— O n t'a rapporté quèque chose du Viêt Nam, déclare Bérurier. Quèque chose de pas banal et qui te fera de l'usage.
— Quoi donc ? s’étrangle-t-il. Une potiche ?
— Bien mieux que ça, Pépère : mate un peu, tes rêves vont z'être comblés.
Il repasse dans le couloir et s'annonce avec le petit vietnamien blessé que nous découvrîmes au bord de la route.
— Voilà un petit orphelin que tu vas adopter, Pinuche, sentence l'Hénorme. D'accord, il est passé au safran et il a les phares à iode dans le sens de la largeur, mais c'est un petit gars bien méritant : sur que tu deviendras pour lui un véritable père, aussi bien que tu l'aurais fabriqué à Mâme Pinaud un soir que t'aurais contrasté la jaunisse. Avant de te l'apporter, je suis passé le fringuer à la B.J. pour y acheter un costume mataf, vus qu'il avait sur lui que des nippes pas présentables et tachées de sang. Il est pas chou, comme ça ?
Entre nous et l'autre imbécile qui est à vos côtés, je le trouve un peu carnavalesque, le petit Vietnamien avec son béret marin posé sur son pansement, son pantalon bleu marine qui lui arrive au-dessous des genoux (sans pour autant ressembler à un Bermuda) et sa vareuse trop grande de deux tailles dont les boutons s'ornent d'ancres carolines. Mais enfin, comme dit la chanson (je me répète en vous le répétant) c'est pas l'objet qu'il faut regarder, c'est la façon de le présenter.
Abasourdi au début, Pinaud s'humidifie. Son attendrissement fait du bien à voir. Il se penche sur le bambin, le prend dans ses bras maigrichons et l'étreint avec une fougue déjà paternelle.
— Mon canard, mon poussin, mon bouton d'or, mon jaune d'œuf, mon gentil citron, comment t'appelles-tu ?
Bérurier se gratte l'entrejambe d'un air ennuyé.
— Y a deux os, fait-il, mais ça s'arrangera très vite. Primo, il cause pas français, ça tu lui apprendras. Deuxio, on ignore son nom, mais t'auras qu'à le baptisée comme tu voudras… T’aurais pas une idée, toi qu'en as toujours ? ajoute-t-il en s'adressant à moi.
— Si, fais-je illico. Etant donné qu'il est jaune et loqué en petit marin, appelons-le Pamplemousse.
Ainsi fut faite l'adoption de Pamplemousse. Participent aux festivités : M'man, son fils unique et les Bérurier.
Mme Pinuche, toute fofolle, toute joyce depuis qu'elle est maman, a mis les pieds plats dans l'écran (selon Béru). Elle nous confie qu'ils adorent Pamplemousse. C’est un petit gars intelligent dont elle sent se développer les qualités morales. Elle rêve pour lui d'une situation élevée plus tard couvreur ou aviateur. Qui sait : s'il est malin deviendra-t-il peut-être promoteur immobilier et député s’il ne l'est pas. Seulement, quelque chose déroute nos hôtes : depuis son installation chez les Pinaud, le petit Vietnamien réclame on ne sait quoi avec une véhémence qui effraie ses nouveaux parents. Afin de savoir de quoi il retourne, j'ai demandé à Lathuile de se joindre à nous, car le crack de France-flash (que je viens de retrouver à Paname et auquel, fidèle à ma promesse, je fournis des éléments de papier plus ou moins fantaisistes) parle couramment cent vingt-huit langues ou dialectes, parmi lesquels le nord-vietnamien : il radine aux hors-d'œuvre, essoufflé, la cravate de travers, avec deux boutons de sa braguette non ajustés.
— Ah ! voilà le marmot ! fait-il.
Et illico d'adresser la parole à Pamplemousse dans sa langue maternelle. Le jeune Asiatique se met à bavasser avec volubilité. On se croirait au jardin d'acclimatation, section cacatoès. Lathuile l'écoute avec surprise au début, puis en souriant, puis en riant bien fort, puis en s'étouffant, puis en se pâmant, puis en se roulant parterre.
— Qu'est-ce qu'il t'a dit ? demandé-je à voix basse, pressentant du pas banal, du pas racontable. Lathuile me coule dans le toboggan à balourdises.
— Figure toi que c'est pas un petit garçon mais un nain. Il a soixante-quatre ans et il veut retourner au pays chez lui où l'attendent sa femme et ses douze enfants et ses soixante-huit petits enfants.
— Qu'est-ce que c'est ? s'inquiètent les Pinaud, ravagés par l'angoisse.
Leurs pauvres bouilles pantelantes d'angoisse font mal à regarder.
— Rien, rien, dis-je, il dit qu'il se plait beaucoup ici.
Et comme le nain jaune continue de vitupérer, je lui claque le museau en criant :
— Mange, et tais-toi !
FIN