Luca Fulvio - Le gang des rêves

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Une Italienne de quinze ans débarque avec son fils dans le New York des années vingt…
L’histoire commence, vertigineuse, tumultueuse. Elle s’achève quelques heures plus tard sans qu’on ait pu fermer le livre, la magie Di Fulvio.
Roman de l’enfance volée,
brûle d’une ardeur rédemptrice : chacun s’y bat pour conserver son intégrité et, dans la boue, le sang, la terreur et la pitié, toujours garder l’illusion de la pureté.
Dramaturge, le Romain Luca Di Fulvio est l’auteur de dix romans.
Deux d’entre eux ont déjà été adaptés au cinéma ; ce sera le destin du
, qui se lit comme un film et dont chaque page est une nouvelle séquence.
Traduit de l’italien par Elsa Damien

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« Diamond ! cria soudain une voix. Eh, Diamond ! »

Cyril se retourna vers la porte métallique de la réserve, qui résonnait sous les coups de quelqu’un en train de hurler de l’autre côté. Il se leva et s’approcha, méfiant.

« Diamond ! Diamond ! T’es là ? Ouvre cette foutue porte !

— Qui es-tu ? » demanda Cyril, sans ouvrir.

Les coups cessèrent.

« Je cherche Christmas, expliqua la voix. Il travaille bien ici ?

— Qui es-tu ? répéta Cyril.

— J’suis un copain. »

Cyril fit claquer la bruyante serrure et entrouvrit la porte. Il découvrit un garçon qui devait avoir à peine plus de vingt ans, blanc, avec un visage mauvais, de profonds cernes et un costume trop voyant pour qu’il puisse s’agir de quelqu’un de respectable. Il regretta immédiatement d’avoir ouvert.

« Christmas n’est pas là. Il fait une livraison » expliqua-t-il hâtivement, après quoi il tenta de refermer la porte.

Mais le garçon bloqua la porte du pied. Il avait des chaussures vernies très vulgaires.

« Et quand est-c’qu’il revient ? demanda-t-il.

— Bientôt, répondit Cyril en essayant à nouveau de refermer la porte. Attends dehors !

— Eh, le nègre, tu te prends pour qui, pour me donner des ordres ? lança-t-il agressif, avant d’ouvrir grand la porte, avec force. Je l’attends dedans.

— Tu peux pas rester ici ! » protesta Cyril.

Le jeune fit claquer la lame d’un couteau à cran d’arrêt et commença à s’en passer la pointe entre les dents.

« Je déteste les sandwiches au roast-beef. Toute la viande se fout entre tes dents…, et il jeta un coup d’œil autour de lui, avec un air effronté.

— Et moi, je déteste les fanfarons ! Casse-toi, merdeux ! s’exclama Cyril en haussant la voix.

— Merdeux ? Qui c’est, le merdeux ? rétorqua l’autre en s’approchant de lui, couteau à la main. Le merdeux, c’est ton nègre de père !

— Tu me fais pas peur.

— Tu parles ! Tu chies dans ton froc, sale nègre ! rit le garçon en le bousculant.

— Va-t’en !… » ordonna Cyril avec moins de conviction.

L’autre le bouscula encore.

« Je t’ai dit de pas me donner d’ordre, le nègre ! Cou-couche panier, sinon…

— Joey ! cria d’un ton impérieux Christmas qui entrait à ce moment-là par la porte intérieure.

— Eh, Diamond ! s’exclama Joey en se balançant d’un pied sur l’autre, comme s’il dansait au son d’une musique qu’il était seul à entendre. Ton esclave, là, il croit qu’il peut m’donner des ordres ! » et il rit.

Christmas déboula comme une furie et se posta entre les deux hommes.

« Range ce couteau ! » dit-il durement.

Joey le regarda avec un sourire. Puis il referma le couteau et, fléchissant les genoux, il le glissa dans sa poche d’un geste fluide. Il parcourut la réserve du regard.

« Alors c’est dans ce trou à rat, qu’tu bosses !… »

Avec brusquerie, Christmas le prit par le bras et l’entraîna vers la porte donnant sur la petite rue.

« Excusez-moi, Mister Davies. Je reviens tout de suite ! lança-t-il à Cyril tout en forçant Joey à aller vers la sortie.

Mister Davies ? Joey ouvrit grand la bouche, une expression exagérément ébahie dans ses yeux sombres.

— Avance, Joey !

Mister Davies ? à un nègre ? ricana Joey. Merde alors, t’es trop fort, Diamond ! C’est à ça que t’es réduit ? Tu bosses pour un nègre et en plus y faut que tu l’appelles Mister ?

— J’en ai pas pour longtemps » dit Christmas à Cyril en refermant la porte.

Lorsqu’ils se retrouvèrent seuls dans la rue, il poussa Joey avant de lui lâcher le bras.

« Qu’est-c’que tu veux ? » lui demanda-t-il ensuite froidement.

Joey écarta les bras et effectua une petite pirouette sur lui-même.

« Tu remarques rien ?

— Beau, le costard !

— Cent cinquante dollars.

— Il est beau, j’te l’ai déjà dit.

— Et tu veux pas savoir comment j’peux m’l’offrir ?

— J’imagine.

— Eh bien, mon pote, j’parie qu’non ! J’ai un boulot, maintenant. Soixante-quinze dollars par semaine, qui deviendront bientôt cent vingt-cinq. Et tu sais ce que ça veut dire ? Cinq cents par mois, six mille par an ! (Joey cligna de l’œil avant de faire une autre pirouette). Ça veut dire que bientôt, j’aurai une bagnole rien qu’à moi !

— J’suis content pour toi.

— Et toi, tu t’fais combien, dans ce trou à rats ?

— Vingt.

— Vingt ? Merde, être honnête, ça paye pas ! (et Joey émit un ricanement qui sonnait faux). Quand t’as des trous dans tes chaussures, tu les rafistoles avec du carton comme Abe le Crétin, c’est ça ?

— Ben oui, fit Christmas. Bon, faut qu’j’y aille.

— Tu veux pas savoir c’que j’fais, comme travail ?

— Du trafic de drogue.

— Erreur ! Du schlamming . »

Christmas le regarda sans mot dire.

« Je parie mon cul que tu sais pas d’quoi j’parle. J’ai pas raison ?

— Ça m’intéresse pas, Joey.

— Eh ben, j’vais t’le dire quand même. Pour ta culture. Au fond, tout c’que tu sais, c’est moi qui t’l’ai appris. C’est pas vrai, c’que j’dis ?

— Et je l’ai oublié. »

Joey ricana.

« T’es trop fort, Diamond. On dirait que c’est toi, le fils d’Abe le Crétin ! Tu dis le même genre de trucs que lui. »

Christmas acquiesça d’un air indifférent. Son regard détaché et froid fit frémir Joey de colère.

« Le schlamming , ça veut dire que tu prends une barre de fer et que tu l’enveloppes dans un New York Times . Puis tu vas massacrer quelques jambes et quelques crânes d’ouvriers. C’est marrant. Tu sais, toutes ces conneries qu’on entend sur la solidarité entre nous autres, les juifs ? Eh ben, pour des conneries, c’est vraiment des conneries ! En fait, les riches juifs des quartiers ouest paient les gangsters juifs des quartiers est pour qu’ils brisent les os des crève-la-faim juifs de l’est qui font grève pour une augmentation de salaire. C’est rigolo, hein ?

— Très.

— Allez, détends-toi, Diamond ! » Joey lui asséna un léger coup de poing sur l’épaule et sautilla un peu sur place, à la façon d’un boxeur. « On est potes, non ? » Puis il écarta les bras :

« Bon, si tu changes d’avis et que tu veux participer au truc, tu peux toujours me trouver au Knickerbocker Hotel, entre la quarante-deuxième rue et Broadway. T’es un costaud, tu nous serais utile ! Penses-y !

— OK, maintenant j’y vais. Content de t’avoir revu » fit Christmas, et il se tourna vers la porte verte sur laquelle ressortaient les lettres « N.Y. Broadcast », qu’il avait astiquées ce matin aussi.

« Diamond, pourquoi tu te prends pas deux heures de pause ? » suggéra soudain Joey, avec une voix où vibrait le dépit.

— Je peux pas.

— Tu peux pas ou t’as pas envie ?

— Y a une différence ? »

Joey plissa les lèvres en un sourire malicieux :

« Allez, dis à monsieur le nègre que tu reviens dans deux heures ! Au Knickerbocker, y a deux salopes du tonnerre. Tu tires un bon coup et puis tu rentres dans ton trou. C’est moi qui offre !

— Je vais pas aux putains » siffla Christmas, se raidissant et le fixant avec dureté.

Joey recula de quelques pas. Il se frappa le front d’une main, avec un geste théâtral :

« Ah, c’est vrai, j’avais oublié que ta mère était une putain ! (Et il sourit, les yeux pleins de fiel, en continuant à s’éloigner à reculons). Te taper une morue, ça te donnerait l’impression de baiser avec ta mère, c’est ça ?

— Va t’faire foutre, Joey ! » et Christmas regagna la réserve, claquant violemment la porte derrière lui. Là il flanqua un coup de pied dans un carton, puis un autre et un autre encore. Jusqu’à détruire le carton.

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