Frédéric Dard - San-Antonio met le paquet

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San-Antonio met le paquet: краткое содержание, описание и аннотация

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C'est par un petit événement en marge de nos activités professionnelles que démarre cette fois-ci l'aventure.
Une aventure vraiment extraordinaire, vous pourrez en juger par la suite si vous avez la patience de poursuivre.
Une aventure comme, à dire vrai, il ne m'en était encore jamais arrivé.

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— Mille francs !

Je lui attrique un Richelieu avec de la menue morniflette pour gonfler son bas de laine.

— Ange n’est pas là ? je questionne sur le mode neutre.

— Il vient plus tard, fait l’homme du bar en enfouillant mes deniers.

Le mieux, c’est d’attendre. Je bigle mon horloge parlante. Il est onze heures moins vingt. La fumée ambiante me pique les châsses, à moins que ça ne soit un début de sommeil ? C’est pourtant pas le moment de jouer un solo de ronflette. J’ai école. Les cours du soir, c’est ce qui se fait de mieux dans le métier.

Je fais comme tous les assoiffés de vertige ici présents : je savoure le spectacle. La fille qui vient de s’annoncer sur le podium est habillée en dame patronnesse : longue soutane noire ; pompes à boutons, chignon-bidon, bésicles, bitos de chaisière, mitaines et tout le bidule ! C’est bien composé comme tenue, mais on devine là-dessous des formes comprimées et une jeunesse plantureuse qui ne demande qu’à jaillir de cette carapace funèbre.

La dame s’approche du piano. Radine alors une petite fille modèle signée comtesse de Ségur née Rostopchine. Elle porte des cotillons longs, une robe mousseuse, des nattes dans le dos, un vieux bada en paille d’Italoche et elle tient un cerceau.

Vous l’avez sans doute deviné avec l’intelligence que vous charriez en bandoulière, mais la petite fille en question a eu vingt berges aux prunes. Elle fait la bibise à la dame qu’est censée être son prof de piano et se place sur le tabouret tournant. On a droit à une gamme laborieuse. La dame tapote le couvercle de la cage à sérénade pour protester contre le mauvais doigté de la donzelle. Alors, par mimiques, la petite môme explique qu’elle a trop chaud et le déloquage commence.

C’est savant. Elle dégrafe sa robe. Son prof en fait autant. La salle retient son souffle. On entend pleuvoir les boutons sur le plancher du Raminagrobis. La direction doit faire des lots à la mercière du coin. Au bout d’un quart d’heure de ce micmac, les deux personnes sont aussi peu vêtues que le piano. Celle qui chique au prof ôte même son chignon.

Quand il ne leur reste plus que leur rouge à lèvres, la lumière s’éteint et le public applaudit à tout rompre cette magnifique manifestation de l’art contemporain. Vous me connaissez, je ne suis pas pudibond, au contraire, mais je trouve que ces poses méritent le plastic. Un strip, c’est à deux qu’il est une œuvre d’art.

Le barman me cligne de l’œil.

— C’est du spectacle, hein ? fait-il, fiérot.

— Et comment ! On n’arrête pas le progrès. Quand on pense que ça ne fait pas dix ans que la bombe atomique a été inventée et qu’on en est déjà là, hein ? Ça donne le vertigo !

Il hoche la tête, convaincu.

— Laquelle que vous trouvez la plus sensass ?

— La prof, dis-je sans hésiter. Elle a plus de talent, surtout du bas. Vous avez remarqué ce grain de beauté sur la fesse gauche, dites ? Quel jeu de scène !

— C’est un don, quoi ! émet le loufiat.

— Exactement. Vous avez des filles qui se farcissent trois piges de Conservatoire ou de cours Simon pour arriver à quoi ? À jouer du Musset devant des salles vides…

— Faut être jojo, admet le serveur.

Il sert une bière allemande à un Anglais et une bière anglaise à un Allemand avant de poursuivre cette conversation à bâtons rompus.

— Notez, dit-il, que c’est pas n’importe qui qui peut jouer ça ! Vous imaginez une tarderie passant au décarpillage ?

Il se tait, car un monsieur important vient d’entrer, qui inspecte la salle d’un œil scrutateur. C’est Ange Ravioli. Il porte malgré la saison un lardeuss en poil de bossu et un foulard en soie. Ses cheveux calamistrés scintillent comme de l’anthracite. Un signe de tronche au garçon et il se dirige vers le fond du bar.

— Vous l’avez reconnu ? me demande le barman avec ferveur.

— Et comment ! C’est lui qui ne m’a pas remis…

Je saute de mon tabouret. Les filles qui draguent dans le secteur répandent un parfum obsédant et lourd ; si je m’attarde encore ici je vais choper la migraine, c’est recta.

Je vois disparaître la silhouette de Ravioli par une porte étroite à gauche de la scène. Je fonce. L’atmosphère des coulisses est plus déprimante que celle du bar. Ici, outre le parfum, ça renifle la sueur, la femme, l’hippodrome aussi…

Un vieux zig chauve, vêtu d’un smok trouvé dans une poubelle un matin de décembre, m’intercepte.

— Où allez-vous ?

Il pue la gnole à plein nez.

— J’ai rendez-vous avec mon ami Ange.

Il hésite.

— Bon, je vais vous annoncer, c’est de la part de… ?

Je l’écarte d’une bourrade.

— Dis, grand-dabe, on n’est pas à Buckingham Palace, non !

Il n’ose insister. Je passe devant les coulisses. Les portes en sont généralement ouvertes et ces dames se refringuent en causant de la rougeole de leur petit dernier et de la cad du vieux mironton qui les entretient.

La dernière lourde est marquée « Direction ». Comme ça, à la craie. Pas fiérot, Ange Ravioli. Il ne cherche pas à chiquer au Barnum. Je frappe.

— Oui ?

J’ouvre. Il est seul dans une pièce minuscule meublée d’un burlingue à volets et de quelques chaises recouvertes de peluche rouge. Au mur, un portemanteau et des photos de filles à loilpé dédicacées.

Ange est en train de se débarrasser du mirifique pardingue. Il se détourne et me contemple sans chaleur.

— Qu’est-ce que c’est ?

Je dépose ma carte sur son bureau et je choisis une chaise.

— Tiens ! fait-il sans s’émouvoir. C’est donc plus Bonichon qui fait la virée ?

— Y a gourance, monsieur Ravioli, je ne suis pas de la Mondaine.

Son regard se coagule. Qu’il n’aime pas les poulets, c’est neuf. D’ailleurs, cette aversion est très généralisée en France. Mais en plus de l’antipathie, il y a de la méfiance dans ses carreaux.

— Alors vous voulez quoi ?

Je m’assieds à l’amerlock, les pinceaux sur son bureau pour lui montrer que dans mon genre, j’ai de grosses analogies avec Attila. (Au lieu d’être le roi des Huns, je suis le roi des Vingt-Deux.)

— C’est toute une histoire, mon cher… Je gratte en relation avec Interpol…

Le mot le fait tiquer.

— Si vous me cherchez du suif, y a gourance, déclare-t-il. J’ai eu des petits ennuis autrefois, mais on vous dira sur la place que maintenant je suis régul. Vous pouvez fouiller ma taule, si vous trouvez un gramme de chnouf je vous paie des prunes. Pas de jeux clandestins, pas d’abattage en arrière-boutique !

— En somme, y te reste plus qu’à postuler pour la Légion d’honneur, non ?

Un petit rictus tord sa lèvre. Il est assez beau gosse, Ravioli. Il ressemble à Raf Vallone ; un Vallone aux tifs aplatis par la gomina, façon pin-up boy 1939.

— Bon, coupe-t-il. Vous disiez donc que vous étiez embringué avec l’Inter ?…

— C’est les copains de Hambourg qui font du zèle. Ils recherchent un certain Keller qui a disparu depuis quelques années.

En lançant ça, je n’ai pas quitté Ange des yeux. Il est resté impavide, un peu trop peut-être, à mon sens.

Le silence devient gênant. Il est relatif, d’ailleurs, car dans la salle, les musicos mettent toute la gomme dans un tcha-tcha. Tous les veaux ont dû abandonner leurs tables pour se frotter le nombril en cadence. Et après, ils se marrent quand, au ciné, ils voient gambiller autour d’un feu les bougnouls de l’A-OF.

— Ce Keller en question marnait dans la joncaille, poursuis-je. Des barlus de toutes provenances débarquaient clandestinement des lingots à Hambourg et lui, il faisait la distribution.

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