Luca Fulvio - Le gang des rêves

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Une Italienne de quinze ans débarque avec son fils dans le New York des années vingt…
L’histoire commence, vertigineuse, tumultueuse. Elle s’achève quelques heures plus tard sans qu’on ait pu fermer le livre, la magie Di Fulvio.
Roman de l’enfance volée,
brûle d’une ardeur rédemptrice : chacun s’y bat pour conserver son intégrité et, dans la boue, le sang, la terreur et la pitié, toujours garder l’illusion de la pureté.
Dramaturge, le Romain Luca Di Fulvio est l’auteur de dix romans.
Deux d’entre eux ont déjà été adaptés au cinéma ; ce sera le destin du
, qui se lit comme un film et dont chaque page est une nouvelle séquence.
Traduit de l’italien par Elsa Damien

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« Comment c’était ? demanda-t-il à la fin de l’émission, sourire triomphal aux lèvres.

— Tu es un peu rouillé, fit Karl.

— Qu’est-c’que tu veux dire ? lança Christmas, se raidissant.

— C’est un peu mécanique, continua Karl. Comme si tu débitais ton truc par cœur… comme si…

— Bordel, qu’est-c’que tu racontes, Karl ? C’était une émission fantastique ! s’écria Christmas, agressif.

— Je veux dire, c’est un peu comme…

— Comme quoi ?

— Comme si tu t’imitais toi-même. »

Christmas bondit hors de son siège :

« Mais va t’faire foutre, Karl ! Te mets pas à jouer au directeur artistique avec moi, hein ! »

Il se laissa aller à un petit rire nerveux. Secoua la tête.

« Merde, qu’est-c’que ça veut dire, que j’m’imite moi-même ? ricana-t-il avant de se tourner vers Cyril. T’entends ça ? J’m’imite moi-même ! Mais je suis moi-même, bordel ! C’était une émission fantastique ! Le public me mangeait dans la main, je le sentais ! C’est pas vrai, Cyril ? (Et il rit en cherchant sa complicité). Merde, c’est quoi cette histoire, que j’m’imite moi-même ?

— Tu veux savoir la vérité ? » intervint Cyril.

Christmas fronça les sourcils. Puis il écarta les bras, un sourire insolent barrant son visage.

« Eh ben vas-y ! lança-t-il, le mettant au défi de s’exprimer.

— Ça veut dire que tu ressembles à un ballon de baudruche ! » fit Cyril.

Christmas resta un instant immobile, comme pétrifié. Puis il sentit que les paroles de Cyril rebondissaient sur lui. Comme s’il portait une cuirasse. Il rit. Un rire plein de superbe. Et puis, brusquement, il devint sérieux. Une expression de froideur durcissait ses traits tandis qu’il pointait un doigt contre Karl et puis contre Cyril, l’agitant en l’air.

« Tous les deux, y faut pas que vous oubliez un truc, commença-t-il à dire à voix basse. Sans moi…

— Arrête-toi là, mon garçon » l’interrompit Cyril.

Christmas resta en suspens, avec son index en l’air, qui continuait à remuer, menaçant.

« Arrête-toi là » répéta Cyril, sans jamais détourner le regard. Un regard solide, déterminé. Plein d’autorité et d’affection.

Christmas fit un pas en arrière et baissa le bras. Sarcastique, il sourit et ouvrit la bouche pour parler. Puis, brusquement, il fit volte-face et quitta le studio.

Dans la rue, il reconnut une Ford Modèle T déglinguée :

« Santo ! s’exclama-t-il, une allégresse forcée dans la voix, avant d’ouvrir la portière du conducteur. Qu’est-c’que tu fais ici ?

— J’suis venu t’voir, chef ! dit l’ami de toujours, frappant le volant du plat de la main. Ah, tu peux pas savoir comme ça me manque, nos enlèvements ! »

Christmas eut un petit rire et appuya les coudes sur le toit de la voiture.

« Eh oui, maint’nant les mecs font la queue directement devant l’immeuble pour que j’les invite ! dit-il.

— T’es un vrai boss ! rit Santo avec fierté.

— T’as entendu l’émission d’aujourd’hui ? lui demanda Christmas.

— Eh non, j’étais encore au boulot, désolé ! Mais Carmelina, c’est sûr, elle l’a…

— Elle était fantastique ! coupa Christmas. Le public me mangeait dans la main ! »

Santo le regardait, en adoration :

« Tu sais que j’ai acheté une maison ?

— Ah bon… répondit Christmas, distrait.

— À Brooklyn, poursuivit Santo. Ça va m’prendre un sacré bout d’temps pour la payer, mais c’est une belle maison. Elle a un étage.

— C’est bien…

— T’as envie de venir la voir ? demanda Santo enthousiaste. Tu veux dîner avec nous ? Carmelina serait tellement contente !

— Non, je…

— Allez, boss ! On mangera italien !

— Non, Santo… (Christmas s’écarta du toit de l’auto et fourra les mains dans ses poches). Malheureusement, il faut que je voie des gens, inventa-t-il, dans le monde du spectacle, tu sais… »

La déception assombrit brièvement le visage de Santo. Mais il sourit aussitôt après :

« Tu es devenu un gros bonnet, maintenant ! Il faut prendre rendez-vous pour te voir ! »

Christmas sourit, gêné :

« Je passerai vous voir un soir !

— C’est vrai ? fit Santo d’un ton fervent.

— Promis ! dit Christmas en se balançant d’un pied sur l’autre. Dès que j’ai un moment de libre, je fais un saut à Brooklyn.

— Tu me manques, chef ! (Pendant un instant, il contempla son idole en silence, sans obtenir de réaction). Dis, tu te rappelles quand on s’est retrouvés en taule ? (Il rit) Et cette fois où…

— Je dois y aller, Santo, l’interrompit Christmas avec brusquerie. Quand j’viendrai à Brooklyn, on parlera du bon vieux temps, OK ?

— T’as promis, hein !

— Oui oui, promis !

— On est qui ? s’exclama Santo, heureux.

— Les Diamond Dogs…, répondit Christmas sans enthousiasme.

— Les Diamond Dogs, bordel de merde ! » cria Santo.

Christmas sourit :

« Allez, vas-y ! Carmelina t’attend. »

Santo mit le moteur en route et passa la première :

« Les Diamond Dogs, répéta-t-il incrédule en regardant Christmas. Chef, si je t’avais pas rencontré, ma vie aurait été d’la merde. Tu le sais, ça ?

— Allez, démarre, casse-couilles ! »

Christmas referma la portière puis frappa du plat de la main sur le toit de l’auto. Il resta immobile au milieu de la cent vingt-cinquième rue, tandis que Santo s’éloignait.

« C’était une émission fantastique, répéta-t-il à voix basse. Le public me mangeait dans la main… »

Il entendit des voix derrière lui. Il se retourna. Cyril et Karl sortaient de la CKC, plaisantant et riant. Christmas se tapit dans un coin sombre. Il attendit que tous deux le dépassent et puis, traînant péniblement les pieds, il rentra chez lui. Seul. Sa cuirasse sur le dos.

Et c’est seul qu’il s’assit à son bureau. Il mit une feuille blanche dans l’Underwood et se mit à taper sur le clavier. L’assassin essayait de coucher avec la femme dont il avait tué l’amoureux. Et alors que cette ordure essayait de la séduire, le public découvrait que l’homme assassiné était son meilleur ami. « La vie c’est dégueulasse, disait le tueur. La vie c’est dégueulasse, et après on crève. » Obscurité. Applaudissements. Changement de scène.

Christmas ôta la feuille du rouleau et la posa sur les autres. Il se frotta les yeux. Il était fatigué et de mauvaise humeur. Il avait un poids sur l’estomac. Il repensait aux paroles de Cyril. Il l’avait appelé un ballon de baudruche. Mais ces mots ne lui avaient rien fait. Il portait une cuirasse. Et il avait des trucs plus importants à faire qu’écouter les conneries d’un magasinier noir. Il avait mieux à faire qu’aller dîner à Brooklyn, dans une petite maison minable d’un étage, avec Santo et Carmelina. Il écrivait, maintenant ! Pour le théâtre. Il regarda par la fenêtre. La nuit était noire. Il ne voyait pas le banc du parc. Et il n’en avait rien à faire. Il se leva d’un bond, faisant tomber le fauteuil pivotant. Avec rage. « J’en ai rien à foutre ! » brailla-t-il par la fenêtre ouverte. Puis il ferma la fenêtre, releva le fauteuil et prit une nouvelle feuille blanche, qu’il glissa dans l’Underwood.

Obscurité. Lumière. Commissariat de police. La femme est assise devant un bureau. Un jeune détective lui pose des questions. La femme répond par monosyllabes. Puis le détective lui demande si elle connaît l’homme que les spectateurs savent être l’assassin. La femme regarde le détective. « Oui, répond-elle, c’était le meilleur ami de mon Sonny. » Alors le détective fronce un sourcil…

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