Je sais !
Mais c’est cela surtout qui me la rend aimable…
PHÈDRE
Oui mais pour c’qu’est d’la chose elle doit être minable !
Allons, va, n’y pens’ plus et sois mon p’tit amant
Tu connaîtras par moi tous les enchantements !
HIPPOLYTE
De grâce apaisez-vous, je me sens mal à l’aise…
PHÈDRE
Viens, pour te ranimer j’te frai l’Péloponnèse !
HIPPOLYTE
Qu’est-ce encor’ que cela ?
PHÈDRE
C’est un truc épatant !
Ça s’fait les pieds au mur et l’nez dans du vin blanc
HIPPOLYTE
De tant de perversion tout mon être s’affole.
PHÈDRE
Ben qu’est c’que tu dirais si j’te f’sais l’Acropole.
HIPPOLYTE
Quelle horreur !
PHÈDRE
Comm’ tu dis ! Mais c’est bougrement bon…
Ça s’fait en descendant les march’s du Parthénon !
HIPPOLYTE
Prenez garde, madame, et craignez mon courroux !
PHÈDRE
C’est ça, vas-y Polyte, bats-moi, fous-moi des coups !
HIPPOLYTE
Vous frapper ? Moi, jamais, mon honneur est sans tache.
PHÈDRE
Mais y a pas d’déshonneur, moi j’aim’ ça l’amour vache…
Viens, tu s’ras mon p’tit homme et j’te donn’rai des sous…
HIPPOLYTE
Ah ! Que ne suis-je assis à l’ombre des bambous…
Je ne veux rien de vous, mon cœur reste de roche !
PHÈDRE (câline)
Qu’est-c’que tu dirais d’un p’tit cadran solaire de poche ?
J’te f’rai fair’ sur mesure un’ joli’ peau d’mouton
Et pour les jours fériés des cothurn’s à boutons…
HIPPOLYTE
Croyez-vous donc m’avoir en m’offrant des chaussures ?
C’est croire que mon cœur du vôtre a la pointure !
PHÈDRE
En parlant de pointure, si j’en juge à ton nez
Ell’ doit être un peu là si c’est proportionné !
HIPPOLYTE
Vous devriez rougir de vos propos infâmes
Vous me faites horreur, ô méprisable femme !
PHÈDRE
À la fin c’en est trop ! Mais n’as-tu donc rien là ?
HIPPOLYTE
Madame je n’ai point de sentiments si bas.
PHÈDRE
Les feux qui me dévorent ne sont pas éphémères…
Hippolyt’ je voudrais que tu me rendiss’s mère.
HIPPOLYTE
Ciel ! Qu’est-ce que j’entends ? Madame, oubliez-vous
Que Thésée est mon père et qu’il est votre époux ?
PHÈDRE
C’qui fait que j’suis ta mèr’, c’est pour ça qu’tu t’tortilles ?
Ben comm’ ça tout s’pass’ra honnêt’ment en famille.
HIPPOLYTE
Mais si de cet impur et vil accouplement
Il nous venait un fils, que serait cet enfant ?
PHÈDRE
Puisque je s’rais ta femme en mêm’ temps que ta mère
L’enfant serait ton fils en mêm’ temps que ton frère…
HIPPOLYTE
Et si c’était un’ fill’ qu’engendrait votre sein ?
PHÈDRE
Ta fill’ serait ta sœur et ton frèr’ mon cousin !
HIPPOLYTE
Ah ! Que ne suis-je assis à l’ombre des pelouses…
PHÈDRE
Tu parl’s ! Avec c’monde’là, qu’est-c’qu’on f’rait comm’ partouzes !
HIPPOLYTE
Assez, je pars, adieu !
PHÈDRE
Ah ! Funèbres alarmes,
Voilà donc tout l’effet que t’inspirent mes charmes ?
J’attirerai sur toi la colère des dieux
Afin qu’ils te la coupent !
HIPPOLYTE
Quoi, la tête ?
PHÈDRE
Non, bien mieux !
HIPPOLYTE
Vous êtes bien la fille de Pasiphaé !
PHÈDRE
Et toi va par les Grecs t’faire empasiphaer !
Sinusite et Pet-de-Nonne, venez sacrées bougresses,
Calmez mon désespoir, soutenez ma faiblesse…
PET-DE-NONNE
Elle respire à peine, elle va s’étouffer…
PHÈDRE
Ben, c’est pas étonnant, j’ai c’t’Hippolyt’ dans l’nez !
Je veux dans le trépas noyer tant d’infamie
Qu’on me donn’ du poison pour abréger ma vie !
SINUSITE
Duquel que vous voulez, d’l’ordinaire ou du bon ?
PHÈDRE
Du gros voyons, du roug’, celui qui fait des ronds.
Qu’est-c’que vous avez donc à m’bigler d’vos prunelles
Écartez-vous de moi !
(À Hippolyte)
Toi, viens ici, flanelle.
Exauce un vœu suprême sans trahir ta foi,
Viens trinquer avec moi pour la dernière fois.
(Les servantes apportent deux bols.)
À la tienne érotique sablonneux et casse pas le bol !
(Elle boit)
Ô Dieu que ça me brûl’, mais c’est du vitriol !
HIPPOLYTE boit
Divinités du Styx, je succombe invaincu
Le désespoir au cœur…
PHÈDRE
Et moi le feu au cul !
À la fin des années cinquante, Pierre Dac est victime d’une grave dépression nerveuse. Selon son expression, il y a, en son for intérieur « quelque chose qui ne tourne pas rond dans le carré de l’hypothénuse ». À quatre reprises, il tente de mettre fin à ses jours. Heureusement, s’il sait jongler avec les mots, il est extrêmement maladroit de ses mains. La raison de sa déprime : le 28 octobre 1915, Marcel, son frère aîné, a été tué par les Allemands. Ce jour-là, Pierre a perdu toutes ses illusions sur l’espèce humaine. Il a alors commencé à bâtir, dans son imagination, un monde où, par exemple, on pratiquerait d’autres méthodes pour faire avouer les criminels.
LES AVEUX SPONTANÉS
— Alors, messieurs, c’est bien compris ? Pas de violences, pas d’énervement, pas de geste inconsidéré. Je ne tolérerai aucune défaillance. Et surtout, de la tenue, toujours de la tenue, encore de la tenue. Voyons un peu… Vous avez bien tous votre fleur à la boutonnière ? Bien. Rectifiez-moi ce nœud de cravate, il est de travers… Tournez-vous. Bon, qu’est-ce que c’est que cette pochette ?
— C’est une pochette-surprise, patron.
— Complètement déplacé, mon ami. Je ne veux pas de fantaisie intempestive… Vos mains maintenant. Eh bien, Euthymènes, pas de manucure cette semaine ?
— Je n’ai pas eu le temps, patron !
— Ce n’est pas une excuse. J’exige de mes inspecteurs qu’ils aient toujours des ongles impeccables et de la crème sur les mains. Tenez-vous-le pour dit. Et… Pas d’armes, j’espère ! Levez les bras… Eh bien, Tuculatum, qu’est-ce que ça signifie ? Une matraque ? Vous n’êtes pas un peu fou, non ?
— Mais, patron, je l’ai décorée avec des rubans et un bouquet de violettes !
— Oui, je sais, vous êtes un sentimental, mais, palsembleu, mettez-vous bien dans la tête, une fois pour toutes, que, quels qu’ils soient, tous les anciens procédés de passage à tabac et d’intimidation brutale sont définitivement et rigoureusement prohibés. Je n’y reviendrai pas. Eurydice, quelle heure est-il ?
— Moins dix, patron !
— Moins dix de quoi ?
— Je ne sais pas. Y a pas de petite aiguille à ma montre.
— Bon, alors, nous avons juste le temps, notre client ne va pas tarder. Euthymènes, arrangez les fleurs. Tuculatum, tamisez les lumières. Eurydice, branchez le pick-up… Un peu de musique douce, pour créer l’ambiance… L’ambiance est d’une importance capitale. La confiance par l’ambiance, c’est ma devise. Bon… tout est en ordre ? Parfait. Prêts ?… Alors, allons-y. Et n’oubliez pas qu’urbanité et civilité sont les deux mamelles des aveux spontanés… Saluons l’entrée de M. Jojo le Contagieux, directeur général du gang des tractions à vapeur… Bonjour, cher ami, quel bon vent vous amène ?
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