J’ai conscience du danger. Aussi hurlé-je d’une voix capable d’assurer l’évacuation du paquemoche Antilles un jour qu’il s’est planté sur son suppositoire de béton :
— Escouade 4, placez-vous au fond du couloir ! Mettez vos masques ! Les grenades sont prêtes ? O.K. ! Que l’escouade 3 bis demeure dans la cave ! Les services du chmoltage sont arrivés ? Bravo ! Alors le dispositif 116, d’urgence ! Terminé !
Le tout en me pinçant le nez et en cavernant ma voix pour lui donner des inflexions métalliques.
Je vous jure, mes chers, mes braves, mes loyaux amis, y a que San-Antonio pour se payer un culot aussi phénoménal. Depuis les Pieds-Nickelés vous avez vu ça aut’ part, vous ? Je cause aux anciens ! Non, n’est-ce pas ? C’est du bluff d’une primarité exorbitante. Même à la télé, on vous montrerait ça, vous casseriez votre récepteur à coups de marteau. Personne d’autre que moi peut se permettre. Le moindre de mes confrères (et Dieu sait si y en a des moindres parmi eux) oserait écrire une chose pareille, le comité de lecture lui voterait illico un blâme. On lui diminuerait ses droits. L’obligerait à venir passer la paille de fer dans les burlingues pendant le véquande. Faudrait qu’il fasse des merveilles, pour se rattraper l’estime de la maison. Des bassesses ! Des cadeaux ! Des gâteaux ! Des gâteries ! Des pipes ! Qu’il envoie des fleurs ! Qu’il demande pardon ! Qu’il récite son mea culpa ! Se prosterne ! Qu’il embrasse des anus à la ronde ! Qu’il monte chez le boss à genoux ! Qu’il jure sur sa vieille môman, sur sa femme, sur ses chiareux, de jamais plus recommencer ! Qu’il produise un certificat médical ! Qu’il aille en cure de repos ! Qu’il abjure ! Qu’il conjure ! Qu’il suce !
Mais moi, San-A., je ne renâcle pas. Ce qui m’importe, c’est le résultat.
Gagner ! V’là le mot lâché !
Gagner à être méconnu ! Tous les procédés me sont bons pour camoufler mon génie. Faut que je me retienne jusqu’à ce que la vessie du cerveau m’en pète ! M’abandonner me serait fatal. Je suis condamné à être découvert sans trêve. Je suis une terre sordide avec quelques truffes ! Quand ils en brandissent une, ils prennent leur pied. En v’là une, qu’ils exclament ! Photo ! La téloche se pointe, alertée. « Santonio, paraîtrait qu’on aurait découvert une truffe dans vot’ fumier ? Comment t’est-ce vous espliquez le phénomène ? Y a quoi donc comme antécédent dans votre pedigree ? Une duchesse russe ? Vous seriez pas le fils naturel de Montherlant ? Est-ce que vous vous tripotiez la zézette avant d’être sevré ? C’est vrai qu’on vous a élevé uniquement au phosphore pasteurisé ? Ou si on mettait de la cervelle en poudre dans votre biberon ? Quand vous calcez une sœur, votre moi second prendrait pas de la gîte, par hasard ? » Tel que je vous l’annonce.
Alors vous me voyez débouler avec un panier de truffes au bras ? Pour le coup, mon abondance me cisaille. Les v’là à faire le fin bec. Les dégoûtés ! « Dites, c’est pas de la truffe surchoix, ça ! Elle a le goût de la merde ! Vous vous laissez aller… » Moi, pas si tronche, je parsème seulement. Sans compter que, n’en déplaise à La Mazière, à Max et à d’autres grosses maîtresses-queues de la capitale, c’est pas bon, une truffe toute seule ! Ça un goût de pneu tubless moisi. Même en sauce ! Ça n’a qu’une chose pour soi : ça coûte cher. Là, je conviens. C’est gros comme une burne de sous-lieutenant de cavalerie et t’en as tout de suite pour trois quatre sacotins ! Le prix te neutralise. Non seulement faut que tu te fasses tarter à bouffer ce truc affreux, mais de plus tu te dois de clamer ton admiration ! L’intensité de tes délices ! Tu te mets les muqueuses à plat. Tu transcendantes tes papilles ! Chiasse de truffe !
La truffe nous berlure, les gars.
Voulez-vous que je vous dise ? C’est de la cochonnerie !
Assez de digressions ! En fin de livre, j’ai tort. Y en a qui sont déjà partis, vous dites ? Bon vent !
Rien ne bouge dans cette maison souterraine. Alors au travail, mon commissaire bien-aimé !
Je constate que toutes les portes sont munies d’un verrou extérieur, comme des portes de cellules pénitencières. Assez discret, le verrou. Mais efficace. Autre similitude avec des lourdes de prison, celles-ci comportant un judas. Un petit trou rond à lentille. Un œil optique, comme l’appellent les quincailliers pléonastes.
J’approche ma prunelle du premier. J’avise, grâce au grand angulaire, la pièce dans son entier. Elle n’a rien d’une geôle, je vous le garantis [41] Je n'ai pas le temps de signer le bon de garantie maintenant, je vous l'enverrai par la poste (ou par l'imposte).
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C’est d’un luxe ! Mais alors d’un luxe vraiment luxuriant. Ces murs tapissés de satin mauve ! Ces meubles Louis XVI d’époque (de la nôtre). Ces canapés dont on sent la mœlleur. Ces tableaux de maîtres et de contremaîtres. Ces tapis en couches successives, comme un schéma représentant l’écorce terrestre. Fabuleux, je vous le réitère.
Je pousse mentalement un cri de surprise.
Pas tellement à cause du confort suprême de cette pièce, mais principalement à cause de son occupant. Vous savez de qui il s’agit ? Vous donnez votre langue au chat ? Eh ben vous avez raison, parce que je n’en voudrais pas pour un empire, chargée comme elle est !
Ici, sous mes yeux, à trois mètres, assis dans un fauteuil et lisant un ouvrage d’art, j’aperçois l’émir Shâ-Pômhou, l’ancien maître du Kâtchâdeil, dont on a annoncé la mort tragique, voici un an, dans les ruines de Chachédubrakmâr sa capitale.
Ah, vraiment, les bras m’en tombent, comme disait un cul-de-jatte en admiration devant un tronc. J’aurais imaginé n’importe quoi, et même autre chose, mais pas ça ! Shâ-Pômhou en personne ! A Nogent ! Vous l’auriez cru, vous ? Regardez-moi bien dans les yeux malgré votre strabisme, et répondez. C’est une idée qui vous serait venue ?
Ah bon !
Mais bougez pas, comme disait Alfred Velpeau à une dame blessée qui le faisait bander, je ne suis qu’au bout de l’extrémité du commencement de mes surprises.
Je passe à une seconde porte. Je mate.
Retenez-moi, les gars ! Le second pensionnaire de Just Huncoudanlproz, c’est Mik Ballhole, le diplomate anglais dont on a signalé la disparition le mois dernier et qu’on croyait parti à l’Est. A l’est d’ (Anthony) Eden. Troisième chambre, troisième stupeur : j’y débusque un vieillard chenu en qui j’ai toutes les peines du monde de reconnaître Anatole Corallien, le fameux banquier qui tua le grand-père de sa maîtresse, après avoir abusé de lui. On se souvient que le brasseur de fric s’enfuit, son forfait commis. On trouva trace de son passage en Suisse, puis aux Nouvelles-Zébrides après quoi, fini, plus rien. L’homme s’était escamoté.
La quatrième porte ? Je vous parie votre paie du mois prochain contre ma paie de l’année dernière que vous ne devinez pas. Si, si, allez-y, virgulez des noms pour voir. Qui donc ? Charles qui ?… Vous êtes dingue ! Je veux bien qu’on a expédié l’emboîtement, mais tout de même ! Ah vous, alors, rien ne vous épate ! On t’en dit gros comme le petit doigt et te faut le bras ! Non, cette fois, mes très chers, c’est Rebecca que je dégauchis, mignonnette toute pleine dans une chambrette à fleurs meublée Mimi Pinçon.
Elle dort ! Ce qui me porte à conclure que ces chambres sont puissamment insonorisées car personne ne semble avoir perçu (ni aperçu) mes tout récents gueulements.
La cinquième chambre recèle Mme César Pinaud, en pleine dorme également.
Du coup, un vif soulagement me ramone les angoisses. Ces deux femmes sont vivantes ! Dieu soit vendu ! Mézigue, à travers cette hécatombe, je pessimistais vilain à leur sujet, je peux vous le confier à présent, ne le perdez pas. Je me disais que dans ce petit Verdun (que désormais, dans les annales policières on appelle « La nuit Sauvage ») elles pouvaient y laisser leur vie, les deux chéries. Surtout la Finaude ! Enfin bref, les v’là récupérées, saines et oises. C’est l’essentiel.
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