— Vous pouvez m’aider en me donnant l’historique de cette maison, maître Barbapoil.
— Autour ! Barbautour…
— Excusez encore, je n’ai pas la mémoire de certains noms. Les noms des propriétaires antérieurs sont certainement mentionnés dans l’acte de vente ? D’autant que la construction m’a paru assez neuve.
— Elle l’est ! Venez dans mon bureau.
Mine de rien, le gros gaffe sa montre. À l’infrarouge qu’il cuit, le caneton. Je le parierais ! Et quand il sera à point y aura le dring-servez-chaud de la sonnerie. De nos jours, les cuisines ressemblent à des labos pour recherches nucléaires.
Il me guide dans la pièce voisine. Empire itou. Un peu rigoureux comme style quand y en a trop. Il a racheté la Malmaison, Poilaudo, faut croire… Les Domaines lui ont fait un lot, je vous jure !
Le voilà qui farfouille dans des classeurs (qui exceptionnellement ne sont pas Empire) et ramène un volumineux dossier sur lequel un manieur de ronde a torché « Concours Lutèce-Midi » en caractères gros commak agrémentés de petits poils follets dans les majuscules.
Il l’ouvre en geignant. Ses moindres mouvements le font grincer comme le mât d’un rafiot par gros vent. Il feuillette les fafs timbrés, renifle et ses francforts stoppent sur un acte notarié.
— Moilà, moilà ! dit l’obèse.
Il lit à mi-voix, ce qui ne fait pas mon butter , mais je suis un mec poli et je sais attendre. Enfin il relève la trombine et, comme dirait Saint-Saëns, me fait un signe.
— Une bonne nouvelle ! annonce-t-il.
— Ah ! oui ?
— Il n’y a eu qu’un propriétaire. Attendez que je vous explique : cette maison a été construite en 52 par une veuve Planqueblé, qui y a habité deux ans avec sa fille unique.
« Ensuite elle s’est mariée avec un sieur Aquoix Serge. Elle est décédée huit mois plus tard et c’est sa fille qui a hérité de la maisonnette…
Je suis ses embrouilles avec un certain agacement, j’aurais préféré ligoter ça moi-même because rien ne vaut la rigueur d’un bon texte. L’autre super-phoque pousse son glapissement d’otarie. Nouveau regard à sa breloque dont la grande aiguille pique une pointe de vitesse. Il se dit que c’est la terrible course au finish entre le canard et moi, c’est-à-dire entre le canard et le poulet. Il faut qu’il y aille de son rush pour me liquider avant la tortore !
— C’est donc à cette demoiselle Planqueblé que nous avons acheté la maisonnette.
— Son adresse ?
— Rue Ballu, numéro 120, Paris 9 e.
J’inscris cette documentation sur un calepin.
— Merci, maître… Vous avez donc vu la jeune fille au moment de la vente ?
— Bien entendu. C’est une malheureuse infirme de vingt-six ans, qui vit avec son beau-père…
— Avec son beau-père !
— Dame, elle était adulte lorsqu’il a épousé sa mère et vous m’avez dit que la dame Planqueblé avait briffé son bulletin de consigne huit mois plus tard…
— Son quoi ? bave l’adipeux.
— Je voulais dire qu’elle est morte ! Excusez mon langage, maître Barbaumenton, mais dans la police nous ne fréquentons pas que des hommes aussi éminents que vous, et notre vocabulaire s’en ressent.
Il sourit.
— Très drôle…
— De quel genre d’infirmité souffre-t-elle, cette enfant ?
— Paralysie des jambes. Elle se déplace dans un fauteuil roulant.
— Et ce beau-père, qui n’a été somme toute son beau-père que pendant huit mois, l’a prise en charge, cette pauvre môme à roulettes ?
— Vous voyez, on trouve de grands cœurs.
— À quoi ressemble-t-il, cet édifiant personnage ?
— Quand vous le verrez, vous comprendrez qu’il ait agi ainsi. C’est un homme plutôt sombre, en mauvaise santé. Il est resté dans l’atmosphère qu’il avait choisie, comprenez-vous ? Il doit aimer ses habitudes…
— Je vois.
Et par-dessus le marka, je vois Poilaudo qui use son verre de montre à force de le contempler. Le canard est prêt, il est temps que je les mette.
— Pas un mot de tout ceci à âme qui vive, monsieur Barbauchose…
— Tour ! Comptez sur moi ! Vous pensez…
Il m’escorte jusqu’à la porte palière, me propose cinq doigts dont un pouce en parfait état ; je presse les quatre doigts et je lui souhaite une bonne noye sans cauchemars…
Ma Félicie s’est assoupie dans la tire. Avant de grimper en carrosse, je la regarde dormir, avec attendrissement.
Ce qu’elle est chou, cette vieille Maman, avec ses cheveux blancs bien tirés, sa robe noire et sa main blanche posée sur l’accoudoir. J’ouvre doucement la lourde. Elle sursaute et aussitôt me brandit un sourire.
— Alors ?
— J’ai tous les tuyaux, M’man. Je vais tuber au bureau et puis c’est classe pour aujourd’hui. On s’offre une virée ! Une bouffe terrible dans un restaurant basque, puis le ciné. Y a un nouveau Fernandel avec toutes ses dents !
Elle biche, Félicie. C’est sa grande noye de Paris. Une vraie surboum pour elle qui ne sort jamais de notre pavillon.
Arrivé au restau, chez Lavigne, je vais tuber au burlingue. J’ai le boss au bout du fil. Simon Persavéça l’a déjà mis au parfum et, comme on n’a rien à refuser à un homme de ce calibre, comme, d’autre part, le Vieux n’est pas tellement joyce de voir l’un de ses pompiers d’élite mêlé à une histoire pareille, il est entièrement d’accord pour que je mène l’enquête avec des chaussons de feutre aux lattes et un bœuf primé au concours de Fousy-Danltrin-sur-la-Menteuse.
Fort de son acceptation, je prépare mes batteries, tout comme M. Oliver quand il vient faire des crêpes Suzette ou une langue fourrée sauce madère devant les cameramen affamés de la TV.
J’appelle Lachaud, un pote du labo, à son domicile. Il reçoit des aminches sans doute car c’est la grosse fiesta chez lui. On entend un tordu qui mugit Que ne t’ai-je connue au temps de ma jeunesse et une dame qui se fait faire un solo de jarretelles ou quèque chose d’approchant, car elle glousse à vous flanquer le tricotin.
— Est-ce que t’as les carreaux en face des soupiraux ? je demande à Lachaud.
— Et comment ! Pour qui vous me prenez ?
— Bon, alors ouvre tes volets, gars. Demain, à huit plombes tapant, tu vas venir me ramasser chez moi au volant d’une fourgonnette sur laquelle il y aura une raison sociale d’entreprise de maçonnerie, tu me suis ?
— Pas à pas !
— Good ! Tu t’amèneras avec un homme à toi et vous serez fringués en maçons, tu continues à filer le train ?
— Absolument.
— Parfait. Munissez-vous de pelles et de pioches !
— Qu’est-ce qu’on va faire ?
— Démolir le palais de Versailles, paraît qu’y a un gisement de pétrole dessous. Prenez également des bâches…
— Entendu.
— Huit plombes, pas plus tard, ça joue ?
— Promis ; j’emmènerai Müller, pas d’objection ?
— Aucune. Tchao !
Je remets le combiné sur son support.
Le moment est venu de morganer une pipérade !
CHAPITRE VII
Dans lequel je prends livraison
Dans son costar de toile blanche, il fait Pierrot gourmand à la menthe, Lachaud, ce lundi matin. La java s’est prolongée chez lui bien avant dans la notche et il arbore ce teint vert bouteille des hépatiques qui ont traité leur foie par le mépris et qui subissent les représailles.
Müller, le rouquin, est moins défraîchi ; p’t-être à cause de l’incendie qui lui sert de tignasse et qui jette des reflets cuivrés sur son épiderme criblé de son.
Quant au gars moi-même, mon meilleur ami, il jouit d’un admirable équilibre physique et moral. On s’est toilés à minuit, Félicie et moi, et j’en ai écrasé comme une petite fille jusqu’à sept plombes et demie, heure à laquelle M’man m’a amené le caoua avec toasts beurrés matinaux. Une douche, du linge propre, et vous avez, médèmes, à votre disposition, le San-Antonio des grands jours, l’homme qui vous apporte l’oubli, l’extase et le quatrième « top » offert par les montres Lip.
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