— C’est pas un bon vent, c’est la fin des haricots !
— Il est charmant ! Je me présente, commissaire Socrate, et voici les inspecteurs Eurydice, Euthymènes et Tuculatum. Permettez que je vous débarrasse de vos menottes et que je vous donne à la place un numéro de vestiaire… Voulez-vous une cigarette, un whisky, un gin-fizz, un dry Martini, un alexandra ?
— Je préférerais un bon coup de rouge.
— Ben voyons donc, qu’à cela ne tienne ! Une bouteille de chambolle-musigny pour notre invité…
— Moi, j’suis votre invité ?
— Evidemment… invité à dire la vérité.
— J’l’ouvrirai pas.
— Ne vous avancez pas trop ! Nous avons des moyens !
— Vous pouvez toujours y aller !
— Nous verrons ça plus tard. D’abord quelques petits renseignements : votre âge ?
— J’me rappelle pas !
— Curieux, ça, et comment ça se fait ?
— Ben, ça change tous les ans ; alors moi j’ai autre chose à faire que de tenir une comptabilité.
— Comme je vous comprends ! D’ailleurs on n’a que l’âge de ses artères.
— Ah ! J’suis pas au courant.
— Ça ne fait rien. Marié ?
— Ouais.
— Et que fait madame votre femme ?
— Elle se défend.
— Oui ? Et de quelle manière ?
— Elle est dans le commerce.
— Dans le commerce ? Quel commerce ?
— Ben… dans le commerce du… des… enfin, elle tient un clandé, quoi, une taule clandestine…
— Parfaitement, je vois… Pas d’enfants ?
— Si, une fille, elle est étudiante… Enfin, elle travaille avec sa mère. Ah, pas tout le temps, elle donne un coup de main les jours de presse. Elle arrive ces jours-là à faire du 22 à l’heure… Du 22 clients à l’heure naturellement. La semaine dernière, elle a expédié un bonhomme strictement de série, en 2’48"4/5 e, pose, dépose, préparation, exécution et finition comprises…
— Jolie performance ! Tenez, Jojo, vous ferez parvenir ceci, de ma part, à votre charmante jeune fille, avec mes compliments et ma sincère admiration. Cela s’appelle « Soir de rafle » de chez Poulet… et ça sent bon !.. Parlons maintenant un peu de vous, mon cher Jojo, vous savez de quoi vous êtes accusé ?
— J’m’en cloque !
— Bien sûr, mais enfin, il est de mon devoir de vous le rappeler. Vous êtes accusé de l’attaque du vélo postal, de huit meurtres, quatre assassinats, dix-neuf cambriolages, un viol et deux contraventions pour défaut d’éclairage et stationnement illicite.
— J’suis pas au courant !
— Bien. Nous allons donc appliquer le premier degré. Inspecteur Euthymènes, à vous !
— Cher monsieur Jojo, au nom de l’amicale des Pèlerines roulées, voulez-vous me permettre de vous offrir ce coffret de douze cravates pure soie.
— Ah, ben alors, ah, ben alors ! C’est vachement chouette…
— Alors, Jojo, ces meurtres, ces vols, ces viols…
— J’suis pas au courant !
— Alors, désolé, deuxième degré, inspecteur Eurydice !
— M. le préfet de police se fait un plaisir de vous prier d’accepter cette boîte de cigares de La Havane, ainsi que la somme de 25 000 F pour vos œuvres.
— Ah ben, ça alors, fit Jojo, les mains tremblantes, en essayant de déglutir sans y parvenir parfaitement.
— Alors, Jojo, toujours pas au courant ?
— N… Non !
— Alors, troisième degré, inspecteur Tuculatum ?
— De la part de la Brigade cycliste féminine, ce chronomètre en platine et de la part de l’Association sportive des juges d’instruction, ce stylo et ce porte-mines en or 18 carats.
— Non, c’est trop ! hoqueta Jojo.
— Alors, Jojo ?
— Oui… Oui, c’est moi ! pour l’attaque du pédalo, le ratatinage et les cassements. D’accord, mais pour les deux contredanses, j’suis pas bon !
— Et le viol, Jojo, vous l’oubliez ?
— Ah ! la la ! Pas la peine d’en faire une terrine ! Ça, un viol ! Pas même une visite à la sauvette ! Je n’ai fait qu’entrer et sortir…
— Admettons… Mais ces deux contredanses ?
— Non, non, non et non ! C’est pas moi !
— Alors, tant pis, vous l’aurez voulu… Euthymènes, quatrième degré !
— Cher monsieur Jojo… permettez-moi de vous présenter Mlle Maria-les-Doigts-Souples, qui brûle d’envie de vous connaître…
— Jojo, enfin ! Depuis le temps que je t’ai dans la thyroïde, dit la dame. Mon Jojo, fais de moi ce que tu voudras ! J’suis ton esclave !
— Assez, assez, arrêtez, arrêtez ! hurla Jojo. J’en peux plus… J’vais me mettre à table !
— À la bonne heure, fit le commissaire. Messieurs, tous à la salle à manger des aveux spontanés où notre ami Jojo le Contagieux va enfin manger le morceau !
Toute la logique de l’absurde de Pierre Dac repose sur un détournement, réglé comme du papier à musique, de scènes de la vie quotidienne. La preuve, ces textes qu’il a écrits après avoir attentivement observé ce qui se passait autour de lui…
SCÈNES BRÈVES DE LA VIE QUOTIDIENNE
Un banc, au Jardin des Plantes, sur lequel sont assis deux hommes en colère et en tenue correcte et régulière
— Y a pas plus à tortiller du cuir chevelu pour friser droit que de tourner autour du pot pour onduler à froid, mais, faut dire ce qui est, y a plus de saisons.
— Non, en effet, y en a plus et la faute en est aux marchands.
— Quels marchands ?
— Les marchands des quatre-saisons, naturellement.
— Vous croyez ?
— J’en suis sûr, vu qu’à force de les vendre, il finit par ne plus en rester.
— C’est la seule explication.
Sur un banc communal du jardin municipal placé à l’ombre du buste équestre du général Paul-Emile de Mormoil-Neuville, à Piétinezy-les-Plates-Bandes, dans l’Yonne
— Excusez mon indiscrète curiosité, monsieur. Quel est donc le genre de tabac que vous fumez dans votre pipe et qui dégage une forte odeur bien agréable certes à l’odorat, mais singulièrement non tabagique ?
— Ce n’est pas du tabac que je fume dans ma pipe, monsieur.
— Ah ! Et quoi donc alors ?
— Une mixture composée d’un mélange de jambon, de bœuf, de saucisse, de saumon, de haddock, de lard et de hareng, le tout, je précise, à l’état frais.
— Tout s’explique ! Mais, dites-moi, quand vous avez fumé cette mixture charcutière, poissonnière et bovine, vous ne la mangez pas ?
— Bien sûr que si.
— Tout s’explique encore mieux !
Dans la jolie chambre à coucher d’un charmant foyer conjugal à Vizinpeux-la-Bellepoule, dans le Val de Grâce de Marne
— Dis-moi, mon chéri, est-ce que tu m’aimes ?
— Quelle question ! Bien sûr que je t’aime, ma chérie.
— Un peu ?
— Bien plus qu’un peu.
— Alors, beaucoup ?
— Bien plus que beaucoup.
— Passionnément, alors ?
— Bien plus que passionnément.
— Alors, à la folie ?
— Bien plus qu’à la folie.
— À en mourir, alors ?
— Oui, à en mourir.
— Alors, prouve-le-moi, mon chéri.
— Tout de suite, ma chérie.
Il prend un revolver, se fait sauter la cervelle et s’écroule définitivement pour le compte final.
— Pauvre chéri ! C’est pourtant vrai qu’il m’aimait à en mourir !
À l’angle de la rue des Patriarches et de la rue de l’Épée-de-Bois. Paris V e
— Pardon, monsieur l’agent, l’hôpital Lariboisière, c’est où déjà ?
— Jeune homme, il est exactement situé au numéro 13 de la rue Ambroise-Paré.
— Et où se trouve-t-elle cette rue ?
— Entre le 95 de la rue de Maubeuge et le 154 du boulevard de Magenta.
Читать дальше