— Ça vous dit quelque chose, les enfants ?
Ils branlent le chef en silence.
Balpeau !
Je confie mon papelard à Mathias.
— Mets-toi en rapport avec la province et l’étranger… L’homme surtout ne devait pas être d’ici.
J’ajoute :
— Fais dactylographier ça en plusieurs exemplaires, et passe la note dans les différents services pour si des fois !
« Tu en donneras une à Pinuche.
Je fonce sur l’heureux propriétaire.
— Quant à toi, vénérable relique, tu vas aller aérer ta p… de cahute. Tu feras un tour dans le village et, habilement si tu le peux, tu demanderas à tes bons voisins s’ils ont aperçu des mecs correspondant à ces signalements. Si oui, à quelle époque et dans quelles conditions. Mets tes cellules sur la haute tension et tâche de ne pas donner l’éveil, y a rien de plus méfiant qu’un nabus !
— Toi, Lavoine, tu vas essayer de savoir à qui une certaine demoiselle Planqueblé demeurant 120, rue Ballu avait loué sa campagne de Magny. Surtout pas un mot de trop et oublie que tu n’es qu’un méchant poulet. Défense surtout d’aller voir la demoiselle ; c’est mon gâteau à moi.
— Bien, patron…
— Toi, Rigolier, tu accompagneras Pinaud à Magny et tu feras une enquête tout aussi discrète chez les commerçants susceptibles d’avoir vendu de la chaux vive aux habitants de la maisonnette il y a deux ou trois ans. Je sais bien qu’on ne peut pas espérer grand-chose de ce côté-là, mais nous ne devons rien négliger…
Je les regarde.
— Bon, c’est tout.
— Et moi ? demande Béru, ulcéré de ne pas être chargé de mission.
— Toi, tu fermes ta grande gueule et tu m’accompagnes.
— Ah bon !
Je fais claquer mes doigts.
— Au turf, les mecs. Et rembour ici sur les choses de six heures !
CHAPITRE IX
Dans lequel je commence mes livraisons à domicile
Aïoli est en train d’écluser un scotch au bar du Lutèce-Midi avec un acteur de cinéma venu pleurer dans l’emplacement de son giron pour essayer d’avoir un écho.
— Tiens ! re-toi ! s’exclame-t-elle en apercevant ma silhouette élancée.
— Je viens te chercher, dis-je.
— Pour aller où ?
— Un petit turbin qui nécessite ta compétence ; c’est au sujet de ce que tu sais.
Elle secoue la tête.
— Pas mèche maintenant, j’ai ma chronique de demain à préparer.
— Je te dis d’arriver ! Tes lecteurs auront quelques couenneries de moins à lire, voilà tout ! Du reste, ton boss m’a donné carte blanche.
— Dans ce cas, rouscaille la douce enfant, je ne veux pas être plus royaliste que le king. Tu prends au moins un baby ?
J’opine. Elle me présente le beau ténébreux de l’écran.
— Jérémy Panouille, que tu as dû voir dans Le Grain de sel sous la queue ou la Vie d’un photographe !
— Certainement, dis-je en négligeant la main du bellâtre.
La barmaid — une brune à point — me verse un whisky sur une banquise.
— Oh ! Blagapar, fait Jérémy en faisant des effets de voix, j’ai un écho terrible pour votre rubrique. Quelque chose d’inouï qui est vraiment impensable ; je vous assure que c’est sensationnel. Vos lecteurs vont trouver ça fantastique…
— Ah, oui ? dit Aïoli d’une voix amusée mais un chouïa réservée.
— Figurez-vous qu’hier j’étais au volant de ma Porsche décapotable lorsqu’un monsieur traverse les clous au rouge. Je freine : vous savez qui c’était ?
— Non ? fait Aïoli qui s’en fout.
— Orson Welles, en personne. Il commence à m’invectiver en français. How do you do ? lui fais-je en riant. Il me reconnaît et éclate de rire… Dites, c’est pas étonnant ? J’ai pensé que ça ferait un truc amusant pour vous.
Je vide mon baquet cul-sec.
— Faudrait que tes lecteurs aient la rate hypertrophiée pour s’amuser de ça, dis-je lugubrement. Tu viens ?
Nous décarrons sous le nez du hotu médusé.
Bérurier dort dans ma voiture. Il ne s’éveille que lorsque nous atterrissons rue Ballu.
— Bouge pas de là ! lui enjoins-je.
Le moment est venu de parfumer Aïoli. (Si je puis ainsi m’exprimer.)
— Nous allons chez les anciens proprios de la maison du crime, mon grand garçon. Nous sommes deux journaleux et nous venons leur demander leurs impressions au sujet du lauréat. Je t’ai amenée parce que c’est ton job et que tu as la manière.
Je biche un appareil photo dans ma boîte à gants.
— Questionne-les sur les raisons qui les ont poussés à vendre. Ce premier contact uniquement pour étudier leurs réactions. Allez, go !
La concierge nous indique que M. Serge Aquoix occupe le troisième étage. Nous nous farcissons l’escadrin, because l’ascenseur est en vacances à la montagne chez ses amis Roux et Combaluzier. Dring !
On ne répond pas. J’y vais du grand largo de Haendel sur la sonnette. Enfin nous percevons un petit glissement prometteur. Je remarque alors qu’il y a un judas dans la lourde. Il est gros comme une tronche d’épingle, c’est une petite lentille grossissante.
De l’intérieur, on nous voit en pied. Un instant s’écoule encore. Ils ne sont pas pressés de déboucler leur taupinière, les locataires. C’t’un fortin ou quoi ?
Enfin la porte s’ouvre sur un monsieur aux cheveux de neige et à l’air à moitié crevé, emmitouflé dans une somptueuse robe de chambre molletonnée.
— Oui ? demande-t-il d’une petite voix qui fait penser à une allumette qu’on frotte.
— Lutèce-Midi , annonce Aïoli avec son super-sourire Colgate revu et aurifié par le dentiste du coin.
L’autre fronce ses sourcils fournis.
— Entrez !
Il nous conduit à une pièce qui sert de salle à jaffer-salon. Y a un buffet Lévitan de l’époque Ming et un piano droit style Gaveau. Y a aussi un fauteuil à roulettes et dans icelui une ravissante jeunesse étiolée dont le regard de biche vous fout de la tristesse jusque dans la moelle épinière.
Nous nous inclinons devant la jeune fille. Le sort a été méchant avec elle. Lui cloquer un visage aussi angélique et la priver de pattes, c’est rosse.
— De quoi s’agit-il ? demande Aquoix Serge.
Aïoli y va de son boniment.
— Vous n’avez pas été sans apprendre par notre journal…
— Je ne lis que Le Figaro , coupe l’autre tronche.
Ça commence mal. Il ne semble pas apprécier notre visite, le beau-dabe à miss Planqueblé. Blagapar sait courber le dos quand c’est nécessaire.
— Vous avez dû apprendre que la propriété de Magny vendue par vous à notre journal…
— Pas vendue par moi, vendue par ma belle-fille, Thérèse Planqueblé, rectifie Aquoix.
La môme hoche la tête.
— Je parie qu’il reste encore des signatures à…
— Non, non ! mademoiselle, nous venons pour faire un papier. Votre maison a été gagnée par un inspecteur de police et notre rédacteur en chef a pensé qu’il y avait matière à un article. Que pensez-vous du lauréat, etc. Vous comprenez ?
Elle s’adresse à Thérèse, mais c’est Aquoix qui répond.
— Mademoiselle, dit-il à Aïoli (ce qui dénoterait de sa part une certaine myopie), cette vente n’impliquait pas notre participation à votre concours, que je sache ? La maison était à céder, un homme d’affaires l’a fait acheter, ma belle-fille a perçu le montant de la vente, là s’arrête notre participation fortuite à votre stupide concours publicitaire.
Voilà qui est catégorique. Il enchaîne :
— Personnellement, je réprouve ces tapageuses manifestations publicitaires qui donnent à des choses futiles une importance que l’on n’accorde même pas aux problèmes de l’heure…
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