— Vas-y, implore-t-elle.
— Non, ma beauté. Avec cet écho-là, je n’ai qu’à aller à France-Soir et ma fortune est faite.
J’ajoute :
— La mienne, mais pas la vôtre.
La voilà qui se transforme en point d’interrogation, comme la publicité de Bic.
— Me fais pas languir, flic à la noix, sinon j’annonce dans toutes les éditions de demain que tu vas épouser Pauline Carton !
À cet instant son bignou retentit. Elle décroche.
— Oui, Roger, dit-elle, il est là. Et ce saligaud joue les sphinx, viens donc m’aider à le dénoyauter !
Le dénommé Quillet fait son entrée trois minutes plus tard.
C’est un maigre au visage en forme d’enseigne de notaire. Il porte deux pulls et une longue jaquette caca d’oie à boutons de nacre.
— Voici l’illustre San-Antonio, présente Aïoli en bourrant calmement une pipe ; le flic qui résout les problèmes avant qu’ils lui soient posés.
Elle pointe le tuyau de sa bouffarde vers l’arrivant.
— Et ce truc-là, c’est Quillet, le roi de la mise en page. Suivant l’abondance des nouvelles, il fait d’un vol de clapier quatre colonnes à la une ou trois lignes à la cinq !
Nous nous serrons la louche, Quillet et moi. Il a les doigts noircis par l’encre d’imprimerie. Je m’essuie discrètement à mon mouchoir.
— Vous désirez me voir, commissaire ?
— En toute franchise j’aurais préféré le rédacteur en chef, mais vous pourrez peut-être m’affranchir.
— Tu sais, gouaille Aïoli, il a sa licence de droit et il est sélectionné pour un prochain Télé-Match !
— Qu’est-ce que vous désirez savoir ? demande sardoniquement le fabricant de coquilles, les résultats sportifs d’aujourd’hui ?
« En match de coupe, Sète a battu Troyes par 7 à 3 !
— Spirituel, admets-je, faudra que je m’abonne.
Je n’aime pas cette bouille en grain de courge. C’est le genre de mec qui se croit malin parce qu’il est le premier à savoir que Macmillan a la rubéole ou que Brigitte Bardot va se faire opérer des amygdales. Il ne songe pas un instant que deux plombes plus tard tous les lecteurs de son baveux en sauront autant que lui.
— Alors, San-A., implore Aïoli, tu annonces la couleur ?
— Je voudrais savoir quel est l’endoffé qui s’occupe du concours dans votre usine à bobards.
— Mais au fait, c’est vrai ! clame Quillet ; c’est un de vos subordonnés qui s’est farci la cabane, cette année !
— Dommage qu’elle soit hantée, dis-je, sibyllin comme Tarquin-le-Superbe.
— Hantée ? demande Quillet, croyant à une astuce.
Pour se donner une contenance, il frotte ses pompes de croco avec la housse d’une machine à écrire. Pendant ce temps, la championne du gigot à l’ail toutes catégories fabrique de la fumée malodorante avec son incinérateur de poche.
Je n’ai pas envie de me laisser manœuvrer par ces marchands de scandales.
— Permettez, c’est moi qui questionne…
— Vous vous croyez dans votre bureau de la maison Royco ? remarque Quillet.
Si je ne me retenais pas, je lui ferais becqueter du cartilage de main droite aux marrons.
— Écoutez, Quillet, dis-je, conciliant en surface, mais vachement en renaud de l’intérieur, quand je vous aurai affranchi sur ce qui m’amène — à condition naturlich que vous soyez sage — vous n’aurez rien de plus pressé que de cavaler à Notre-Dame pour y faire fondre à ma santé des cierges gros comme mes cuisses.
— Ah mouais ?
— Mouais. Et autre chose encore, cher gaspilleur de papier, si vous continuez à le prendre sur ce ton, je change de crémerie. Et si je change de crémerie à cause de vous, en l’apprenant votre diro vous filera dehors tellement vite que vous n’aurez pas le temps d’aller décrocher votre imper ; après ça, le seul emploi auquel vous pourrez postuler sera celui de vidangeur, à condition toutefois que vous vous cloquiez une fausse barbe et que vous changiez d’identité.
Aïoli se trémousse.
— Tu ne vois donc pas que c’est grave, eh ! apôtre ? lance-t-elle à son collègue.
Quillet me paraît impressionné tout de même.
— Mais sapristi, c’est vous qui faites des mystères ! grogne-t-il, si vous nous disiez ce que…
— Alors on reprend tout à la base : qui s’occupe de ce bon Dieu de concours ?
La môme Blagapar fait entendre un hennissement. Au fait, c’est vrai qu’elle ressemble à Gélinotte.
— C’est lui, justement, dit-elle. Il en a eu l’idée. Bonne affaire pour notre cher petit canard. La direction lui a voté de l’augmentation à cause de cette trouvaille de génie.
M’est avis que je suis tombé pile, les mecs !
Je regarde mon chétif vis-à-vis, m’apprêtant à le déguster… Avant de l’attaquer par la base, je m’approche de la croisée. J’aperçois Félicie, bien sage, à l’intérieur, qui lit la revue du Touring Club de France en m’attendant.
La journée agonise. Les enseignes commencent à justifier ce surnom de Ville Lumière que les gars de Saint-Symphorien-d’Ozon ont donné à la capitale un jour qu’il y avait panne de secteur dans leur patelin.
Je m’assieds sur le burlingue d’Aïoli.
— Comment organisez-vous ce concours ?
— Vous ne lisez donc pas notre journal ?
— Il n’a pas cet honneur. Alors ?
— Eh bien, le concours est financé par une firme. Cette année, c’était par les nouilles Levantre !
— Qui achète la « maison de vos rêves » ?
— L’homme d’affaires du journal. Il soumet une liste de propriétés à vendre correspondant à l’esprit du concours à la direction publicitaire de la firme et ensemble ils choisissent le gros lot, vu ?
— Cette liste de maisons à brader est constituée par qui ?
— Par notre homme d’affaires. Il me montre les photos des propriétés et je fais une présélection.
— Vous avez vu la carrée de Magny ?
— En photo seulement.
Je réfléchis.
— L’adresse de l’homme d’affaires, please ?
— M e Barbautour, 69, rue de la Pompe.
Je note.
— O.K., merci.
Quillet me cramponne par un bouton de ma veste.
— Eh ! dites, commissaire de mes choses, à votre tour de vous mettre à table !
— Oh ! très juste. Eh bien voilà. Je pendais la crémaillère chez mon heureux gagnant de subordonné ; mine de rien, nous avons voulu faire un peu de jardinage, ce qui nous a permis de mettre au jour les restes de deux personnes : un homme et une femme.
Aïoli glapit :
— Qu’est-ce que tu débloques ?
— Ceci pour vous dire le parti que vos petits confrères peuvent tirer de ça. Lutèce-Midi , le journal qui offre des maisons bourrées de cadavres à ses lecteurs ! Votre concours est dans le lac, mes chéris !
« Vous allez être la risée des chansonniers…
Quillet perd sa morgue. (Et pourtant il en faudrait une pour y fourrer nos trouvailles.)
— San-Antonio, il faut absolument écraser ça !
— Tiens ! dis-je à Blagapar, il se réveille, le calibreur de boniments !
L’autre est plus pâle que toutes les laiteries suisses réunies.
— Faites quelque chose, quoi ! ronchonne-t-il.
— Ah oui, et quoi ? On va récupérer les quidams et on distribue leurs os aux médors du quartier en guise de susucre ? L’art d’utiliser les restes, hein ?
— Alors ?
— Vous pourriez p’t-être commencer par un coup de grelot au grand boss pour le mettre au parfum, son avis est intéressant. Des fois que le cher vénérable n’aurait pas la même optique que vous ?
— Il va me jouer Manon , soupire Quillet.
— Il te le jouera en version intégrale s’il apprend que tu lui as fait des cachotteries ! promet Aïoli, pour qui rien de ce qui concerne les réactions masculines n’est étranger.
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