Ma chère petite « abbé » appelle à l’aide. Refoule vers la maison où l’on commence à voir poindre la tête frisottée du maître d’hôtel.
— Appelez la police ! La police ! crie-t-elle.
Elle pointe le doigt sur Béru et moi, en balayant l’air, crie : « Ils vont tous nous tuer. C’étaient leurs complices. »
Y a des instants, dans la vie, que tu te sens capable de gambader dans les nuages sans ballons rouges, d’accord ? Tu es plus invincible qu’un camé qu’a les fosses nasales comme des escargots à la parisienne avant cuisson. Tu te mets à jouir d’une lucidité forcenée. Le chemin à suivre s’étale devant toi tels les Champs-Elysées un dimanche d’août.
Moi, c’est comme si je me réveillais dans une auberge de campagne après douze heures de sommeil. Je suis reposé, disponible, d’attaque, clairvoyant, bien dans ma peau ! Une félicité rose est en moi, solidement ancrée. Mon cœur fait de la chaise longue. Mon cerveau s’est rechargé comme ces lampes qu’on branche dans une prise pendant la nuit.
— Gros, dis-je. Va chercher la grosse tire américaine, sur l’esplanade devant la crèche, et amène-toi ici, tant pis pour les belles plates-bandes…
Dans les cas difficiles, Pépère ne s’égare jamais en parlotes, vous l’avez observé. Il agit avec des gestes qui négocient leurs virages.
Le v’là qu’enfouille ses deux rapières et qui fonctionne au pas de charge (celle des éléphants dans le « Livre de la jungle »).
Le gars moi-même, fils unique et largement préféré de Félicie, s’avance alors vers le salon, glissant dans le raisin, enjambant des cadavres.
Parvenu au niveau de « l’Homme », je me penche sur lui pour le palper.
Le cœur cigogne correctement.
— Eh, Eve ! L’abbé ! Charly ! Mam’selle X… ! lancé-je à la môme curatière. Regarde !
Pas besoin de la supplier !
Elle me fixait déjà. Et intensément, je peux vous le bonnir. D’autant plus qu’elle tient un flingue, pris je ne sais où, probablement dans sa soutane. Elle me fixait d’un œil, la chérie, d’un seul, vu qu’elle s’apprêtait à m’assaisonner de première. Ce qui m’a poussé à l’interpeller à cette fraction de seconde précise, vous pouvez m’expliquer ? Moi non, mais ça n’a pas d’importance, hein ? On va pas s’introspecter le rectum au moment de sonner l’hallali. Je me jette à plat ventre contre Martin Braham. Une balle siffle un mètre soixante au-dessus de nos têtes environ (pas le temps de mesurer).
— Petite salope ! crié-je.
Mon feu aboie [44] Toujours dans un roman d’action. Si t’as pas le revolver qu’aboie, on te retire ta licence temporairement. Les revolvers aboient et les balles miaulent !
. Elle pousse un cri. Son arme tombe sur le dallage. Elle a dégusté une prune calibrée dans sa gente menotte.
J’aime pas beaucoup défourailler sur une gonzesse, fût-elle l’avant-dernière des dernières, mais l’instinct de conversation oblige, mes biquettes. Un homme, sa peau est en danger, il fait n’importe quoi pour se la mettre à l’antimite.
Elle pousse des glapissements en tenant sa main blessée de sa main valide. Chouette que l’humain ait deux pattes, non ? Y en a toujours une pour aider l’autre. Je crois que le sens de l’amitié nous vient de nos deux mains.
— Ho, Eve ! Regarde, te disais-je.
Malgré sa souffrance, elle mate.
Je fais sauter mon revolver dans ma pogne, acrobatiquement, de manière à le bicher par le canon.
Et alors « rrrran ! ». En force, Je l’abats sur la pagode de Martin Braham.
« L’Homme » [45] J’oubliais de vous dire : en anglais, « the man ». A votre service.
a un soubresaut qui se poursuit par de longues vibrations. L’en a pour un moment.
— Maintenant approche, miss Curé !
Elle est épouvantée par ma réaction. Elle en oublie de pouponner sa main blessée. Voyant qu’elle ne bronche pas, je reprends mon arme par le manche et appuie le canon sur la calebasse de Martin.
— Viens ici, ou je le plombe !
Elle s’approche, d’une allure d’intermédium. Au même moment, le commandant Bérurier et son équipage se pointent sur la terrasse, après avoir anéanti vingt-huit rosiers nains.
— Fissa, Gros ! jeté-je, on joue la montre. Charge ce mec (je désigne le tueur) ainsi que ces deux femmes !
Je lui montre Inès et l’abbé.
Le Mastar coule un œil amusé à Eve.
— C’est vrai, qu’il aurait fait une jolie dame si qu’il serait pas entré dans les ordres, convient l’Infâme.
Ils sont tous les trois empilés à l’arrière de la chignole. Agenouillé sur la banquette avant, Béru les braque de sa paire de flingues obligeamment remis par ces messieurs clowns, comme pièces à conviction.
Moi, je conduis vite. Tout en bombant, je me livre à des supputations. Les domestiques doivent faire fonctionner le bigophone. Réveiller les pandores au milieu de la noye, ça demande du temps. Les archers ne vont pas faire des barrages sur un simple coup de grelot. Ils iront procéder auparavant à des constatations sur les lieux de la tuerie. Tout ça va bien demander une petite heure avant que ça chauffée fort. Donc, j’ai le temps.
Agir promptement, mais ne pas s’emballer. Jamais confondre chaude-pisse et première communion., c’est pas le même cierge qui coule, comme aurait dit Paul Claudel dans son ode à Pompidou.
L’autoroute…
J’écrase. Cette tuture a une puissance qui te plaque au dossier dès que tu lui titilles le champignon.
Le ruban déferle sous nos boudins comme dans un film-poursuite.
Et puis, très vite, c’est l’aéroport. La piste est illuminée. Le bâtiment est presque désert. Je stoppe sur une zone d’ombre du parking.
— Attends-moi là, Gros. Ouvre le zœil et défouraille dès que ça remue dans le tas.
— P’t’être même avant ! promet le Mastar. J’en ai gros comme le Teide sur la patate, moi.
L’abandonnant à ses rancœurs, je pénètre dans l’aéroport. Mon vaporisateur est dans ma poche, mais je conserve la main sur la grosse crosse. Ce que je fais là est d’une témérité délirante, seulement je suis un téméraire délirant !
Comme pressenti de l’extérieur, tout est désert. Les guichets sont vides. Y a personne ! Mais alors personne dans le hall des départs. Rien de plus déroutant que cet immense local neuf, grandement éclairé, où l’on ne voit âme qui vive.
Je grimpe au premier, là où s’effectuent les embarquements.
Je découvre un très vieux mec en combinaison bleue rapiécée occupé à balayer un espace dont il semble qu’il n’aura jamais suffisamment de temps à vivre pour finir de le traverser.
— Señor !
Il lève des yeux blanchâtres sur l’éminent San-Antonio.
— Y a-t-il encore un avion en partance ?
— Non.
— Il y a longtemps que le dernier est parti ?
Il hausse les épaules, regarde en direction de la piste…
— Il va partir.
— Pour où ?
— J’sais pas [46] Rien de plus ardu que de traduire « j’sais pas » en espagnol. Mais le traduire DE l’espagnol, alors là, c’est the prouesse.
. C’est un vol privé.
Je cours à la porte des départs. Fermée ! A une autre : fermée. Vite ! N. de D… [47] Nom de Dieu.
Vite ! N. de F… [48] Nom de Foutre.
. La dernière… Fermée de même ! Je tambourine, m’y retourne les ongles. Cherche le système de déclenchement de la cellule photo-électrique ! Ne trouve pas, N.R.F. [49] Nouvelle Revue Française.
.
J’interpelle le maître de balai.
— Comment ouvre-t-on ? Ça urge !
— C’est défendu. Fini, fermé !
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