère d’un air pénétré, sa grosse bite traînant sur la moquette.
Reprenant notre langage convenu, il déclare :
« Je me suis déjà fait la réflexion, mon cher maître. C’est pourquoi j’ai couvert, en zigzag, tout le trajet de l’immeuble au parc. Je me dois de vous apprendre que je n’ai trouvé qu’un seul cheminement d’ici au fond du parc. Il semble donc que votre assassin soit parti de la maison sans y être arrivé . »
23
LA MAGIE,
C’EST TOUJOURS DU BIDON
Quoi de plus beau qu’une vigne au soleil, sinon tes fesses, ma chérie ?
Je stoppe ma guinde d’infortune, une Range-Rover prêtée par mon garagiste, sur le bas-côté du chemin. Uniquement pour admirer cette étendue sage et verte descendant mollement la colline. Le raisin n’est pas mûr, mais il paraît déjà bien formé, prometteur de délices futurs. Quel somptueux présent que le vin ! Il tient toujours ses engagements.
Avec un soupir d’obscure reconnaissance, je repars. Il fait tendre, le ciel est bleu, je me sens paisible et vacant. Hier soir j’ai dormi à la maison. M’man était sereine. Alors je me suis mis à la recherche du téléphone de Mélanie la fugueuse et l’ai trouvé.
Elle-même a répondu. Ne lui ai posé aucune question à propos de son départ précipité de l’auberge. J’ai comporté naturellement, avec calme et gentillesse, comme s’il était normal que nous ne nous soyons plus revus depuis l’épisode du château en ruine.
Sans la brusquer, mais avec fermeté, je lui ai arraché un rendez-vous pour samedi, treize heures, à la Guirlande Fleurie , place des Vosges. J’ai pensé qu’un restaurant dépourvu d’épate, à l’heure ensoleillée du déjeuner, lui inspirerait confiance. Elle a dit « D’accord » ; nous verrons bien.
Maintenant, Ferdinand, tu te demandes ce que je viens branler dans les vignobles enchanteurs du Bordelais ? Non ? Ah ! tu as deviné ! Eh bien oui, j’ai eu soudainement envie de faire la connaissance du papa viticulteur d’Éléonore. Pourquoi ? Comme ça. Une foucade.
Au sommet de la colline, la vigne cesse pour laisser place à une esplanade plantée de superbes platanes. Au-delà des arbres, une demeure de pierre claire, d’un style grave mais harmonieux. Un solo de violon interprété par un virtuose du crincrin retentit à l’intérieur du castel. Sur la droite, s’élèvent les constructions nécessaires à l’exploitation.
Une femme grande et opulente du donjon, genre intendante de province à chignon, répond à mon coup de sonnette.
— Pourrais-je m’entretenir avec M. de la Liche ? j’articule après m’être humecté les lèvres de ma langue caméléonesque.
Elle a pour moi le regard que tu portes à un étron collé sur ta godasse.
— Monsieur ne reçoit personne ! assure-t-elle, tranchante comme une carre de ski.
— Même si je me permets d’insister ? je demande en lui montrant ma brème poulardière.
Évidemment, voilà qui la désoriente.
— Monsieur est paralysé et aphasique depuis près d’un an.
— En ce cas, madame ? risqué-je.
Elle marque un temps d’hésitance et cède :
— Je vais la prévenir. Si vous voulez bien entrer…
Me guide en une vaste pièce dont le mobilier date de Charles X, roi qui n’a pas laissé un souvenir impérissable dans l’Histoire.
J’encastre mon prose en un fauteuil de bois blond et attends. Des odeurs de cuveau me parviennent, tonifiantes. Me reviennent des souvenirs de vendanges. La grande cuve aux vapeurs chavirantes dans laquelle mon grand-père, le mari de mémé, foulait le raisin aux pieds. Il marchait sur place, seulement vêtu de sa chemise. Il ne portait que des caleçons longs, mais n’en mettait pas pour la circonstance et retroussait les pans de sa vieille liquette, si bien que, parfois, lorsque je grimpais à l’échelle pour bavarder avec lui, j’apercevais sa grosse chopine à tête ronde au gré de ses dandinements.
Je me lève pour examiner, par l’une des grandes fenêtres, l’arrière de la maison. Il donne sur un jardin où fleurs et légumes coexistent en bonne intelligence. Sous une tonnelle garnie de rosiers grimpants, un homme est assis dans un fauteuil d’infirme, un plaid sur les jambes. Belle et surprenante tête de Buffalo Bill vieilli. Cheveux de neige portés longs, favoris frisottés, moustache de conquistador, mouche au menton. Aramis à la retraite. Nobliau d’une époque révolue.
Qui vois-je surgir dans ce jardin à la Trénet ? L’ami Salami que j’avais laissé dans la voiture après lui avoir expliqué qu’on ne se présente pas chez les gens avec un chien. Il a probablement sauté par une portière à la vitre baissée, le bougre. Et le voilà qui se livre à une inspection des lieux.
Il renifle le vieillard, lequel n’y prend pas garde car il est dans la semoule. Mon chien l’abandonne pour fouinasser aux abords du manoir.
Du coup j’entrouvre la fenêtre afin de le rappeler à l’ordre.
— Salami ! Vous seriez très aimable de regagner la voiture ! lui lancé-je sèchement !
Il tourne la tête vers moi et, de sa patte avant droite, m’adresse un geste désinvolte. Puis m’oublie spontanément. Je le vois humer l’air du jardin avec volupté. Repère-t-il les effluves d’une chienne en chaleur ?
Une sensation de présence me fait réagir. Derrière moi se tient une splendide personne qui t’inciterait à traverser le Sahara à bicyclette rien que pour lui glisser deux doigts dans la chaglatte afin de t’en faire un esquimau.
La survenante doit avoir la trentaine. Elle est brune avec les yeux d’un bleu infiniment pâle, une bouche charnue, humide comme le rez-de-chaussée d’une jouvencelle visionnant un film hard en l’absence de ses parents, des joues kif de la peau de pine, tellement elle est lisse. L’arrivante porte un ensemble de daim en provenance de chez Zilli, dans les tons jaune, et des pompes devant valoir deux mille francs pièce.
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