« C’est toi qui l’a pris ? » répéta-t-elle, parcourant d’un pas déterminé la coursive et commençant à descendre l’escalier.
« Quoi ? demanda Bill, sans bouger d’où il se trouvait.
— Minable, merdeux ! » l’insulta-t-elle tout en le rejoignant, ses pas résonnant bruyamment dans le hangar désert.
Elle était mexicaine mais avait la peau claire. Elle n’avait pas l’air d’une Mexicaine, plutôt d’une juive, se surprit à penser Bill. Une riche juive en fourrure couverte de bijoux. Maigre. Avec des seins qui pointaient à peine. Quel âge pouvait-elle avoir ? Dix-huit ? On croyait voir une femme parce que c’était une traînée, pensa Bill, mais ce n’était qu’une gamine.
« Mon bracelet ! Il est en or, enfant de garce ! s’exclama-t-elle lorsqu’elle fut devant lui. Je l’ai oublié dans ma loge et toi, tu l’as piqué !
— Moi, j’ai rien pris, répondit Bill.
— Rends-le-moi et on en reste là ! » exigea-t-elle en pointant un doigt vers le visage de Bill. Elle avait des ongles longs et soignés peints de vernis rouge. Et une bague avec une émeraude rectangulaire de pacotille.
« J’ai rien pris » répéta Bill. Et il se dit qu’elle n’était qu’une gosse. Avec de longs cheveux noirs qui formaient de tendres boucles.
« Enfant de putain…
— Ici la putain, y’en a qu’une ! l’interrompit Bill, tandis qu’il sentait toute la colère accumulée en lui qui pressait pour sortir.
— J’le dirai à tout l’monde, sale voleur ! s’écria-t-elle. T’es fini ! Ils vont te virer et tu finiras en taule, connard ! » mais tout en l’insultant, elle recula d’un pas.
Bill s’aperçut alors que toute son assurance, toute son arrogance de traînée, quittait son regard. Il se mit à rire, comme cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Et dans ce rire tinta cette note haute et joyeuse qui, autrefois, avait été l’expression de sa vraie nature.
« Tu finiras en taule ! » hurla-t-elle, et elle fit un autre pas en arrière, parce que ce qu’elle avait lu dans le regard de Bill l’avait alarmée.
« Tu as peur, pas vrai ? » fit Bill en s’approchant d’elle. Ce n’était qu’une gamine, se répéta-t-il. Alors il caressa ses longues boucles noires. Et passa la main sur la peau claire de sa joue, qui n’était pas celle d’une Mexicaine. Celle d’une juive, plutôt.
« Ne me touche pas ! » dit-elle, pleine de mépris, et elle voulut lui tourner le dos.
Mais Bill l’avait déjà saisie par le poignet. Ce n’était qu’une môme gâtée, pensait-il en fixant sur elle un regard halluciné. Sombre. Une petite fille juive, riche et pourrie, une putain.
« Je t’embrasse pas, j’te l’jure ! » fit Bill, et il lui envoya un coup de poing en pleine figure.
L’actrice tomba à terre en gémissant. Puis elle tenta de s’échapper à quatre pattes.
« Je t’embrasse pas… Ruth » murmura Bill en l’attrapant par le col de sa fourrure claire.
L’actrice se débattit en criant, essaya de fuir, et son manteau glissa. Alors Bill saisit ses cheveux noirs de jais et la força à se retourner. Elle avait la lèvre fendue, le sang se mêlait au rouge à lèvres. Ses yeux étaient envahis par la peur. Bill rit — écoutant avec plaisir cette note étincelante et légère enfin retrouvée, qui sortait de sa bouche comme un chant —, et lui flanqua un autre coup de poing. Pensant à Linda qui était partie. Pensant à ces larmes qui avaient illuminé ses nuits solitaires à Hollywood. Pensant à ce scénariste frimeur qui se croyait supérieur parce qu’il avait une machine à écrire. Pensant à Ruth, à cette première fois, à cette première joie. À cette nuit où il avait compris qu’il existait un moyen d’expulser toute la rage et toute la frustration qui l’empoisonnaient. Et alors il cogna à nouveau l’actrice. Au visage. Puis au ventre et à l’estomac. Il l’empoigna par les cheveux, la força à se relever et la traîna jusqu’au lit sur lequel elle s’était roulée toute la journée, sourire effronté et lascif aux lèvres, ce sourire à présent perdu. Il la jeta sur les draps que les lumières avaient fait ressembler à de la soie, se mit à califourchon sur elle, l’immobilisa en lui tenant les poignets et lécha ses larmes qui se mêlaient au sang.
« Tu veux connaître la vraie vie, salope ? » lui disait-il en se remettant à la massacrer à coups de poing et de claques. Il plongea une main dans son décolleté et déchira sa robe de soie avec violence, riant de son rire léger. Il lui arracha son soutien-gorge, la frappant au visage chaque fois qu’elle essayait de résister. Et, après toutes ces années, Bill se sentit enfin vivant à nouveau. Rien d’autre ne l’intéressait. Il ne pensait pas aux conséquences. Il ne pensait à rien. Parce qu’il n’y avait rien d’autre que ça. Rien d’autre que cet instant. Rien d’autre que lui. Les petits seins durs rebondirent à peine. Bill en saisit un et le serra fort, comme une orange, comme s’il voulait le presser, comme si ce sein contenait un jus délectable.
L’actrice hurla. Elle s’étouffa avec son propre sang et toussa.
Bill rit encore — il ne parvenait plus à retenir cette joie longtemps oubliée — et souleva sa jupe. Il lui arracha culotte et porte-jarretelles, lui écarta les cuisses puis, excité, déboutonna son pantalon et s’enfonça dans le corps de la jeune femme. « Tu veux voir le vrai monde, c’est ça ? lui hurla-t-il au visage. Eh bien le voilà, le vrai monde, sale putain ! » Et pendant qu’il poussait son membre en elle, avec une violence chargée de hargne, se nourrissant de toute la douleur et tout le désespoir de sa victime, il ne parvenait à penser à personne d’autre qu’à Ruth. Et lorsqu’il atteignit l’orgasme, arqua le dos et remplit l’actrice de tout son fiel, il fut effrayé à l’idée que Ruth s’était emparée de son sang et de son cerveau.
Alors il serra la mâchoire jusqu’à ce que ses dents grincent, avec une rage que la violence sexuelle n’avait pas entièrement évacuée de son corps, prêt à se déchaîner à nouveau sur la jeune femme qui gisait sous lui.
L’actrice avait tourné le regard vers le côté. Ses yeux noirs exprimaient quelque chose de nouveau. Un air surpris et perdu s’était ajouté à la peur.
Bill se retourna et découvrit qu’Arty Short les fixait en silence, dans un coin, derrière un panneau du décor. Bill se figea et ne bougea plus un muscle. Mais il était prêt à bondir. Prêt à tuer s’il le fallait. Je n’aurai sûrement pas le choix, se dit-il. Le réalisateur ne le quittait pas des yeux, une drôle d’expression sur le visage. Lui non plus ne bronchait pas. Sa main gauche tenait un bracelet qu’il balançait. Un bracelet en or. Ce mouvement était le seul dans tout le hangar. Les deux hommes se mesuraient en silence, s’affrontaient du regard, s’étudiaient. Et Bill cherchait à anticiper le premier geste de l’autre, pour ne pas être pris au dépourvu.
L’actrice gémissante, toujours prisonnière du poids de son violeur, esquissa un mouvement.
Alors le metteur en scène parla : « Tu serais capable de refaire ça devant la caméra ? » demanda-t-il à Bill d’une voix rauque.
Bill fronça les sourcils. Qu’est-ce qui déraillait, dans cette scène ? Il pensait être prêt à tout, même à le tuer, mais il n’était pas prêt à ça !
Maintenant l’autre souriait et s’approchait du lit.
« Arty…, pleurnicha l’actrice, lèvres fendues et déjà enflées.
— La ferme ! » l’interrompit-il, sans cesser de fixer Bill.
Celui-ci se leva. Reboutonna son pantalon. Essuya ses doigts poisseux sur un coin de drap.
« Si tu sais le refaire devant la caméra, on va devenir riches ! » s’exclama Arty.
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