— La ferme, Gabriel ! criai-je.
Je courus vers lui, le forçai à me regarder. Il détourna les yeux et fixa le sol.
— Iris, s’il te plaît… Ne rends pas les choses plus difficiles.
— Répète ce que tu viens de dire, m’énervai-je en martelant son torse avec mes poings.
— Je t’aime, murmura-t-il.
Mes coups cessèrent. J’écrasai mes lèvres contre les siennes. Il me broya contre lui. Nos langues se livraient bataille. Notre baiser me faisait mal, il avait un goût de sang, de relents d’alcool, mais il fracassait tout sur son passage. Je voulais savoir ce que ses lèvres me feraient. Elles me faisaient peur, elles me faisaient du bien, elles me mettaient en danger, elles me rendaient vivante. Il me poussa contre le mur le plus proche. Ses mains, intrusives et possessives, empoignèrent mes fesses puis s’insinuèrent sous mon tee-shirt. Les miennes s’écrasèrent dans son dos, je pétrissais sa peau, je me retenais de le griffer. Je voulais me fondre en lui. Il agrippa ma cuisse, je sentis toute l’étendue de son désir. Je gémis. Notre baiser prit fin brutalement. J’étais à bout de souffle. Il lâcha ma jambe et riva son regard au mien, un regard plein de douleur, et fautif. Je passai la main dans ses cheveux.
— Que t’arrive-t-il ?
Je caressai son visage, et il ferma les yeux. Puis il se dégagea.
— Tu ne sais pas tout. Tu mérites un type bien. Même ton connard de mari t’aurait rendue plus heureuse que moi.
— Pourquoi penses-tu une telle chose ?
Il se tourna vers moi ; il me dominait de toute sa stature.
— Parce qu’avant de t’aimer, je voulais coucher avec toi, pour rendre folle Marthe, pour lui piquer son jouet, pour que tu sois le mien. Parce qu’on a toujours joué à ça avec elle. Sauf qu’elle voulait te garder pour elle seule. Plus elle m’interdisait de m’approcher de toi, plus je te voulais, et pas pour ton bien. Crois-moi.
Je portai la main à ma bouche.
— C’est faux !
— La vérité, Iris, c’est que tu es la première femme avec qui j’ai envie de faire l’amour, et pas de baiser comme une poule de luxe. Tu veux vraiment savoir qui je suis ?
Il planta ses yeux dans les miens. Je ne pouvais plus parler.
— Je suis le type qui a couché avec Marthe pendant près de quinze ans alors que je l’aime comme une mère. J’ai été son gigolo, avec l’approbation de Jules et mon consentement total. La fin va t’intéresser aussi ! Je ne suis rien sans elle, tout ce que tu as vu depuis le début, les sociétés, mon fric, mon appartement, tout, strictement tout ce que j’ai est à elle, et si elle le décide, demain je me retrouve à la rue, à poil.
Les larmes débordèrent de mes yeux. Gabriel avait la mâchoire serrée. Il était livide. Ce qui ne l’empêcha pas de poursuivre.
— Si j’avais levé le petit doigt le soir où elle t’a fait essayer une robe devant moi, ça se finissait en partie à trois, que tu le veuilles ou non. On t’aurait pervertie.
Je retins difficilement la nausée qui montait.
— C’est là que j’ai réalisé que je changeais, parce que j’ai voulu te protéger de son emprise. Je voulais tout faire pour éviter que Marthe ne te fasse ce qu’elle m’a fait. Mais c’était si dur de lutter contre ce que je ressentais. J’ai à peine essayé de mettre de la distance, et il n’y avait rien à faire. Je ne pensais qu’à toi, je ne voulais que toi. Et puis, ton mari est venu… J’ai compris que je ne t’apporterais rien de bon, qu’il fallait que j’arrête de rêver. Ton départ précipité m’a facilité la tâche, même si je vis l’enfer depuis que tu es partie. Quand je t’ai vue hier, quand j’ai appris que tu vivais chez elle… je… la manière dont elle te tenait… et toi… toi, tellement elle, et… tellement soumise, j’ai cru devenir fou.
Je tremblais des pieds à la tête. J’avais l’impression de découvrir une autre histoire que la mienne, que la nôtre, à tel point que je chancelai, prise d’un vertige. Gabriel s’approcha à grands pas de moi, il me guida vers le canapé et me fit asseoir. Il s’accroupit devant moi et prit mes mains dans les siennes.
— Il faut que tu t’en ailles. Tu as tes papiers ?
Je hochai la tête, sans trop saisir où il voulait en venir.
— Oublie tes affaires. Tu ne retourneras pas là-bas, sinon elle ne te laissera plus sortir. Quand je pense à ce qu’elle t’a fait…
Il s’arrêta, passa doucement son pouce sur ma lèvre blessée et posa délicatement sa main sur mon cou.
— Moi, elle ne pouvait pas me frapper, mais toi, tu es trop fragile. Elle te veut tellement qu’elle en devient violente. Elle est devenue folle et a déjà bien trop de pouvoir sur toi. Je refuse que tu sois sa chose, qu’elle t’enferme chez elle. Je trouverai un moyen de la calmer. Peu importent les conséquences… Tu vas me dire où tu veux aller, et je vais te prendre un billet de train, d’avion, de ce que tu veux…
Il soupira et amorça le geste de se relever. Je me cramponnai à ses mains.
— Je ne veux pas partir.
— Bordel, Iris ! Tu n’as rien compris…
Il essaya de se dégager, mais je maintins fermement ma prise.
– Écoute-moi, s’il te plaît.
Il soupira, baissa les yeux puis m’accorda son attention. Je devais lui poser une question avant toute chose. Les mots avaient cependant du mal à sortir.
— C’est difficile à dire, mais… couches-tu toujours avec elle ?
— Non, je te le jure ! Ça s’est arrêté progressivement il y a trois ans, après la mort de Jules. Elle prenait simplement son pied en me regardant appliquer ses méthodes. Et puis… tu es venue, tu as réveillé la bête. Et ce qui n’aurait jamais dû arriver s’est produit, on t’a aimée tous les deux.
Je le regardai droit dans les yeux. Je ne savais pas tout, c’était certain. Et je n’aurais jamais tous les éléments. Confusément, j’avais toujours senti un malaise entre eux, une tension indéfinissable. Sans pour autant imaginer que je puisse en être l’enjeu, ni que le sexe en fasse partie. Étais-je prête à accepter que cela soit allé si loin ? La réponse était simple. Ma vie était devenue un véritable chaos, mais tant que Gabriel serait là, j’affronterais n’importe quoi, et je l’aiderais à s’affranchir.
— Marthe a dirigé ta vie depuis que tu la connais, ne la laisse plus décider pour toi, ne la laisse pas nous séparer.
— Comment peux-tu vouloir de moi ?
— Je t’aime, ça ne s’explique pas.
— Je ne suis qu’une merde.
— Je ne veux plus jamais entendre ça ! Quand je te regarde, je vois un homme qui m’a séduite et que j’ai laissé faire, qui m’a respectée, et surtout qui m’a protégée au point de se sacrifier lui-même.
Une petite lueur d’espoir apparut sur son visage.
— Et si être avec moi implique de tout recommencer de zéro ailleurs ?
— J’y suis prête. Je refuse de te perdre.
Ses mains se crispèrent autour des miennes, ses yeux se remplirent de larmes. Nous nous rapprochâmes l’un de l’autre. Je ne voulais plus voir ce masque de tristesse, de crainte sur son visage. Je posai mes lèvres sur les siennes. Il accepta mon baiser et me le rendit avec urgence. Puis il se redressa, me fit basculer sur le canapé. Les affres du désir nous assaillirent immédiatement ; mes mains repartirent à l’assaut de son dos, il m’écrasa de son poids, j’aimais le sentir lourd sur moi. Il détacha sa bouche de la mienne.
— Pas comme ça, me dit-il.
Il se leva, m’entraîna avec lui et me guida vers sa chambre. Au pied du lit, il me déshabilla avec une infinie lenteur. D’un simple mouvement, il m’interdit de l’aider. Lorsque je fus complètement nue devant lui, la peur de le décevoir, de ne pas être à la hauteur me tétanisa. J’étais dans la lumière alors que mon corps n’avait été exposé qu’à un regard blasé, trompeur depuis des mois, des années. Mes épaules se voûtèrent, je baissai la tête et mes bras cherchèrent à camoufler mes seins. Gabriel me ceintura contre lui.
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