« On a arrêté la Voisin et sa clique. Le San-Antonio de l'époque a brillamment mené son enquête et a découvert la participation de la Montespan à ces sacrifices humains. On a prévenu Loulou. Le pauvre Gros n'en revenait pas. Comprenant à quel danger il avait échappé, il s'est grouillé d'envoyer la marquise dans ses terres. Puis il a écrasé le coup. Les grandes affaires finissent toujours commak, tu ne l'ignores pas. Le scandale a pour lui deux atouts maîtres : le silence et le temps. Les pièces prouvant la culpabilité de la favorite furent détruites et tout rentra lentement dans l'ordre. Par la suite, l'épagneul vieillissant se tourna vers la religion et prit pour seconde femme la gouvernante des enfants de la Montespan : la veuve du poète Scarron qui allait bientôt devenir Madame de Maintenon. Il l'épousa clandestinement en 1683, si mes souvenirs sont exacts.
« C'était pas une marrante cette vieille bigote ! Le genre servante de curé. Elle fut une bonne dame de compagnie pour ses vieux jours et le fastueux Roi-Soleil vit ses rayons s'éteindre au contact de cette banquise.
« Son interminable règne s'acheva tristement. Le Trésor était vide, le peuple affamé commençait à rêver de 1789 en 1715. Sa mère de Maintenon mise à part, Louis XIV n'avait plus auprès de lui que son arrière-petit-fils le duc d'Anjou, futur Louis XV. A une époque où l'on était un vieillard à quarante piges, ce roi de soixante-dix-sept berges faisait figure de fantôme. On se demandait si ça n'allait pas durer toujours. Une politique ne peut être prise au sérieux que si elle est neuve. La sienne avait enterré plusieurs générations et l'on ne pouvait plus la supporter. Il ne réchauffait plus personne, le Roi-Soleil ! De temps à autre, il recevait bien un illustre étranger, histoire d'amuser le public (c'est une recette éprouvée et qui subsistera longtemps), mais ça ne suffisait plus à cacher la mélancolie de cette fin de règne. Le Frisé, par sa prodigieuse vitalité, était devenu un triste fossoyeur. La mort eut enfin pitié de ses sujets et l'embarqua le 1 erseptembre 1715.
« Il y eut de grandes réjouissances dans tout le royaume pour célébrer l'événement.
« Moralement, la Révolution française commençait, mon Vieux Béru, mais sur le moment personne ne le sut !
« Voilà. C'est tout ce que j'avais à te dire sur Louis XIV ».
Dans l'après-midi, M'man qui a des courses à faire va déposer ma bobine magnétique à la Maison Viens-Poupoule. En fin de journée, un planton de la boîte me la rapporte. Sa Grosseur a pris connaissance de la leçon. Il a effacé la bande et a eu la gentillesse de m'enregistrer le message suivant :
« Mon Vieux San-A. Merci pour le cours enregistré. Je l'ai écouté deux fois de suite, dont une avec Pinaud qui regrette de pas avoir participé aux premières leçons. Tu m'aurais pas dit que t'avais 39 de fièvre que je l'eusse deviné. C'est pas pour te vexer mais t'as la volte-face rapide. Dans le cours dont à propos duquel tu as bien voulu me faire, tu commences par me dire que Louis XIV est le super-crack de l'Histoire et ensuite, après ta salve de suppositoires, voilà que tu le traites de va-de-la-gueule. Faudrait savoir ! Attends une seconde ! Qu'est-ce que ta dis, Pinuche ? »
Un petit ronronnement de conversation inaudible dans l'appareil. Puis la voix du Gros redevient présente, épaisse, grasse comme de la petite friture.
« Oui, Pinaud ici présent me fait remarquer que Versailles c'est une chouette masure et il pige pas tes sargasses à ce propos. Je suis de son avis. Fallait le faire, mon pote ! Le plus beau palais du monde, c'est quand même nous qu'on l'a ! Tu dis que les bouseux crevaient de faim à l'époque, bon, admettons. Mais tu penses sérieusement que si qu'on aurait pas construit l'H.L.M. à Loulou, ils auraient eu de la jaffe en quantité suffisante ? Des clous ! Un ministre aurait enfouillé l'artiche. Et même ça valait le coup que des mecs claquent du bee pour que la France jouissât d'une merveille aussi merveilleuse. Où est-ce que notre Général recevrait les Souverains étrangers à c't'heure, sinon ? A l'Hôtel du Poux Nerveux, réponds voir ? Autre chose : les bonshommes que tu m'as récités : les peintres, les esculpteurs, les écrivains et les écrivaines, s'ils ont percé, c'est grâce à Louis XIV. Moi je les ai pas lus, mais y a des gens qui les connaissent, surtout à l'étranger. Crois-moi, San-A, ça n'était pas un mauvais sujet ce roi et je me réjouis de lui ressembler un peu. De profil surtout, à ce que dit Pinaud. Si tu trouvais une photo du monsieur j'aimerais comparer. C'est ma Berthe qui en prendrait plein les chasses, pour le coup, si je lui démontrerais que je suis descendant d'un roi pareil, ne serait-ce que par l'intermédiaire d'une bonne de bistrot.
« Pour l'histoire de ma ressemblance, y a pas que le profil : faut voir itou du côté de la bagatelle. Avec la différence toutefois que Bérurier, il a pas besoin qu'une Mme de Sacripan le gave de paradisiaques ! Ton Gravos, il est branché sur le courant lumière et il assure le service de jour aussi bien que le service de nuit.
« Cela dit, j'espère que ta grippe ce sera rien. Est-ce que t'as essayé le coup des chapeaux ? Tu le connais sûrement, mais je te le réitère. Moi, v'là comme je pratique : je fous un bitos sur mon édredon et je me mets à écluser du vin rouge bien sucré et bien poivré jusqu'à ce que j'en voie plusieurs. Pour les dames, la dose c'est deux chapeaux, mais pour les gringalets de notre acabit, c'est au moins quatre ! Des que tu vois quatre badas sur ton pageot, tu roupilles et le lendemain t'es guéri. Personnellement j'opère avec du picrate d'épicier, mais j'ai idée qu'avec du Pommard ça ne doit pas être déplaisant. Pinaud se joint à moi pour t'adresser le bonjour. Je signe verbalement ton Bérurier XIV ».
Lecture :
L'ASTUCE DES LÉBERUL OU LE MOYEN DE S'EN SORTIR
Le cortège filait cahin-caha sur la route ravinée. Un rideau de peupliers tristes coupait la ligne d'horizon. Il pleuvait depuis Chagny et les hommes qui escortaient la voiture étaient trempés jusqu'à l'os. Au pas butant des Chevaux on comprenait la fatigue générale.
Le chef du convoi, Joachim Lebérul, un solide sous-officier, pensait qu'il restait encore cent lieues à faire avant d'atteindre la capitale. S'il ne ménageait pas ses montures et leurs cavaliers, il risquait fort d'éprouver en cours de voyage quelques désagréments. Pourtant, comme son village natal n'était distant que de quatre lieues, il exhorta ses hommes.
— Holà, compagnons, dit-il. Je connais, plus très loin d'ici, une fameuse auberge où nous pourrons trouver le gîte et le couvert pour la nuit. Le gargotier a une cave qui vous fera rougir les oreilles, mes braves ! Un peu de courage et vous m'en direz des nouvelles !
Ces bonnes paroles firent trouver à chacun pour quatre lieues d'énergie, et la petite troupe qui se composait de six hommes et de dix chevaux atteignit à la nuit tombante l'auberge de « L'Écu de France et du Roi Soleil réunis ».
En voyant s'arrêter dans sa cour une voiture aux volets baissés, flanquée de valeureux cavaliers, le tavernier distribua force coups de pied aux marmitons et aux servantes afin de faire naître sur leurs lèvres ces sourires de bien-venue qui font les bonnes maisons, puis il se précipita, l'échine en équerre, à la rencontre des arrivants.
En ces temps de disette, le commerce marchait mal. Cela faisait plusieurs jours qu'il n'avait pas vu de clients, aussi le digne homme était-il décidé à dorloter ceux que le ciel lui dépêchait.
— Une chambre de maître et une chambre de valet ! aboya Lebérul.
Le tavernier ouvrit des yeux ronds.
— Mais, monsieur, bredouilla-t-il.
Читать дальше