Une panne dont on craignait l’irrémédiabilité ayant stoppé le retour de Zorro à la sortie de l’autoroute, le basset finit le chemin pédestrement et n’eut pas grand mal à détecter mes effluves, lesquels s’enrichissent de mon eau de toilette d’élection, dont je ne vais pas te répéter qu’elle se nomme « New York, New York » sans avoir de points communs avec cette bourgade U.S.
Nous devisons, tout en mangeant, et la salle à bouffer de l’hôtel fait silence, fascinée par l’étrange spectacle d’un homme en « conversation » animée avec un canin…
Le dessert assimilé, nous buvons chacun un café serré ; après quoi je demande au taulier enfin subjugué où je pourrais louer une voiture.
Pendant que nous déjeunions, Salami et moi, des clients qui m’ont reconnu se sont empressés d’expliquer au patron de l’Écu de Bourgogne quel prestigieux personnage je suis, si bien que l’irascible est devenu mouton bêleur. Il me dit qu’inutile de payer une guinde, il va se faire un plaisir inouï de me prêter celle de son épouse. Ainsi, parfois, naissent et se développent des amitiés solides.
La voiture, une exquise petite Twingo jaune-jaune d’œuf, est pratiquement neuve, Mme Marthe ne l’utilisant qu’une fois par semaine pour aller se faire tirer par Éric Bouchu, son fromager. Le véhicule sent le cul et le munster, odeurs admirablement complémentaires. Quelques préservatifs usagés jonchent les tapis de sol et je découvre, dans la boîte à gants, une tétine pour veau à laquelle on a assuré une certaine fermeté en la bourrant de papier préalablement mouillé.
Après une période chagrine, le ciel a opté pour le beau temps et un soleil flageolant fait des gammes.
Je biche la route de Pompechibre, peu fréquentée. Avise, au loin, la silhouette d’un Charlie Chaplin gonflé à l’hélium : Béru ! Il a ôté son soulier droit et avance en claudiquant.
Mon camarade l’a détecté avant moi et émet de petits gémissements, histoire de me le signaler.
— Je sais, mon ami, le calmé-je, mais je n’ai pas le droit de mettre en péril les amortisseurs d’une voiture obligeamment mise à ma disposition.
D’accélérer pour doubler le tas de gadoue. Il s’est placé face à nous et actionne son pouce auto-stoppant. Sans un regard, je passe devant le Mastard.
Il me reconnaît à la dernière seconde, hurle mon nom, agite ses bras, se met à nous courir au fion. Je baisse ma vitre pour en rater le moins possible. Fectivement, je perçois :
— Colique ! Sans-couilles ! Furoncle ! Dégueulis de crapaud !
Le reste ressort à la même inspiration, mais se perd dans le crépitement de l’été.
Je roule et l’oublie…
Tout là-bas, au bout de la ligne droite, la bicoque du sieur Panoche. Des véhicules tricolorisés y abondent. Silhouette d’un gendarme. Non : de deux.
Je commence à ralentir. Sur ma gauche, près d’un cours d’eau bucolique, j’avise les ruines d’un château. C’est beau comme une gravure écossaise.
« Tiens, pensé-je, si j’allais jeter un regard d’artiste sur ces vieilles pierres dont je pressens l’émouvance ? »
J’accepte aussi sec ma propose et emprunte le chemin conduisant à ce site, certain qu’il vaut le détour.
Et pour le mériter, il le mérite !
Si tu savais combien !
N’au plus que je m’en approche, n’au plus la construction me semble intéressante : c’est du moyenâgeux qui se situe entre le XII eet XIII e siècles. En ces temps de gadoue à marée haute, il fait bon piquer une tête dans le passé. Le rush vers le cacateux, la pourrissance, le renoncement et le reniage des valeurs me flanque le vertigo.
J’admire un donjon bouffé par les plantes impitoyables. Putain d’elles ! Pourquoi ne préserve-t-on pas les survivances de l’Histoire ? Ça te passionne, ta pomme, la course à l’H.L.M. ? L’architecture clapier qui part en couille avant que les murs ne soient secs ? J’aurais dû exister à l’époque Bayard pour guerroyer en armure, piner des frangines à cotillons profus. Tu te rends compte la régalade que ça devait être, leur minoucher la fente médiane sous des épaisseurs d’étoffes ?
Misteur Salami manifestant une envie impérieuse de se dévoiturer, j’ouvre nos portières. Contrairement à ce que je croyais, il compisse ballepeau, le bougre, mais fonce derrière moi en jappant d’allégresse.
Je me retourne, et alors qu’aspers-je ? La peintresse entrevue ce matin dans le couloir de l’hôtel lorsque j’y évacuais le plateau du petit-déje.
Elle s’est installée sur un promontoire qu’on pourrait également qualifier d’éminence s’il était rouge. Chevalet dressé, dûment calé par un gros caillou, la ravissante blonde œuvre avec ferveur.
— Oh ! Oh ! lui lancé-je.
Elle me répond par un geste de sa main tenant le pinceau. Dès lors, je marche dans sa direction, précédé de mon hound qui paraît sensible aux jolies personnes. Il est très porté sur l’humain, ce canin !
Faut dire qu’elle est superbe dans le soleil qui répand de l’ambre sur sa peau et de l’or dans ses cheveux [11] La phrase n’est pas de moi : je l’ai extraite d’un polar du cardinal de Retz.
.
Sa chemise ouverte offre son buste à l’été [12] Ça, c’est de moi.
.
Le foot ! Ce matin, j’ai pas eu le temps d’enregistrer ses yeux fauves sertis de vert, non plus que ses lèvres charnues que surmonte un imperceptible duvet. Pour te parler de son décolleté, faudra qu’on prenne rambour la semaine prochaine, tant il y a à dire et, plus encore, à faire ! Le dargiflard remplit son rôle (et son futal). Côté vitrine, le ventre est plat. Les cuisses, bien modelées, ne font pas du tout casse-noisettes.
Sans conteste, Il est chouette, le Seigneur, de te proposer un tel sujet, en rase campagne.
— Vous me permettez d’admirer ? demandé-je-t-il.
— C’est un bien grand mot ! répond-elle en souriant.
Je m’approche du chevalet. Elle travaille à l’aquarelle et je te supplie de croire qu’elle y tâte. Duraille à maîtriser. Chaque coup de pinceau est capital. Avec l’huile, tu peux avoir des remords, revenir sur ta barbouille en couches sédimentaires. Mais l’aquarelle te nique à la moindre faute de carre.
Je dis, en grande conviction :
— Magnifique !
— Vous exagérez ! fait-elle, sans donner dans la fausse modestie.
— Non, et vous le savez très bien. Quel dommage que cette œuvre ne soit pas finie !
— Pourquoi ?
— Vous l’auriez signée et ainsi j’aurais su votre nom.
Ça l’amuse. Elle aime ce genre de libertinerie.
— Je m’appelle Mélanie Izaure.
— J’ai entendu parler de vous, j’assure sincèrement.
— Vous croyez ?
— Pourquoi mentirais-je ? Tenez, vous avez exposé l’an dernier dans une galerie de Saint-Germain-des-Prés : « Le Sablier ».
— Exact. Vous avez de la mémoire !
— Et le goût du beau.
On bavasse à la décontracte. Mélanie me raconte qu’elle prépare pour Nathan un album consacré aux châteaux des XII eet XIII e siècles. Pour le réaliser, elle se respire une centaine de ces nobles demeures plus ou moins en ruine. Une cinquantaine déjà figurent dans ses cartons.
— Je vous fais perdre le rythme, m’excusé-je.
— Du tout ; j’allais m’arrêter.
Nous nous asseyons dans l’herbe rase et nous adossons à un muret.
— C’est l’heure de ma pause-casse-croûte, annonce-t-elle ; une saine habitude que mon père, médecin nutritionniste, m’avait inculquée.
Elle saisit un mignon sac tyrolien de cuir fauve gros comme les couilles de Béru. En extrait un thermos et un sandouiche enveloppé de papier d’alu.
Читать дальше