Je ramasse son feu et fonce vers le poste de pilotage. La porte en est entrouverte. J’avise les deux copains du borgne, de dos. Ils gueulent en suraigu des instructions au pilote. Ce dernier dénègue tant que ça peut, affirmant qu’il lui est impossible de poser son long-courrier sur cet aéroport (je n’ai pas entendu duquel il s’agit).
Perplexe, je me demande comment poursuivre ma petite opération de commando. Ils sont deux. S’il y a le moindre grabuge, le cockpit risque d’éclater et alors l’avion dépressurisé deviendra incontrôlable.
Pour éviter des désagréments, je règle l’arme sur le coup par coup. Pas moyen de prendre des gants, il faut agir à une vitesse supersonique. Je glisse la pointe de mon soulier dans l’entrebâillement et j’entreprends d’ouvrir très lentement la porte. Allez, à toi ! C’est du tout de suite ou alors le grand valdingue pour tous. Le salut de plusieurs centaines de pégreleux dépend de ta promptitude et de ta détermination, Tonio. Je les vise aux rognons. Les balles resteront dans leurs brioches, au pire elles se perdront dans les dossiers des pilotes. De la méthode. Pas de quartier !
Tchouf ! (virgule) Tchouf !
Les deux gonziers bondissent sous le double impact. Je suis prêt. Y a tellement peu de place dans l’habitacle et ils sont si vilainement touchés qu’ils n’ont pas le loisir d’organiser leur riposte. Avant même d’avoir vu leur antagoniste ils sont abattus d’un seul coup de crosse ravageur à travers la gueule. Le même pour les deux. Le premier a une dizaine de ratiches déclavetées par l’impact. Le second, un peu plus petit que son pote, déguste la fin de course sur le temporal.
Ils se rebiffent encore cependant. Alors, mézigue, pensant aux chers passagers, ne pensant qu’à eux, je le jure, j’écrase le pif du plus belliqueux. Sonné. Le second essaie de me pointer avec son feu. Il a droit à une praline dans le cœur. La dernière du magasin ! Un lot, une affaire !
A présent, la situation est éclaircie. Le captain Godiveau, un peu emperlé de sueur, me regarde.
— Beau travail. Vous êtes du métier ?
— Plus ou moins, mais oubliez de me le demander en public, je vous prie.
Clin d’œil.
Il me tend la main.
— Sans vous, on n’était pas encore sortis de la merde ! déclare-t-il.
Le radio tube tous azimuts que les détourneurs viennent d’être neutralisés et réclame des instructions. On lui répond de retourner se poser à Paris.
— Où ces messieurs voulaient-ils se rendre ? demandé-je.
— Gibraltar.
De saisissement, j’ai mon testicule droit qui m’échappe du kangourou.
— A Gibraltar ?
— Textuel !
— Mais dans quel but ? C’était une opération sans perspectives pour eux.
— Il faut croire que si !
Aidé des stewards, j’entrave les deux forcenés encore vivants pour pallier toute mauvaise surprise.
Quand je réapparais, c’est un slave d’applaudissements, comme dit Béru. Tout le monde veut me congratuler. Les mains se tendent vers moi. Y a une dame qui me touche la queue en douce, un prince arabe par contumace me file dans la poche une chevalière ornée d’un caillou de quinze carats.
Je parviens à endiguer le flot de reconnaissance et à retrouver ma place auprès de la belle Hindoue.
Elle a un léger hochement de tête.
— C’était très bien, me dit-elle. Sans doute nous avez-vous sauvé la vie, à tous ?
Et moi… Non, je te jure, y a des moments je me demande pourquoi je cède à de telles impulsions.
Moi, de lui demander :
— Votre pouvoir est resté sans effet sur cet homme, n’est-ce pas ?
Tu crois qu’elle est stupéfiée, qu’elle s’écrie quoi et qu’est-ce ? Mon cul !
— Il n’agit qu’après une longue préparation, me dit-elle.
C’est tout. Elle regarde sa montre et soupire :
— Je me demande quand j’arriverai au Caire !
Du coup, c’est messire ma pomme qui est baba.
Décontenancerté, je vais secouer Pinaud qui dort comme mille bienheureux.
— On est arrivés ? il demande.
Le chéri ! En pleine roupille il ne s’est même pas aperçu de ce qui s’est passé à bord.
— Pas encore.
— Alors, pourquoi me réveilles-tu ?
C’est vrai : pourquoi ?
J’ai beau me sonder la vessie, j’arrive pas à piger la raison qui m’a poussé à faire allusion au don de la belle Hindoue ; je n’assimile pas davantage son manque de surprise comme je lui ai balancé la vanne. A croire que tout cela était cousu de fil blanc, qu’elle « savait » ce que je faisais auprès d’elle et que mon subconscient avait pigé qu’elle était au courant. Peut-être qu’on s’entre-télépathait, les deux ? Il est des zones mal explorées de notre existence, Dieu merci. Des pages non écrites, laissées à notre discrétion, sur lesquelles nous tentons maladroitement de tracer des bribes de notre destin. Mais ouitche, il s’agit de bâtons maladroits, tremblés, qui n’expriment que notre ignorance profonde.
— Savez-vous qui je suis ? lui demandé-je, mi-figue sèche, mi-raisin de Corinthe.
Elle opine.
Sa peau est plus douce que celle d’une pêche ou que la peau d’un soir d’été. Son regard brille comme des pierres noires. Cette fille est un mystère vivant. Cependant, bien qu’elle soit belle et faite à la perfection, elle ne m’inspire aucun désir. Tu admires probablement la Joconde, ô lecteur de mon père, ô mon lecteur que j’aime ! mais tu n’as pas pour autant envie de la baiser ; ou alors dis-le-moi et je t’indiquerai l’adresse d’un copain à moi psychiatre qui est un peu moins con que les autres.
— Et qui suis-je ? insisté-je, non sans une niaiserie sous-jacente d’écolier qui se tient les bourses et demande à un copain de deviner combien il a de couilles dans sa main.
Elle dit :
— Vous êtes l’homme embusqué au premier étage de l’Elysée pendant la réception et qui m’a dérangée.
— Touché ! dis-je, en bretteur magnanime.
Un silence.
— Vous prétendez que je vous ai dérangée, enchaîné-je, effectivement vous êtes partie précipitamment.
— Parce que les transes interrompues me provoquent des douleurs très pénibles.
— Navré de vous les avoir infligées. Je me félicite tout de même que mon intervention ait pu suspendre le « traitement » que vous infligiez au Président de ma République.
— Et pourquoi le souhaitez-vous ? rebiffe-t-elle avec une vivacité tout à fait féminine.
— Parce que je tiens au parfait équilibre du personnage qui assume le fonctionnement du pays.
— Eh bien ! on ne le dirait pas ! maussade-t-elle.
Je me mets en état d’alerte générale, avec tous mes clignotants au rouge et mes sonneries d’alarme en tohubohance.
— Prétendriez-vous, mademoiselle… Mademoiselle comment, au fait ?
— Iria Jélaraipur.
— Prétendriez-vous, mademoiselle Jélaraipur, que vos agissements vis-à-vis du Président soient bénéfiques pour lui ?
— Bien entendu !
— J’aimerais que vous développiez votre argument.
— Vous n’êtes donc pas au courant des troubles dont souffre cet homme ?
— Si, et alors ?
— Lorsque son entourage les a constatés, on a fait appel à la médecine légale ; mais cela n’a rien donné sinon des avis contraires et des analyses inutiles. En désespoir de cause, et sur le conseil d’une éminente personnalité de l’Etat ayant séjourné en Inde, on m’a priée d’intervenir.
Alors là, baby, je choucroute du bulbe comme tu ne sauras jamais, ô toi qu’en secret j’adore. Mes ondes gougnafiennes partent dans toutes les directions en un chassé (le naturel, il revient au) croisé infernal.
Читать дальше