Le premier sort des cageots de légumes d’une fourgonnette, la seconde promène un aspirateur asthmatique sur la moquette de l’escalier.
— Vous désirez ? s’inquiète le cuistot.
— Une chambre, réponds-je.
Il sourcille, car il est infréquent qu’un quidam réclame une piaule aux premières heures de la matinée. Son regard souligné de bouffissures, dues à une insuffisance de sommeil autant qu’à un excédent d’alcool, s’emplit de perplexité d’abord, puis d’inquiétude. Je porte alors à ma connaissance que je suis inrasé, froissé, amer de la clape et chassieux des lanternes.
D’un sourire, j’essaie de lui inspirer confiance.
Vaine entreprise.
— Vous n’avez pas de bagages ?
— Si, mais ils sont restés chez moi.
Comprenant qu’il me faut mettre le pacsif, je lui flanque ma brème sous le blair. Tu crois que ça l’amadoue ? Il n’en renfrogne que davantage.
— Pourquoi la Police ? grommelle-t-il.
— Une vocation de jeunesse, réponds-je. Mais dites-moi, cher monsieur, vous êtes douanier ou hôtelier ? Je vous montre ma carte professionnelle indiquant le grade que j’assume à la P.J. de Paris. En outre je suis prêt à verser des arrhes. Éventuellement le président de la République peut se porter caution pour moi. Ces garanties suffisent-elles ? J’ajoute que le ministre des Finances est un ami intime qui se ferait un devoir de vous envoyer les polyvalents si vous le souhaitiez !
Contre toute attente, c’est l’aspireuse qui met les pendules à l’heure.
— M’sieur Paul, dit-elle, vous z’avez pas r’connu ce monsieur ? C’est lui qu’écrit les San-tantonio, dont Mme Marthe aime tant !
Dès lors (comme dit Jacques, qui aurait pu faire un geste, merde !) l’attitude du taulier passe de l’ombre à la lumière. J’ai droit à des salamalecs, des excuses, des courbettes, des serments. Plus à la meilleure chambre (avec balcon) de l’établissement.
Un peu plus tard, me voici à loilpé entre des draps de campagne parfumés à la lavande des Alpes. La préposée m’amène un pot de caoua et des tartines d’un pain croustillant, ainsi que du beurre et un pot de confitures de coings ! Tu noteras la fiabilité de mon tarbouif !
Je petitdéjeune en grande sérénité et de bon appétit. Pour ne pas risquer d’importunances ancillaires, je vais déposer mon plateau dans le couloir, pile à l’instant où une ravissante fille blonde en jean passe, bardée d’un attirail de peintre. Or il se trouve que je trique à en ridiculiser la colonne Vendôme.
L’exquise personne s’avise du phénomène, conserve son calme et va même jusqu’à m’adresser un sourire complimenteur.
— Votre journée commence bien, me dit-elle.
— Erreur, réponds-je : elle s’achève.
Je vais me coucher.
18
DES PUCES COMME
S’IL EN PLEUVAIT
M’éveille à cause des odeurs supraterrestres qui investissent mon nez délicat.
Me sens bien. Presque un peu heureux. Pas chaleureux, le taulier de l’auberge, mais j’ai idée qu’il y tâte au piano à queues (de casseroles). Mes babines s’humectent spontanément.
Babines ! Voilà ma joie sectionnée. Et pourquoi ? J’ignore où est Salami ; je passe désormais mon temps à le perdre, et c’est lui qui me retrouve.
Je récapitole (de Toulouse). Nous étions ensemble à la Grande Volière, cette noye, dans le bureau du commissaire Mayeul. Ensuite il y a eu cet appel téléphonique de la pseudo-Éléonore qui m’a incité à la décarrade express en compagnie du Gravos et de l’O.P. Hanoudeux. Donc le basset-houd est demeuré à la P.J.
Tu sais quoi, Eloi ? Il me manque. Mine de rien, il prend une place dans mon existence, ce surdoué !
Tout chagrin, démaquillé de l’intérieur, je m’offre une douche revigorante. Pas de rasoir. Je râperais une frangine si je la dégustais dans cet état. Tu crois que la Juliette Drouet aimait que son Totor lui fasse minouche ? Et Mme Gambetta, hein ? Mme Tristan Bernard ? Mme Castro ? Mme Charles Magne ? Mme Tolstoï ? Elles devaient avoir la peau des cuisses irritée, ces chéries. Cela dit, les sensations voluptueuses compensaient l’inflammation. Chacun voit midi à sa porte, disait mémé ; pour elle, y avait aucun doute : elle habitait en face de l’église !
Je déteste remettre mes effets de la veille. Chaque morninge je m’installe dans des vêtements nickel et dûment repassés. Si je m’attarde dans le pays, je m’achèterai du linge de corps.
La salle à briffer de L’Écu de Bourgogne compte quelques clients. Ces messieurs-dames (gens de passage principalement) sont en train de s’expliquer avec un lapin à la moutarde accompagné de polenta rissolée dans le beurre. Est-il aussi bon que celui de m’man ? Le plus simple, si je veux comparer, est d’en prendre.
Tout en clapant, je me livre à mon autocritique. Ainsi, je me demande quel démon à la mords-moi les burnes m’a incité à rester dans ce patelin, alors que j’ai tant et tant à faire à Lutèce.
Un serveur en pantalon noir trop court et veste blanche trop large vaque de table en table avec une expression si désolée qu’on a envie de lui proposer une virée au boxif de la ville.
— Monsieur boira du vin ? il s’informe, redoutant une réponse affirmative.
Nonobstant mon altruisme proverbial, je réponds qu’un bourgogne fruité, légèrement frais, éblouirait mes muqueuses.
Il est en train de me le faire déguster, quand la voix du Caruso des fourneaux retentit :
— Voulez-vous me flanquer ce chien dehors, Léonce !
— Tout de suite ! promet l’esclave.
Mais il n’a pas le temps d’interviendre : Salami, l’objet de ma contrariété, est déjà là, dressé sur sa base, ses antérieurs posés sur mon bénoche.
Il me sidérera toujours, le bougre.
— Cher ami, lui fais-je, ne me dites pas que vous venez de Paris à pied ?
Mon pote aux étiquettes traînantes secoue la tête.
— Auriez-vous fait du stop ?
Haussement d’épaules négatif du cador.
— Elle est à vous, cette bête ? s’informe le taulier, abasourdi.
— Ça n’est pas une bête : c’est mon secrétaire, réponds-je.
Puis, à Léonce le loufiat :
— Vous voulez bien rajouter un couvert pour mon collaborateur ? Ne lui servez pas de lapin, à cause des os qui sont traîtres chez ce volatile. Un filet de bœuf vous conviendrait-il, Salami ?
— Vouahi ! répond ce dernier, tout joyeux.
— Avec des pâtes comme garniture ?
— Vouahi !
Je fais signe à Léonce-le-Navré d’enregistrer la commande.
Mon compagnon retrouvé grimpe sur le siège que je lui désigne, visiblement satisfait.
— Mon bon, attaqué-je, expliquez-moi comment vous avez pu me rejoindre ?
Nous nous livrons alors à ce jeu « questions-réponses » qui nous conduit, par des chemins détournés, à un entretien détendu.
Tu finirais par trouver fastidieux ces échanges entre nous parce qu’ils manquent d’une spontanéité indispensable à un dialogue rapporté. Aussi, doré de l’avant et vu que tu as parfaitement compris le fonctionnement de nos rapports, je m’attacherai désormais à occulter leur motricité pour n’en conserver que l’essentiel.
Or donc, Salami m’explique qu’à son retour Quai des Orfraies, Bérurier s’est abandonné à une colère retentissante contre Hanoudeux qui, profitant de son sommeil, l’avait ramené à Paname sans le prévenir. Il hurlait au rapt, à la « violation de domicile sur sa personne ». Après avoir filé un bourre-pif au Clermontois, il s’était hâté de récupérer sa vénérable Citroën d’avant-guerre pour retourner dans l’Yonne. Mon fidèle clébard avait profité de son misérable véhicule.
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