M’apercevant, ce dernier pousse une exclamation à alvéoles gutturées. Puis vient à moi, le cul serré kif les lèvres d’une institutrice anglaise pendant la projection d’un film hard, dont le rôle principal est interprété par sa mère.
— Monsieur le directeur ! Si je m’attendais… Mais comment se fesse ? Je veux dire : se fait-il ? Vous ici ! En personne ! Sans escorte, sans tambour, sans trompette !
Tu le conçois aussi clairement que je l’énonce : mon arrivée improvisteuse devient événementielle. Bérurier profite de la renversée et se laisse choyer mollement, en homme « qui n’en pense pas moins ».
— C’est vous qui dirigez l’enquête, Simon ? je fais à Darbandais.
— En effet, monsieur le directeur.
— Savez-vous à qui appartient cette maison ?
— Nous venons de l’apprendre.
Je le cisaille en jetant négligemment :
— Je souhaiterais un rapport plus que détaillé sur Rigobert Panoche, son propriétaire. Comment vivait-il ? Qui recevait-il ? Enfin, vous voyez ?
Sidéré que j’en sache déjà tant, mon confrère opine comme un cheval de haras.
— Nous allons nous y atteler, promet-il.
— Voyez-vous, poursuis-je charitablement, je suppose que les meurtriers ne sont pas venus fortuitement dans cette maison de campagne. On peut dire qu’ils s’y sont carrément installés et y ont pris leurs aises. Des crapules ne bivouaquent pas ainsi dans une propriété qui leur est inconnue. Ici, on a dormi, on a allumé un feu d’enfer pour incinérer des cadavres, toutes choses auxquelles ne se livreraient pas des gens sur le qui-vive. Vos gars vont devoir enquêter dans le voisinage. La crèche a beau se trouver isolée, elle est en bordure de route. Plusieurs bagnoles ont dû séjourner sur ce terre-plein, au moins deux, ça sûrement.
— Pourquoi ? demande étourdiment Simon Darbandais.
— Il y en a une sur place, les meurtriers ont bien dû repartir par leurs propres moyens !
— C’est évident.
— D’où la nécessité d’une seconde tire !
— Naturellement.
Je pose ma main absolvatrice sur son épaule cintrahabiste :
— Comme je viens de le dire, nous ne voulons pas chasser sur vos terres, Simon, simplement l’affaire de Paname déborde jusque dans l’Yonne et le temps presse.
— Je comprends tout à fait, monsieur le directeur, et croyez à notre entier dévouement.
Béru pousse un hennissement de vieil étalon humant le fion d’une pouliche.
— Bordel à cul, Sana ! C’est toive qu’as mon bigophone portatif ?
— Je l’ai prêté à notre confrère Hanoudeux.
— T’es généreux av’c les affaires des autres ! Moive qui l’ croivais perdu ! D’ c’ fait j’ai pas pu prendre des nouvelles de ma pauv’ femme qu’est probab’ment clamsée à l’heure dont j’ cause.
— Emprunte celui du gendarme ici présent. Vous permettez, brigadier ?
Le pandore, qui n’est pas sans grandeur d’âme, tend son déconnoir au Gros. Béru forme le numéro de l’hosto.
— Allô ! lance-t-il à la standardiste, passez-moive la chamb’ 333 ! Oui : trois, trois, trois ! Si personne répond, branchez-moive su’ la morgue d’ l’hôpital, car c’ s’ ra qu’ ma dame est cannée.
Bref silence. Nos confrères et ma pomme attendons la suite du suspense.
L’organe du Mahousse reprend, teinté d’angoisse :
— Éscusez d’ vous déranger, c’est pour avoir des nouvelles fâcheuses d’ mame Berthe Bérurier qu’ j’étais l’époux. Pardon ? Vous disez ? Causez pas la bouche pleine, j’ me croive en communicance avec un’ pompe à merde !
« Comment ? Ah ! c’est toive, Berthe ! J’ t’entends à peine. Tu vis toujours ? Dis donc, ma grande, c’est du peu au jus, si j’ me fille à ta pauv’ voix qu’est comme une chandelle qui s’éteint. Quoive ? Tu quoi ? Tu manges ! Comment ça, tu manges ? Tu veux dire qu’ tu communilles ? On t’adminis’ les cinq sacr’ments ? Ben cause, bordel ! Avale c’ qu’ t’as dans ta grande clape d’ vache ! Oui, v’là, j’ t’entends.
« Quoi-ce ? Tu bouffes une omelette ! Non, je rêve ! Une om’lette quand t’est-ce on a un panard dans la terre glaise et l’aut’ su’ une plaque d’ verglas ! Attention, Berthe : faut pas m’ la faire. Mourante t’étais, mourante tu restes ! D’alieurs les docteurs s’ sont portés garantis. J’ai déjà donné mon costard gris au pressinge pour qu’ils le teindent en noir ! Et j’ai offerte ton manteau d’ fourrure à une personne dont j’ connais et qui va l’ faire reprendre, biscotte y l’est trop grand pour elle ! Alors tu voyes : y a plus à y r’viendre. Soye raisonnab’, ma grosse : la vie n’a qu’un temps. Si tu m’en croives, laisse quimper ton omelette et commence tes arrangements av’c le Seigneur, biscotte ta garce d’ vie n’a pas été très cline. Plutôt glauque même, à des moments.
« Hein ? Comment ? Quoi ? T’y peux rien ? T’es guérie ? C’tait une fausse alerte ? Ah ! bon… C’est dur à admett’, mais j’ m’y f’rai. J’en ai vu d’aut’. Simp’ment, Berthe, ton manteau d’ fourrure, j’ croive qu’on devrait l’ laisser à celle dont j’ l’ai donné, ça s’rait plus corrèque, tu comprends ? »
Il coupe la communication devant une assemblée de policiers effarés. Il a un regard balayeur et déclare :
— La chiasse av’c les gonzesses, c’est qu’on peuve jamais avoir confiance en elles !
* * *
Me revoilà seul dans ma chambre de l’ Écu de Bourgogne , si bien géré par M. Paul et Mme Marthe. Le Gros se siffle une boutanche « en terrasse ».
Et moi ?
Eh bien, je vais te dire, Casimir : moi rien, moi que dalle, moi ballepeau. Le désert, le vide, le néant ! Me sens coupé de l’enquête ; pire : totalement étranger. De l’histoire ancienne. Obsolète, qu’ils diraient, les gargarisés du vocabulaire !
Un sentiment inpratiqué depuis lurette et des décades : the love . Je ne pense plus qu’à Mélanie. Ne parviens pas à me la représenter autrement que par un reflet d’or sur l’azur, kif la très sainte Vierge Marie.
Sitôt que je m’en suis allé tout à l’heure, le mystère s’est produit. Ses traits, ses yeux, son odeur ont fait place à un miroitement éblouissant. Je me reproche de ne pas être resté auprès d’elle, à la regarder dessiner, aquareller. Elle me manque à crier ! Je suis dingue d’elle. La veux !
Je vais abandonner l’enquête ; la confier à mes hommes. Ils sont qualifiés. Des gars bien. Pourquoi veux-je tout faire ? Four et moulin, toujours. Pauvre glandu : « vis ton cœur » au lieu de chiquer les supermen !
C’est chouette, ce que je me raconte confidentiellement, non ?
La sonnerie du bigophone me dérêvasse.
C’est l’O.P. Hanoudeux.
— Heureux de pouvoir vous joindre, monsieur le directeur.
La lichouille, dare-dare : un petit coup de mise en train sous les roustons.
— Vous avez du nouveau ?
— Énormément, au point que je ne sais par quoi démarrer.
D’ordinaire, je réponds « commence par le début », mais l’expression est tellement éculée qu’elle me flanque la gerbe. Alors j’attends sa décarrade. À lui le crachoir.
— D’abord, permettez-moi de vous apprendre la mort des Panoche : ils se sont suicidés au gaz, à moins qu’il ne s’agisse d’un accident. On les a retrouvés dans leur cuisine, devant un camembert entamé et une bouteille de morgon.
Je me flanque mentalement des coups de latte dans le train : j’ai fait un mauvais calcul en les laissant mariner chez eux. Ils ont eu la tête prise et se sont jetés hors de leur destin.
— On est assurés du suicide ? S’asphyxier en savourant un calandos, c’est plutôt rare.
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