Les chevaliers de la belle en font tôtant. Tous les trois, en parfaits pieds nickelés, nous nous coulons sous le lit de fer. On a les targettes qui dépassent de l'autre côté, mais l'essentiel est d'être invisibles depuis l'autre partie du baraquement ; vous ne pensez pas ? Non, je le vois à vos bouilles sinistrées que vous ne pensez pas !
Je poursuis quand même.
On demeure dans la position sardines à l'huile, sans broncher, à attendre la suite des événements, Dehors, ça gesticule vilain, moi je vous le dis. Au pas de course qu'ils se remuent le prose, les camarades sovietcongs. Et ça gueule dans le landerneau, comme disent les Bretons. Y se causent de l'air du pays, entièrement en vietnamien, c'est-à-dire de bas en haut (du moins je crois). Les chefs promettent aux sous-chefs qu'ils les feront bonzer pour le cas où on ne nous retrouverait pas, et les sous-chefs jurent à leurs hommes qu'ils auront de gros ennuis hématiques… Quelques instants (j'ai oublié de compter le nombre d'instants, mais je sais qu'il y en a plusieurs) plus tard, Olga revient et ferme sa porte. Une veine qu'elle habite seule, la chérie. Elle donne un tour de clé et vient dans la chambre. Au lieu de se pointer vers le lit, elle dénoue sa robe de chambre et la laisse tomber à ses pieds.
Je sens la pomme d'Adam du Gros qui commence à yoyoter d'émotion. Nos souffles se précipitent. Si miss Olga continue ses exhibitions, son plumard va se soulever, mes fils, c'est couru. Elle passe dans sa douche dont elle tire le rideau transparent. La flotte commence à gicler du paumeau et dégouline sur son corps bronzé. Elle forme une cascade entre les seins. Elle perle dans le creux de ses hanches, se perd dans des zones frisottées pour réapparaître… Ce que c'est beau ! Ce que c'est grand ! Ce que c'est noble ! La transe ! Ah ! la belle sirène dont nous aimerions devenir les tritons (ce qui n'est qu'une image, vu que le triton, lui, est un batracien à la queue aplanie).
Elle offre son visage, ses épaules, ses seins, son ventre, ses cuisses, ses fesses à l'averse cinglante. On se croirait dans un film nouvelle vague, parole ! A Godard noble but ! Je sors de ma planque et m'installe sur le lit. On est bigrement mieux par en- dessus que par en dessous.
Le Gros et Curtis restent assis par terre, le dos à la porte de communications (ce qui interrompt celles-ci avec l'extérieur).
Lorsque la belle espionne s'est bien aspergée, bien rafraîchie, elle fait coulisser le rideau. Elle reste coite dans son tub. Son regard stupéfait va de l'un aux autres. Et puis elle a le geste de Phryné pour se masquer l'essentiel.
— Soyez pas effarouchée, Olga, lui dis-je, on est entre nous : votre mari, votre amant, et un vieil ami de la famille ; vous ne risquez pas grand-chose…
Elle est ruisselante d'eau et de questions, mais elle s'abstient d'éponger l'une et de poser les autres.
— Voyons, Béru, interpellé-je, qu'attends-tu pour passer sa robe de chambre à mademoiselle, tu ne vois pas qu'elle est extrêmement douchée ?
— Tout ce qu'il y a de volontiers, s'empresse l'ahaneur qui, avec la galanterie bien française et des gestes frôleurs, aide Olga à nous sevrer de sa nudité.
Une fois protégée de nos regards concupiscents, la jeune femme retrouve son aplomb.
— Bien joué ! approuve-t-elle en s'asseyant dans un fauteuil d'osier. Je n'ai jamais vu un garçon plus audacieux que vous, Tony.
— Merci du compliment, Olga ; venant de vous, il me va droit au cœur, avec escale dans les régions septentrionnales.
Elle rit, me file un regard savonneux et annonce :
— Cela étant dit, je ne vois guère comment vous pourriez vous en sortir.
— Une confidence en valant une autre, ma jolie, je ne le vois pas très bien non plus…
— Alors ? demande-telle en allongeant la main vers une table basse où se trouve un coffret à cigarettes.
— Alors ne faites pas un geste ! lui dis-je sèchement.
— Je n'ai pas le droit de fumer ? demande la ravissante :
— Béru ! Veux-tu regarder ce que contient ce coffret, ordonné-je.
Le Gros se grouille. Il soulève le couvercle de la boîte et pêche dans celle-ci un aimable revolver à crosse de nacre.
— La petite demoiselle ne fume que des Beretta de jeune fille, fait-il en empochant l'arme. Puis il administre une solide paire de baffes à la donzelle.
— Tu commences à nous avoir assez fait de bobo comme ça, garce, lui dit-il. Si tu te tiendrais pas rigoureusement peinarde, je me regarderais dans l'obligation de faire ton malheur, tu piges ? Je rigole plus, j'ai les lèvres enflées.
A sa voix, on devine son déterminisme. Le sourire d'Olga s'éteint.
— Vous ne pouvez pas vous en sortir, affirme-t-elle, c'est IMPOSSIBLE !
Je m'approche de l'unique fenêtre et je soulève les lames du ressort californien afin de regarder dehors. Le tohu-bohu est à son comble. Pour le moment il me paraît impossible de risquer une sortie. L'espionne qui a observé mon manège me dit, lorsque je me retourne.
— Vous voyez bien ! Vous feriez mieux de vous rendre !
— Et puis quoi encore ? s'indigne Sa Majesté, allez-y, je prends les commandes !
— Je préfère mourir plutôt que de me rendre, affirme Curtis qui, jusqu'ici, n'a rien dit.
— On vous a servi à bouffer, ce soir ? demandé-je au Gros, histoire de revenir à des préoccupations plus terre à terre.
— Des clous ! fulmine-t-il. J'ai l'estom' qui ressemble à une vieille blague à tabac.
— Alors va regarder dans la pièce voisine si tu trouves quelque chose de comestible.
C'est le genre de missions pour lesquelles il est toujours volontaire, mon Nounours. L'assaut du garde-manger, c'est sa spécialité. Il s'y est tellement illustré qu'après lui, on donnera sûrement son blaze à une marque de nouilles ou de gorgonzola. L'ami des réfrigérateurs, Béru ! Leur visiteur du soir.
Je l'entends fouiller les placards de la kitchenette en maugréant. Il revient, l'oreille basse, avec un paquet de biscottes, deux tubes de lait concentré et des bouteilles d'eau gazeuse. Il déplore le manque d'organisation de notre hôtesse. Selon lui, la jeune femme moderne doit avoir un jambon en réserve, des boîtes de cassoulet, quelques saucissons à l'ail, un peu d'andouille et des neufs. L'imprévoyance est la grand-mère maternelle de tous les vices. Tout en protestant, il nous fait des tartines de lait. C'est assez écœurant, mais ça nourrit. Les chicots du Mastar croquent les biscottes avec un bruit de con-casseur.
— Comment que tu t'y es pris ? questionne mon ami, la bouche pleine.
Je lui raconte mon évasion : le coup de tournevis, la fenêtre ouverte, la jungle, l'arbre creux, la lance de bambou.
— Tu es un type formidable, me dit Curtis.
— Faut pas se plaindre, renchérit Bouboule. Supposutionnons qu'on parvienne à sortir du camp, tes projets c'était quoi t'est-ce ?
— Eh bien voilà, dis-je, nous avons réussi le tour de force de nous mettre à dos les sudistes et les nordistes, les gens de l'Ouest et ceux de l'Est, on s'est pratiquement fermé les quatre points cardinaux.
— On est pour ainsi dire les tricards du concile aux culs-bénits, plaisante le Mahousse.
Je lui sais gré de sa boutade. Les bons mots de Sa Majesté (je devrais plutôt dire « ses Vermots ») ont le rare pouvoir de conjurer les calamités. Le sort ne peut rien contre l'homme qui plaisante.
— Ecoute, Mec, au lieu de se faire la partie périlleuse et la traversée de la jungle pédérastement, tu crois pas qu'on pourrait profiter de ce qu'ils sont en train de jouer la Prise de Fort Apache pour récupérer le coléoptère dont avec lequel ils nous ont emmenés : ici ? Ton pote Curtis est un pilote d'hors ligne, non ?
Brave Béru ! Cher A.B. (Alexandre-Benoît) ! Il a raison. Cette effervescence qui règne autour du camp peut, doit nous aider.
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