Enfin, une fois la serveuse rhabillée, Christmas retrouva son envie de rire. Alors il avait ri et avait enlacé la femme. L’embrassant sur les seins, la bouche et le cou. Il riait et riait encore lorsqu’il avait senti une nouvelle force, brusquement revenue, qui poussait et lui gonflait l’entre-jambe.
« Je dois y aller ! » avait dit la serveuse, et elle l’avait fait descendre de voiture. Puis elle avait essuyé avec un mouchoir les traces que leur étreinte avait laissées sur le siège de l’auto. En descendant, elle avait passé une main dans les cheveux blonds et hirsutes de Christmas.
« Mais qu’est-ce que t’es mignon ! s’était-elle exclamée. Tu vas rendre les filles folles, avec cette mèche ! »
Christmas l’avait attirée à lui et embrassée. Tendrement. Les yeux fermés, comme pour mieux mémoriser toutes ces odeurs et ces saveurs.
« Tu sens bon ! avait-il murmuré.
— Oh oui, elles seront toutes folles de toi, beau gosse ! avait-elle ri en ébouriffant sa mèche. Mais pour le moment, je te veux tout pour moi ! Reviens me voir. Je t’emmènerai chez moi. »
Puis elle avait disparu dans le speakeasy .
Christmas était resté dans le parking, hébété, dans un état de grâce fatiguée, un vague sourire flottant sur son visage, sans pâtir du froid perçant de l’hiver new-yorkais.
« Ah, te voilà ! s’était écrié Joey, apparaissant soudain. Mais qu’est-c’que tu fous là ? Ça fait une demi-heure que j’te cherche ! »
Christmas n’avait pas répondu. Il s’était contenté de le fixer, le regard adouci par les sensations toutes récentes de sa première fois.
« Eh, tu sais, la serveuse de tout à l’heure ? avait ajouté Joey en se pavanant. Je viens d’la croiser à l’intérieur et elle m’a embrassé sur la joue ! J’me la tape quand j’veux !
— Oui oui…, avait fait Christmas, rêveur.
— T’as bu, Diamond ? Tu sais bien que tu tiens pas l’alcool ! Allez, on s’casse, j’ai récolté vingt dollars, mon pote ! »
Christmas l’avait suivi et, tout en marchant, s’était efforcé de se rappeler tous les parfums de l’amour.
Cette nuit-là, dans son lit, il avait pensé à Ruth. Mais il n’avait éprouvé aucun sentiment de culpabilité. Parce qu’il savait qu’il n’était pas amoureux de la serveuse. Et il se disait qu’il apprendrait à être un amant délicat et talentueux, pour Ruth. Afin qu’avec Ruth, cela soit encore plus beau. « Il faut que je m’entraîne ! » s’était-il promis doucement, blotti dans son lit. Et là il s’était endormi, heureux.
Au cours des mois suivants, il fréquenta assidûment la serveuse. Ensuite il passa à d’autres femmes, presque toujours plus âgées que lui. Il apprit que les poitrines blanches et généreuses, aux mamelons rose pâle de la taille d’un grain de beauté, avaient un goût de miel ; celles en forme de poire, avec un mamelon en forme de chrysanthème, mou, sombre et légèrement flétri, étaient un peu âcres ; les petits seins bruns et solides, aux mamelons tournés vers le haut, prêts à bondir comme des poissons volants à l’instant où ils jaillissent hors de l’eau, avaient une saveur salée et piquante ; ceux qui étaient transparents, tendus, veinés de bleu, et qui ressemblaient à des ballons gonflés, comme fermés par des mamelons compressés et fatigués, avaient un goût de poudre de riz ; et ceux, mous et détendus, des femmes plus mûres, aux mamelons un peu ridés, comme du raisin sucré séché au soleil, cumulaient, dans leur cachette débusquée depuis longtemps, toutes les saveurs que ces femmes avaient savourées, accueillies et oubliées. La peau des femmes était tantôt soyeuse, tantôt faite pour retenir les caresses ; elle était parfois lisse et poudrée, et parfois tellement humide que le plus intense des plaisirs trouvait à s’y noyer. Quant au secret qu’elles nichaient entre leurs jambes, c’était une fleur qu’il fallait effeuiller avec attention, passion, délicatesse ou bien ardeur. Il apprit à saisir le moindre de leurs regards et de leurs gestes. À utiliser sa mèche rebelle, son sourire ouvert, son expression boudeuse, son culot, son allégresse et son corps, qui était devenu à la fois souple et musclé. Et il apprit à aimer les femmes, toutes les femmes, avec naturel, mais sans jamais oublier Ruth.
« On enregistre ! » crachota la voix du technicien dans le téléphone de la salle des concerts, ramenant Christmas à la réalité présente.
« À quoi pensais-tu ? demanda Maria à Christmas, à mi-voix.
— J’écoutais tes pensées ! » lui souffla Christmas à l’oreille.
Maria sourit :
« Quel menteur !
— Maria, donne-lui le départ ! » demanda le technicien.
Maria mit ses écouteurs et recommença à faire des gestes de la main à l’intention du musicien. Elle lui indiqua le départ. Le cornet retentit au moment voulu. Alors Maria, enlevant ses écouteurs, se tourna vers Christmas :
« Maintenant, il ne faut plus faire de bruit ! » chuchota-t-elle.
Christmas lui sourit, puis porta ses mains jointes à sa bouche et souffla dessus, tout en fixant Maria.
Celle-ci fronça les sourcils, dans une question muette.
Christmas mit un doigt devant sa bouche, lui faisant signe de se taire, et inclina un peu la tête, de manière que sa mèche blonde lui couvre un œil.
« Maintenant, j’ai les mains bien chaudes » murmura-t-il.
Maria fronça à nouveau les sourcils.
« Je t’ai dit que j’écoutais tes pensées » souffla Christmas.
Maria, inquiète, se tourna vers le preneur de son :
« Sérieusement, il ne faut pas faire de bruit ! » répéta-telle.
Christmas sourit. Et c’est en silence qu’il tendit une main pour caresser celle de Maria. Avec sensualité, en la glissant sur le dos de la main de la jeune femme et puis le long de ses doigts. Maria se raidit un instant. Elle se retourna à nouveau vers le technicien et puis fixa le musicien. Mais elle ne retira pas sa main. Alors Christmas effleura son poignet du bout des doigts et monta le long de son avant-bras. Ensuite il passa à la jambe. Il atteignit lentement le genou et commença à retrousser un peu la jupe. Maria lui bloqua la main, mais sans l’obliger à l’ôter. Christmas demeura immobile quelques instants, avant de recommencer à soulever le bas de sa jupe. Alors Maria relâcha sa prise. Quand Christmas sentit l’ourlet de la jupe entre ses doigts, il abandonna le tissu ; il passa la main sur les bas glissants et puis, tout doucement, sans se dépêcher, la fit remonter le long de la cuisse, à l’intérieur, caressant la peau douce au-dessus du porte-jarretelle. Et avant d’atteindre l’objectif, là où les jambes de Maria se rejoignaient, les doigts délicats de Christmas s’attardèrent, montant et puis redescendant, retardant le moment, afin que celui-ci puisse être imaginé, désiré et redouté. Lorsqu’il écarta un peu la culotte et introduit ses doigts à l’intérieur, il fouilla dans un épais duvet avant de trouver Maria, chaude et humide. Prête. Ouverte. Disponible. Accueillante. Toute garde baissée.
À ce contact, Maria tressaillit.
« Chut ! Pas de bruit ! » lui chuchota Christmas à l’oreille.
Pour toute réponse, il obtint un gémissement essoufflé et languide.
Alors Christmas partit à la rechercher du trésor des trésors — cette petite excroissance à la fois douce et ferme que la serveuse, à l’époque de son éducation, lui avait montrée et expliquée afin qu’il connaisse bien le plaisir des femmes —, et il commença à le caresser doucement, avec des mouvements lents et circulaires, mais ni identiques ni répétitifs, multipliant les variantes, jusqu’à ce qu’il sente — coïncidant avec une note aiguë du trompettiste qui enregistrait son morceau — les jambes de Maria se contracter de plus en plus violemment et la main de la jeune femme, qui avait agrippé son bras, le serrer de manière convulsive. Alors Christmas accéléra le rythme, et c’est seulement lorsqu’il sentit que Maria plantait ses ongles dans son bras, le souffle coupé, s’efforçant en vain de ne pas ouvrir la bouche, que Christmas s’arrêta — mais en douceur, afin de l’accompagner dans la descente, sans spasmes ni à-coups.
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