« Evidemment, songé-je, elle va faire donner ses dons à pleins gaz pour neutraliser les terroristes. »
Mais l’homme armé ne paraît pas incommodé. C’est un Arabe bien mis : costard léger dans les bleu foncé, chemise blanche. Il a chaussé des lunettes teintées à grosse monture.
Campé au bout de l’allée, il tient son avant-bras gauche replié à hauteur de la poitrine. Le canon de son arme est posé sur son poignet. On devine l’homme entraîné, doté d’un calme à toute épreuve.
Ce qui m’inquiète le plus chez lui, c’est qu’il prend un foot terrible à vivre cette situasse, à la créer. Mauvais : l’homme grisé est dangereux.
Je pressens que ce lascar vilain a un louche appétit de meurtre. Il ne rêve que d’allumer l’un de nous afin de créer l’irréparable. Lorsqu’il aura buté un passager, il aura assuré sa suprématie. Et c’est de cela qu’il a besoin. Alors, gare aux taches !
Ce qui se passe, pendant ce temps, dans le poste de pilotage n’est pas duraille à imaginer. Contrainte du pilote. On lui impose un itinéraire imprévu. Beyrouth ? Tripoli ? Damas ? Avec eux c’est toujours du kif (si je puis dire). Les croisières terroristes varient peu. Jamais encore des détourneurs de zincs n’ont obligé un pilote à se poser à Oslo, à Varsovie ou à Londres.
Voilà soudain qu’un passager de la classe éco, un grand blond en T-shirt noir qu’il y a marqué dessus I cœur N Y en blanc et rouge, se met à jouer Bayard. Il s’est emparé d’une bouteille de vin non encore débouchée accompagnant son plateau repas, et avec une adresse diabolique (il est joueur de base-ball) la propulse sur notre tagoniste. Le flacon a trop de trajet à parcourir pour avoir une chance de surprendre le gars. Pourtant, il est si tellement vachement bien lancé qu’il l’atteint à l’épaule, malgré son esquive pivotante.
En riposte, le terroriste virgule une volée de frelons. Ça fait comme une brève quinte de toux catarrheuse. Trois personnes sont touchées : une vieille dame à cheveux blancs, le grand blond et un gros Levantin grisonnant. Ce dernier a été praliné au-dessus de l’oreille et il lui manque un petit bout de tronche. Le blond s’en est effacé un max dans le T-shirt où le rouge domine de plus en plus. La vieille dame anglaise, je te parie la petite Albion contre la grande, tellement elle reste digne, s’est fait scrafer la main droite dont avec laquelle elle tenait les pages 11 et 12 du Times.
Les autres passagers se mettent à geindre, vagir, vageindre, tout ça en chœur. J’en entends même qui prient.
La rafale a dû calmer les nerfs du gars qui s’est payé sa tournée de suprématie absolue.
— Le premier qui bouge, je fais sauter l’avion ! bieurle-t-il en sortant avec sa main libre une grenade de sa fouille.
Une courageuse hôtesse, si jolie que l’archevêque de Canterbury l’échangerait contre son archevêché, s’adresse au terroriste :
— On ne peut pas laisser ces blessés sans soins ! elle lui supplie, il faut faire quelque chose.
L’homme, tu sais quoi ? Il lui file un coup de crosse sur la nuque en guise de réponse et l’exquise s’écroule. Le silence qui succède nous semble survenir du cosmos. On n’entend plus le bruit des réacteurs. On ne perçoit plus le moindre gémissement. C’est un instant en dehors du temps. Nécessaire pour assainir un peu la conjoncture présente. Dans un coup de main de ce genre, il existe une période confuse, celle au cours de laquelle attaquants et attaqués lient connaissance. Bourreau et victimes vivent une tranche d’existence commune qui les rapproche bon gré mal gré.
Au bout d’un lapsus de temps assez important (comme le dit Béru), l’homme au pistolet-mitrailleur demande, d’un ton féroce :
— Y a-t-il un médecin dans l’avion ?
Tu verrais la promptitude du mec ! Pas dire deux fois.
Je lève la main.
— Moi !
Le zigomuche me fait signe de me lever. Je m’exécute (ce qui est mieux que de me laisser exécuter par lui).
— Occupez-vous des blessés. Et tenez-vous tranquille !
Sans un mot, je m’approche des trois personnes qu’il vient de pistolo-mitrailler.
Le blond a perdu connaissance et râle avec tant d’insistance qu’on le dissuaderait d’essayer de vivre encore. Le gros type au crâne ébréché touche sa plaie pâteuse, gluante, dégoulinante, se regarde les doigts, les reporte à sa tempe, recommence, apeuré comme s’il s’attendait à ce que sa cervelle lui choie dans la main. Je me tourne vers le terroriste.
— Qu’on me donne la trousse de secours, vite !
Il a une brève hésitation, puis ordonne à l’une des hôtesses de déférer à mon exigence. Ma pomme, à toute vibure, dresse un plan d’action. L’homme des cas désespérés, tu le sais. Dans un premier temps, continuer de chiquer au toubib puis agir dès qu’il sera moins sur le qui-vive.
On me donne une boîte métallique frappée de la Croix-Rouge. Alcool à nonante degrés. Ça ne peut pas faire de mal au blessé. Un tampon bien imbibé. Je le plaque sur la plaie. L’autre croit que sa trombine prend feu et hurle à gorge d’employé. Je maintiens le tampon à l’aide de sparadrap. A la vieille Britiche à présent. Sa main anglaise est en bouillie. Elle a été déchiquetée par le projectile et les doigts — à l’exception du pouce — pendent, seulement accrochés par des lambeaux de viandasse. J’arrache le couvercle d’une boîte de compresses, place sa pauvre dextre à plat, dessus.
— Serrez fortement les dents, madame ! l’exhorté-je.
J’arrose le tout d’alcool. Mémère reste impavide comme si elle continuait de ligoter son baveux devant un feu de tourbe.
Ensuite, j’entortille de gaze main et couvercle ; puis je confectionne un support pour lui permettre de conserver sa main au-dessus de son ventre, à l’horizontale. La pharmacie contient quelques seringues toutes prêtes de sérum antitétanique.
— Vous allez me piquer ? elle demande, effrayée.
— Il le faut, madame.
— Quelle horreur ! Devant tout le monde !
— Allons vers l’avant, derrière le rideau.
Je la laisse passer. Elle marche en direction du terroriste, pâle et vaillante, anglaise, quoi ! Je la suis, tenant la seringue pointe en l’air, décapuchonnée.
— Stop ! hurle le type au pistolet.
On s’immobilise.
— Que faites-vous ? il s’inquiète.
— Madame refuse que je lui fase une piqûre devant tout le monde, expliqué-je en m’approchant. Elle est britannique et vous connaissez le puritanisme de ces gens ?
— Vous la lui faites ici, ou pas ! tranche le terroriste.
La vieille secoue la tête.
— Non, non ! Un peu de délicatesse, je vous en prie. On peut être terroriste et demeurer gentleman !
L’autre lui coule un regard sauvage.
— Alors, pas de piqûre, espèce de vieille carne occidentale !
Pendant qu’il s’adresse à mémère, je suis parvenu à gagner quelques centimètres encore dans sa direction.
— Voyons, madame, laissez-vous faire, les passagers détourneront la tête, plaidé-je.
Mais elle s’obstine :
— N’insistez pas !
J’ai un geste d’impuissance, ma seringue toujours en main.
— Ça suffit, dit l’assaillant, laissez tomber.
— Ma foi, je ne peux pas aller contre sa volonté, déclaré-je avec un haussement d’épaules.
Et vzoum ! Je me fends ! A la fin de l’envoi je touche. Je ne connais que certains cobras de Saône-et-Loire capables d’une telle promptitude. Personne n’a eu le temps de voir ce que je faisais. Même pas le terroriste. Il a pris l’aiguille de la seringue dans l’œil gauche et pousse un cri sauvage. Il n’a même pas le réflexe de me flinguer. D’un bond, je suis sur lui, le bloquant d’une formidable manchette à la glotte. Il choit.
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