Il obéit.
— N’essaie pas de fuir, Mathias, je tire plus vite que tu ne cours ! Et n’essaie pas de prendre ton feu, je tire en outre plus vite que toi !
Il descend de l’auto, moi sur ses talons. Il ouvre l’autre portière et tire Gretta. Des larmes coulent sur son visage exsangue.
— Tu l’aimais vraiment ?
— Oui, San-A. C’est elle qui a tout combiné, j’ai perdu la tête.
— Bon, chope-la et va !
Il la prend dans ses bras, sans répulsion, non comme on porte un cadavre, mais comme on trimbale la femme aimée…
Nous foulons des fougères sauvages… Nous entrons dans l’humidité sombre de la forêt. Une lumière d’église bleutée, douillette, aqueuse, baigne le sous-bois.
Je vois, à dix mètres, un taillis.
— Dépose-la là-dedans, Mathias.
Il s’avance en titubant, s’agenouille lentement et la dépose dans la broussaille emperlée de rosée.
Puis il se redresse, indécis, les bras ballants, la bouche entrouverte. Il me regarde. Je me tiens en face de lui, le revolver appuyé contre ma hanche…
— Qu’est-ce que tu vas faire, maintenant ? demande-t-il d’une voix déjà morte.
Je soupire, le gosier sec comme de l’amadou :
— Que veux-tu que je fasse ?
Je presse sur la gâchette jusqu’à ce que la détente de l’arme fonctionne à vide. Puis je la jette sur le corps de Mathias qui frémit dans les ronces.
Tête baissée, je reviens à l’auto. Je vérifie que le million et les papiers de douane s’y trouvent bien. Je me glisse derrière le volant. J’ai un poids dans la poitrine…
Cette bagnole ricaine est à embrayage automatique.
Je démarre tout doucettement. Il fait frais dans cette forêt… Une fraîcheur, non pas d’église, mais de caveau.
Je roule doucement, comme un homme qui se promène après avoir terminé son travail. Et le mien a été épuisant, déprimant.
Çà et là, des panneaux d’émail continuent de demander pitié pour les chevreuils.
Je les regarde tristement. Les gens de la Confédération sont bons pour les animaux. C’est entendu, amis suisses ; je vais faire attention aux chevreuils !
FIN
Authentique.
Une phrase de ce genre appartient à ce que j'appelle la fausse littérature. Bien qu'apportant à cet ouvrage une note relativement poétique, elle utilise pour cela des clichés périmés qui seraient indignes d'un écrivain de mon talent s'ils ne se trouvaient là à titre d'exemple.
Que de force, que d'originalité dans cette image ! San-Antonio est décidément le romancier qui domine sa génération.
Sainte-Beuve.
L'auteur a dû vouloir dire sur la Comète.
Les Editeurs.
San-Antonio est le maître incontesté de la métaphore.
Saint-Simon.
San-Antonio ne serait-il pas notre plus authentique poète ?
Diderot.
D'aucuns me reprocheront sans doute l'extrême facilité de ce calembour. Je leur répliquerai qu'on peut faire des plaisanteries de garçon de bain sur les têtards.
Pourquoi ne pas souligner au passage la joliesse de l'expression ? Ah ! San-Antonio mérite dix fois le Goncourt.
Musset.
Je suis un homme franc. Il m'arrive de bluffer un peu quelquefois, mais c'est par poésie, pour « faire joli ». Alors je vais vous faire une confession publique, je vais vous dire la vérité dans toute son horreur : je n'ai jamais vu manger des Turcs.
L'art de San-Antonio, c'est de toujours trouver la comparaison qui fait mouche.
Fly-Tox.
Il est évident qu'une telle image manque de vigueur. Pourtant, un romancier se doit parfois de sacrifier à la tradition. Cette tradition veut qu'un silence soit nocturne, un confrère éminent, un économiste distingué et la Belgique une vaillante petite nation.
Que de fraîcheur ! Comme ça pétille !
Excusez-moi une minute, il faut que j'aille m'acheter une boîte d'épithètes au tabac d'en bas.
San-Antonio aurait-il lu Colette ?
Montaigne.