— Et dans quel arrondissement se trouve la rue Ambroise-Paré, s’il vous plaît ?
— Dans le dixième arrondissement, jeune homme.
— C’est pas la porte à côté d’après ce que vous me dites, car ici, nous sommes dans le cinquième arrondissement. Alors, monsieur l’agent, comment dois-je m’y prendre pour me rendre à l’hôpital Lariboisière, s’il vous plaît ?
— Vous pouvez y aller à pied. Mais c’est loin. Alors, je vous conseille le métro.
— Merci largement, monsieur l’agent. À quelle station, s’il vous plaît ?
— À la station Censier-Daubenton. Tout près d’ici. Et vous descendez à Barbès-Rochechouart.
— Merci profondément, monsieur l’agent. Quelle ligne est-ce, s’il vous plaît ?
— Ligne numéro 12. Mairie d’Issy-Porte de la Chapelle, et réciproquement avec changement à la gare de l’Est, ligne numéro 4, Porte de Clignancourt-Porte d’Orléans, et inversement.
— Merci intensément, monsieur l’agent. Et où se trouve la station Barbès-Rochechouart, s’il vous plaît ?
— Elle est située au carrefour du boulevard Barbès, du boulevard de Rochechouart et du boulevard de la Chapelle, face à la rue de Rochechouart, qui commence au 2, rue Lamartine et finit 19, boulevard de Rochechouart, devant la place d’Anvers.
— Merci énormément, monsieur l’agent. Mais il n’y a pas d’autobus pour y aller ?
— Si, bien sûr !
— Quelle ligne, monsieur l’agent, s’il vous plaît ?
— C’est que ça commence à ne pas me plaire du tout. Vous verrez bien, c’est écrit dessus.
— Merci infiniment et immensément, monsieur l’agent. Dommage que je n’aie rien à y foutre, à l’hôpital Lariboisière, vu que je ne suis pas malade et que je n’ai personne à voir qui y soit hospitalisé, parce que, avec les renseignements que vous m’avez donnés, j’aurais pu y aller les doigts dans le nez et les yeux fermés.
— Non, mais dites donc, jeune homme, est-ce que vous n’êtes pas présentement en train de vous payer régulièrement ma tête ?
— Bien sûr que si, monsieur l’agent, autrement vous pensez bien que je ne me serais jamais permis de vous poser toute cette série de questions.
— Ah bon ! Parce que, hein ! Autant savoir à quoi s’en tenir !
En 1943, en Angleterre, Pierre Dac découvre la cuisine anglaise. Il écrit alors : « Elle est entièrement basée sur l’eau, qui en est le principe fondamental et l’élément déterminant. Tout devant être bouilli, l’eau est le commencement et la fin de tout. » Une observation qui lui a permis d’imaginer la confection d’un plat, qu’il a baptisé « Water Sauce » :
Vous prenez un litre d’eau ordinaire que vous faites soigneusement bouillir. Pendant ce temps, vous prenez un autre litre d’eau, préalablement bouillie, et vous la faites tiédir au bain-marie et à feu doux. Quand c’est à point, vous versez dans votre premier litre d’eau le contenu du second, mais goutte à goutte et en remuant, pour éviter que ça attache.
Dans la préparation ainsi obtenue, vous versez alors la valeur d’un bon seau et demi d’eau, bouillie naturellement. Vous ajoutez la valeur de gros comme la tête d’un âne sur la pointe d’une épingle d’eau bouillie légèrement dégourdie, pour lier le tout convenablement. Vous mettez au four pendant 60 minutes en arrosant tous les quarts d’heure d’un verre d’eau bouillie pour gratiner. Vous démoulez, vous servez et vous n’avez plus qu’à vous en remettre à la suite des événements.
LA CONFITURE DE NOUILLES
Dans le domaine culinaire, Pierre Dac a également inventé d’autres recettes qui, pour des raisons qui nous échappent, ne figurent jamais sur les cartes des restaurants.
La confiture de nouilles remonte à une époque fort lointaine ; d’après les renseignements qui nous ont été communiqués par le conservateur du musée de la Tonnellerie, c’est le cuisinier de Vercingétorix qui eut, le premier, l’idée de composer ce chef-d’œuvre de la gourmandise.
Avant de semer la graine de nouille, les nouilliculteurs préparent longuement le champ nouillifère pour le rendre idoine à la fécondation et versent sur toute sa surface de l’alcool de menthe dans la proportion d’un verre à bordeaux par hectare de superficie ; cette opération, qui est confiée à des spécialistes de l’École de nouilliculture, est effectuée avec un compte-gouttes.
Après cela, on laisse fermenter la terre pendant toute la durée de la nouvelle lune et, dès l’apparition du premier quartier, on procède alors aux senouilles de la graine de nouille.
La nouille, encore à l’état brut, est alors soigneusement triée et débarrassée de ses impuretés ; après un premier stade, elle est expédiée à l’usine et passée immédiatement au laminouille, qui va lui donner l’aspect définitif que nous lui connaissons ; le laminouille est une machine extrêmement perfectionnée, qui marche au guignolet cassis et qui peut débiter jusqu’à 90 kilomètres de nouilles à l’heure ; à la sortie du laminouille, la nouille est automatiquement passée au vernis cellulosique, qui la rend imperméable et souple ; elle est ensuite hachée menu à la hache d’abordage et râpée. Après le râpage, la nouille est alors mise en bouteilles, opération très délicate qui demande énormément d’attention ; on met ensuite les bouteilles dans un appareil appelé électronouille, dans lequel passe un courant de 210 volts ; après un séjour de douze heures dans cet appareil, les bouteilles sont sorties et on vide la nouille désormais électrifiée dans un récipient placé lui-même sur un réchaud à haute tension.
On verse alors dans ledit récipient du sel, du sucre, du poivre de Cayenne, du gingembre, de la cannelle, de l’huile, de la pomme de terre pilée, un flacon de magnésie bismurée, du riz, des carottes, des peaux de saucisson, des tomates, du vin blanc et des piments rouges ; on mélange lentement ces ingrédients avec la nouille à l’aide d’une cuiller à pot et on laisse mitonner à petit feu pendant vingt et un jours. La confiture de nouilles est alors virtuellement terminée. Lorsque les vingt et un jours sont écoulés, que la cuisson est parvenue à son point culminant et définitif, on place le récipient dans un placard, afin que la confiture se solidifie et devienne gélatineuse ; quand elle est complètement refroidie, on soulève le récipient très délicatement, avec d’infinies précautions et le maximum de prudence, et on balance le tout par la fenêtre parce que ce n’est pas bon.
Voilà, mesdames et messieurs, l’histoire de la confiture de nouilles ; c’est une industrie dont la prospérité s’accroît d’année en année ; elle fait vivre des milliers d’artisans, des ingénieurs, des chimistes, des huissiers et des fabricants de lunettes. Sa réputation est universelle et en bonne ambassadrice elle va porter dans les plus lointaines contrées de l’univers, par-delà les mers océanes, le bon renom de notre industrie républicaine, une et indivisible et démocratique.
Tout au long de la dernière guerre, les messages personnels codés ont permis aux résistants de communiquer à l’insu des nazis. Participant à Londres aux programmes français de la BBC, Pierre Dac les a entendus tous les jours. Il était logique qu’une fois la paix revenue, il en imagine d’autres, encore plus impossibles à décoder que les vrais.
MESSAGES PERSONNELS
Le camembert est dans la barbe du sapeur.
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Le virage est à angle droit.
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La parole est à la dépense.
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Les chromosomes sont kleptomanes.
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Le miroir ne renvoie pas l’image.
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Les parallèles sont dissymétriques.
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L’homme de Néanderthal fait de l’aérophagie.
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Le chahut militaire est auvergnat.
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Ni trop, ni trop peu ni trop glycérine.
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Le satellite ne tourne pas rond.
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La batterie est en danger.
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Les trépassés sont dépassés.
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La table d’écoute est bien garnie.
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L’escalade commence au sous-sol.
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L’astronome a la vue basse.
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La choucroute n’est pas garnie.
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L’haltérophile a les oreillons.
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Le visagiste est hypermétrope et le paysagiste hypersonfroc.
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L’alexandrin a mal aux pieds.
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Le contractuel est paranoïaque.
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Le prix Nobel est stabilisé.
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Les biscuits secs refusent de se mouiller.
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