Daniel Pennac - Au bonheur des ogres

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Au bonheur des ogres: краткое содержание, описание и аннотация

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Côté famille, maman s'est tirée une fois de plus en m'abandonnant les mômes, et le Petit s'est mis à rêver d'ogres Noël.
Côté cœur, tante Julia a été séduite par ma nature de bouc (de bouc émissaire).
Côté boulot, la première bombe a explosé au rayon des jouets, cinq minutes après mon passage. La deuxième, quinze jours plus tard, au rayon des pulls, sous mes yeux. Comme j'étais là aussi pour l'explosion de la troisième, ils m'ont tous soupçonné.
Pourquoi moi ?
Je dois avoir un don…

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— Maintenant, le Nicaragua aussi est foutu… le plaisir constructif.

Son visage, tordu par une expression de dégoût, se détend brusquement et sa belle voix rauque replonge dans d’heureuses certitudes :

— Heureusement, il restera toujours les Moïs, les Maoris, les Satarés…

Je dis :

— Les Satarés ?

— Les Satarés de l’Amazonie brésilienne !

Elle développe :

— Ils ont des muscles longs, nets, bien dessinés. Leurs épaules et leurs hanches ne fondent pas dans tes doigts. Leur queue a une douceur satinée que je n’ai trouvé nulle part ailleurs. Et quand ils t’enfourchent, ils s’éclairent de l’intérieur, comme des Gallé 1900, superbement cuivrés.

Et ainsi, tandis que le Paris hivernal et nocturne défile aux flancs de notre pirogue, tante Julia développe le corps somptueux de sa théorie. Selon elle, il n’y a que les révolutionnaires au lendemain de la victoire et les grands primitifs pour baiser correctement. Les uns et les autres ont l’éternité dans la tête, ils baisent au présent de l’indicatif, comme si ça devait durer toujours. Partout ailleurs dans le monde, on se trombine au passé ou au futur, on commémore ou on érige, on se perpétue ou on se multiplie, mais personne ne s’occupe de soi…

Sa voix est devenue extraordinairement convaincante :

— Je veux dire s’occuper de soi, là, de l’un et de l’autre, dans l’instant, de toi et de moi…

Pleins phares sur tante Julia. Je ne la lâche plus des yeux une seconde. Ses contours sont irisés par les lumières de la ville. Et puis soudain, elle m’apparaît tout entière, dans l’éclaboussement d’une vitrine de luminaires. (Mamma mia !…)

10

Nous avons laissé la bagnole en double file, nous avons grimpé mes deux étages comme si nous étions poursuivis, nous nous sommes jetés sur mon plumard comme dans un oued, nous nous sommes arraché nos vêtements comme s’ils étaient en flammes, ses deux seins m’ont explosé au visage, sa bouche s’est refermée sur moi, la mienne a trouvé le baiser palpitant de son désir Maori, nos mains ont galopé dans tous les sens, elles ont caressé, pétri, étreint, pénétré, nos jambes se sont enroulées, nos cuisses ont emprisonné nos joues, nos ventres et nos biceps se sont durcis, les ressorts du plumard ont répondu, les échos de ma chambre aussi, et puis, tout à coup, la superbe tête léonine de tante Julia a surgi au-dessus de la mêlée, auréolée de son incroyable crinière, et sa voix, maintenant rocailleuse, a demandé :

— Qu’est-ce que tu as ?

J’ai répondu :

— Rien.

Je n’ai rien. Absolument rien. Rien qu’un misérable mollusque lové entre ses deux coquilles. Qui ne veut pas sortir la tête. Par peur des bombes, j’imagine. Mais je sais que je me mens à moi-même. En fait, ma chambre est pleine de monde. Bourrée à craquer. Tout autour de mon plumard se dressent des spectateurs au garde-à-vous. Et pas n’importe quels spectateurs ! Toute une couronne de Sandinistes, de Cubains, de Moïs, de Satarés, à poil ou en uniforme, ceints d’arbalètes ou de Kalachnikov, cuivrés comme des statues, auréoles de poussière glorieuse. Ils bandent, eux ! Et les mains sur les hanches, ils nous font une haie d’honneur dense, tendue, arquée, qui me la coupe.

— Rien, je répète. Je n’ai rien. Excuse-moi.

Et, comme il n’y a rien d’autre à faire, je me marre.

— Parce qu’en plus, tu trouves ça drôle ?

On peut rigoler justement parce qu’on ne trouve pas ça drôle. Je le lui explique. Je m’excuse encore. Je lui dis que nous sommes entourés d’un jury olympique et que je n’ai jamais été doué pour les concours. Elle dit :

— Je comprends.

Et elle m’explique à son tour. Notre mésaventure sera d’ailleurs la conclusion de cette enquête sur les amours primitives et révolutionnaires qu’elle doit boucler pour le prochain numéro d’ Actuel .

— Ah ! je dis, parce que tu bosses à Actuel .

Oui, c’est là qu’elle travaille.

— Ce qui tue l’amour, vois-tu, c’est la culture amoureuse : tout homme banderait, s’il ne savait pas que les autres hommes bandent !

J’essaye de la caresser pendant qu’elle développe, mais elle écarte ma main. Pas de succédané.

— Oui, ce qui bousille la création, c’est la référence…

Où est Julius ? Je me demande où est Julius. Sans doute derrière les fourneaux de Hadouch. Putain de vie. Des bombes vous explosent sous les fesses, une coalition d’Indiens et de héros vous coupent la queue au ras du désir, et votre chien favori s’empiffre tranquillement dans votre restaurant habituel. Salaud de Julius, je ne te connais plus. Par trois fois. Le reniement de saint Pierre.

C’est évidemment le moment que choisit la porte de ma chambre pour s’ouvrir. Julius. Eh ! oui, c’est Julius.

11

Mais c’est aussi Thérèse. Thérèse reste debout sur le seuil. Julius reste assis à côté de Thérèse. Puis une autre tête émerge : Louna. Une autre encore : Jérémy, hissé sur ses pointes. Et maintenant, Clara. Ça se bouscule sans franchir le seuil. Thérèse dit :

— Ah ! tu es vivant…

Mi-figue mi-raisin.

Je désigne le mollusque d’un hochement de tête et je dis :

— Si peu…

Thérèse envoie son plus chaste rictus à ma camarade de chambre qui, toujours aussi nue, est resté bouche ouverte au milieu de son explication.

— Tante Julia, je suppose ?

Charmante petite sœur. Maintenant, le peu de prestige qui me reste boit la tasse fatale. Tante Julia sait qu’elle n’est pas la première tante Julia de ma vie. Si Thérèse continue sur sa lancée, Julia saura bientôt tout de mon mode de recrutement. Eh ! oui, j’ai honte. Je drague les belles voleuses du Magasin. C’est la triste vérité. L’homme est ignoble. Toutefois, il y a plus ignoble. Un autre homme. Cazeneuve, par exemple, ou tous les flics maison de son espèce, qui pourchassent les voleuses uniquement pour leur donner le choix entre un tour à la Direction ou une passe dans une cabine d’essayage. Moi, au moins, je ne viole pas. Je dirais même qu’à chaque fois que je séduis tante Julia, je la sauve d’un outrage. Ensuite, je fais ce que je peux.

Difficile de dire si Thérèse est heureuse de me voir vivant. Son royaume n’est pas de ce monde. C’est d’une voix parfaitement clinique qu’elle demande à Julia :

— Comment faites-vous pour dormir sur le ventre, avec de si gros seins ?

Julia écarquille les yeux. C’est cette expression de stupeur furieuse que saisit l’explosion du flash de Clara au-dessus de toutes les têtes.

Sur quoi, frères, sœurs et chien sont précipités à l’intérieur de la chambre sous la poussée hurlante d’une foule d’inconnus. Une bande rigolarde. Des corps à moitié nus, d’une beauté au moins égale à celle des Satarés de tante Julia. Tout ce beau monde plonge sur notre plumard et se met à nous caresser sous tous les angles. Exclamations diverses dans un idiome inconnu :

— Vixi Maria, que moça linda !

— E o rapaz também ! Olha ! 0 pelo tâo branco !

Julia fait une tête étrange, entre ravissement et incrédulité, comme si ses rêves venaient de prendre corps sous l’effet de sa frustration.

— Parece o menino Jesus mesmo !

Cette dernière réplique sur un ton si drôle que tout le monde se marre, même ceux qui ne comprennent pas. Les caresses redoublent, le flash de Clara crépite, Julius essaye de se frayer un chemin jusqu’à son maître, Jérémy ouvre des yeux comme des soucoupes, Louna sourit comme une femme enceinte, le Petit bat des mains en sautant à pieds joints, Thérèse attend que ça passe, Julia commence à rendre caresse pour caresse, et moi, j’ai une peur terrible de voir débarquer l’Assistante Fée Sociale, escortée de l’Ange des Mœurs, le bleu, avec le képi.

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