L’escogriffe se décide. Il est sur les rives de la débine, le Quillet illustré, à la confluence de la pestouille, là où l’on aperçoit les premiers contreforts de la mouise.
Il se voit déjà offrant ses bons et aloyaux services dans les rédactions et ce futur ne l’enthousiasme pas. Pierre Larousse n’amasse pas mousse ; voilà ce qu’il se dit, Quillet, le chérubin aux mains noires.
— Je crois que vous avez raison, bavoche-t-il.
Il sort son Hermès de sa chaussette et cherche le tube privé du big boss. D’un doigt qui laisserait une collégienne de marbre, il compose le numéro de Simon Persavéça, le diro de Lutèce-Midi .
C’est un larbin qui débouche le flacon. Il dit que Monsieur est en java avec le ministre des Affaires en cours. Quillet, téméraire en diable, objecte que c’est grave. Bref, il obtient son appareil à refuser les augmentations. L’autre doit être vachement pète-sec je vous le garantis. Il parle comme on crache. Les trompes d’Eustache à Quillet se fripent comme la robe d’une jeune fille violentée.
— Monsieur le directeur, un événement de la plus haute importance pour le journal… Non, non, monsieur le directeur, ce n’est pas la guerre avec le grand-duché de Luxembourg… Cela concerne uniquement notre maison !
Notre maison ! Il en a de chouettes, comment qu’il se cramponne à ce pluriel, le grain de courge. Un pluriel, comme dit l’autre, qui commence à devenir singulier. Il s’en sert pour bercer son espoir.
— … Il est indispensable que je vous voie, monsieur le directeur ! Comment ? Parfaitement… Bien…
Il remet l’écouteur au portemanteau.
— Il NOUS attend, fait-il.
— D’après ce qu’ai cru piger, c’est vous qu’il attend, cher Quillet.
— Je pense que vous saurez mieux que moi lui exposer… heu… Vous me comprenez ?
— Tu parles, Jules !
— Je vais me laver les mains.
Il se trisse. Je reste en tête à tête avec Aïoli. Elle caresse rêveusement ses moustaches en tétant sa pipe.
— J’espère que ton petit pote n’emploie pas Omo, fais-je.
— Pourquoi ?
— Parce que, comme avec Omo, la saleté s’en va, il ne resterait plus grand-chose de sa personne. Tu parles d’un roquet hargneux…
Elle se marre.
— Il est malheureux en ménage, explique-t-elle, sa bergère fait des fugues, comme Bach, et ça l’aigrit un peu, mais à part ça, il est plutôt bon cheval.
Elle tape sa pipe sur son talon plat.
— Dommage que cet événement se produise chez vous, tu te rends compte d’une exclusivité, San-Antonio ?
— Très bien, merci et toi ?
— Y a des moments où je regrette d’être fidèle.
— C’est ton côté Castro, ma vieille. Ça et la barbe, voilà vos points communs à tous les deux. C’est au cigare que la divergence s’amorce… Lui n’aime que le havane et toi que la pipe.
Retour de Quillet, mains propres, haleine fraîche, cravate nouée, veston sport à boutons de cuir. C’est pas encore la gravure de mode, mais ça n’est déjà plus le faf de gogues.
— J’y suis, déclare-t-il.
Je prends congé d’Aïoli.
— Tu ne fais pas partie de la caravane ?
— Non, faut que je trouve des échos pour la chronique… En ce moment, c’est mollasson.
— Ah oui ? Brigitte Bardot est entrée au couvent et Bernard Buffet est malade ?
Elle soupire.
— Tu ne peux pas savoir ce que c’est que ce turbin, San-A. Malgré les apparences, il ne se passe rien dans le monde. Rien de neuf du moins, et il faut que nous fassions croire à nos lecteurs qu’il est plein d’imprévu et de fantaisie.
CHAPITRE VI
Dans lequel je trouble certains repos dominicaux
C’est un drôle de viron pour Félicie. Voilà qu’elle va s’offrir une nouvelle séance de poireau dans la chignole en attendant notre retour, à Quillet et à mézigue. Je lui en fais la remarque mais elle me sourit, heureuse, et je pige avec émotion qu’elle est heureuse pour de bon. M’attendre dans la voiture, c’est un peu être en ma compagnie.
— Allons-y ! dis-je au journaliste.
Nous sommes avenue du Bois. L’immeuble de Simon Persavéça compte parmi les plus mastards. De la pierre de taille façon caveau rupin, de la baie vitrée et de la porte cochère en fer forgé travaillée pogne ; bref c’est pas de la crèche pour fins de mois difficiles.
Un ascenseur capitonné nous grimpe au quatrième. Le diro de Lutèce-Midi possède tout l’étage. Deux cents mètres carrés de moquette sans parler des communs !
Coup de sonnette discret de Quillet dont le vœu le plus ardent (et le plus absurde) est de ne pas être entendu. Mais les gens de son patron doivent se passer les étagères à bésicles au rince-bouteille tous les matins, car à peine avons-nous actionné le bouton que la lourde porte s’entrouvre.
Un larbin en grand uniforme est là. Cérémonieux, vaguement hostile, il nous défrime comme si nous étions deux excréments canins déposés sur le paillasson.
Moi, à la grosse rigueur, je pourrais passer ; mais Quillet, avec sa veste sport et sa limace jaunie par la sueur, il apparaît aussi inadmissible qu’un imparfait du subjonctif dans une phrase au présent.
— Nous sommes attendus, balbutie la Quille.
L’autre hoche la trombine. Il sait. C’est le magicien de l’appartement. Plutôt l’organiste. Il actionne tout ça avec un doigté d’accoucheur.
Ce pingouin nous guide jusqu’à un salon tendu de gris. On perçoit, dans les abords, un brouhaha de conversations.
— C’est la première fois que je viens chez le patron, fait Quillet, vous parlez d’un luxe ! Quand je pense que ce type-là vendait des brosses de chiendent en arrivant à Paris.
— Le plus marrant, c’est qu’il continue à vendre des coups de brosse à reluire, assuré-je.
La porte s’ouvre brusquement sur une vraie figure. Le gnace qui paraît est petit, grassouillet, avec des tifs argentés aplatis sur son dôme ; un gros pif, des châsses de goret frileux et un bridge sur la rivière Kwaï en or massif. Tellement massif en vérité qu’il s’est payé trente-deux molaires ne voulant pas ergoter sur la joncaille !
Un coup de périscope éclair à Quillet. Un autre, en point d’interrogation au gars bibi, le fils unique et préféré de Félicie, et la séance commence.
— Que se passe-t-il, Quillet ?
— Une chose effarante, monsieur. Permettez-moi tout d’abord de vous présenter le commissaire San-Antonio qui va vous raconter ça en détail.
Il a dû jouer au rugby, Quillet. Pour la passe en arrière, il craint personne.
Je me racle la gargante et j’y vais de mon déballage. Je bonnis l’affaire en long, en large et dans le sens des aiguilles d’une montre. Pendant ce temps, Persavéça allume un Henry Clay long comme un Philippe Clay et nous balance dans les codes un brouillard à fausser les radars.
Il m’écoute sans faire autre chose que de la fumée à cent balles la goulée. Quand j’ai fini, il se tourne vers Quillet et lui file le regard de la découverte.
L’autre se sent pâlir jusque dans le tube digestif. Il a les rotules qui applaudissent et le nez qui pend comme le tuyau d’une pompe à essence.
— Vous conviendrez, monsieur Persavéça, que ce n’est pas ma faute !
— Qui vous accuse ? demande le marchand de calamités d’un ton doucereux. Vous avez eu la main malheureuse, voilà tout !
Oh ! la vache ! Sur quel ton il a balancé cette vanne !
Quillet hisse le pavillon de grosse détresse. Sa carrière, d’ici pas longtemps, ne sera pas plus présentable qu’un derrière de singe ! Le big boss, le gros magnat, ne l’accuse pas de faute professionnelle, non, c’est pire : il lui reproche de porter la cerise. Vous comprenez : y a pas mèche de se laver d’une accusation pareille. C’est absurde mais sans réplique. Après ça, on n’a plus qu’à choisir son pont préféré pour se filer à la baille.
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