Réponse : un sourire.
« Avez-vous besoin de quelque chose ? »
Dénégation de la tête. Ils étaient fantastiques, ces types ! Ils couchaient à même le sol, n’importe où, pour les nourrir, on leur fournissait un paquet de dattes et quelques figues, et vogue la galère, ils étaient rechargés pour un mois !
« Dites-moi… Vous qui vivez dans l’intimité de votre maître… vous le connaissez bien… »
Il baissa la voix, un air complice et amical sur le visage : « Pensez-vous qu’il ait tout ce qu’il lui faut ?… Enfin, je veux dire… Croyez-vous qu’il soit content des amies que je lui ai présentées ? »
Bref regard des deux hommes et, à nouveau, visage de bois. En alerte, Satrapoulos insista :
« N’hésitez pas à me parler. J’ai trop de respect et d’affection pour lui, je ne veux pas prendre le risque de le décevoir… »
Ali et Ahmed restèrent immobiles, figés et silencieux.
« Je vous en prie, c’est très important… Je voudrais tant qu’il garde un bon souvenir de cette soirée… En me parlant, vous rendez service à tout le monde. Ayez confiance en moi, je serai discret… Il n’aime pas les blondes, peut-être ? »
Les deux hommes se regardèrent à la dérobée ; hésitant visiblement à répondre. Ali se décida. Il se pencha vers l’armateur, qu’il dominait de plus d’une tête, et lui glissa deux mots à l’oreille, deux mots seulement.
Satrapoulos ouvrit des yeux ronds et eut l’air gêné. Pendant un instant, il demeura indécis, puis :
« Je vais voir ce que je peux faire. »
Il s’éloigna à pas pressés et pénétra dans le bureau où l’attendait, debout, son secrétaire. En rafale, il lui lâcha :
« Vous allez téléphoner de toute urgence à votre Mme Julienne ! Dépêchez-vous ou tout est foutu ! Et d’abord, qu’est-ce que c’est que cette nouvelle idiotie ! Je vous avais dit de venir me chercher à minuit, pas à onze heures !
— Je sais, monsieur, mais…
— Accouchez ! »
L’autre se racla la gorge, chercha des mots, n’eut pas l’air de les trouver. Alors, simplement, il lui dit la chose :
« Votre mère est morte. »
Satrapoulos eut une réaction extraordinaire. Comme s’il n’avait pas entendu, il aboya :
« Je vous dis de téléphoner à Mme Julienne ! Qu’est-ce que vous attendez ? »
« Vous allez rester longtemps à Paris ?
— Non…, deux jours seulement.
— Vous êtes venu pour affaires ?
— Non. J’ai été invité par mon ami.
— Vous fêtez quelque chose ?
— Oui, un pacte. »
Les questions fusaient… Les filles auraient aimé percer à jour l’identité d’un type qui avait l’air d’un vieil ermite fauché, squelettique, et qui leur offrait un diamant avec la même aisance que d’autres une cigarette. El-Sadek se doutait bien que les six blondes faisaient partie de la réception, comme le dîner, ou cet hôtel fastueux qui ne l’impressionnait nullement. Il aurait voulu que ces femelles ferment leur gueule et fassent leur travail en se prêtant à ses fantaisies, au lieu de chercher à savoir le pourquoi et le comment. Une dernière hésitation le retenait toutefois : il n’était pas dans son harem, mais à Paris, et certaines lubies sexuelles souffrent difficilement l’exportation. Patience…
« Je veux que chacune d’entre vous me rappelle son nom. »
Elles se nommèrent :
« Brigitte.
— Annette.
— Marie-Laurence.
— Joëlle.
— Cathia.
— Ghislaine. »
Il était assis sur le lit. Celle qui avait dit se prénommer Ghislaine avait appuyé sa tête sur ses genoux. Les autres l’entouraient, si proches que chacune avait une partie de son corps, genou, main, cuisse ou épaule, en contact avec celui d’el-Sadek. Et ce contact faisait monter en lui une violence contenue, mi-désir, mi-fureur de l’éprouver, car il sentait que ces chiennes à vendre avaient un pouvoir sur lui. Il se contint :
« Et qu’est-ce qu’ils veulent dire, ces prénoms ?
— Mais rien. Ils se suffisent à eux-mêmes. Pourquoi ?
— En Orient, le prénom qu’on donne à un enfant a une signification précise qui aura une grande influence sur son avenir. Il vaut mieux s’appeler Lion que Chacal.
— Chez nous, on s’en fiche !
— Ah ! oui. Connaissez-vous parmi vos relations quelqu’un qui ait été baptisé Judas ? »
Les filles se regardèrent, sans comprendre. L’émir enchaîna :
« Tout est écrit.
— Vous croyez au destin ?
— À quoi d’autre peut-on croire ?
— Vous pouvez lire l’avenir ? », demanda la plus potelée de toutes.
Une autre s’exclama :
« Oh ! oui. Les lignes de la main ! Faites-les-moi ! »
Celle qui avait posé sa tête sur les genoux d’el-Sadek, peut-être un peu plus ivre que les autres, peut-être plus pressée d’aller au but, grattait de ses ongles immenses, dans un lent va-et-vient qui semblait presque machinal, la cuisse du vilain mâle, remontant imperceptiblement vers l’aine et l’intérieur de la jambe. L’émir se força pour que sa voix ait l’air posée lorsqu’il répondit :
« Nous avons d’autres moyens de voyance beaucoup plus efficaces en Arabie Saoudite.
— Quoi ? Dites-nous !
— Les lignés de la main, ce n’est pas sérieux. La main n’a rien de secret. Elle est toujours nue, elle est en contact avec des choses impures. Si le destin est écrit sur le corps d’un être humain, le Prophète a voulu que ce soit dans un endroit secret.
— Où ça ?
— Vous allez être choquées si je vous le dis.
— Dites ! Dites !
— Pour vous, les femmes, c’est à l’endroit que vous gardez le plus souvent caché. Là où le dos finit et les jambes commencent.
— Sur les fesses ?
— Exactement. Et aussi entre les seins.
— Vous êtes sérieux ?
— Je vous le garantis. Voulez-vous vous livrer à une expérience ? Y en a-t-il une d’entre vous qui souhaite savoir ce que la vie lui réserve ?
— Moi ! dit la tête sur les genoux. Le haut ou le bas ?
— Où vous voudrez. »
Elle ne prononça plus un mot, se dégagea de sa position et s’allongea sur le ventre. Sans se presser, elle releva doucement le bas de sa robe. Elle portait des bas fumés dont l’attache, sur la cuisse, formait un léger bourrelet de chair encore plus blanc que le blanc de la robe. Son slip apparut :
« Allez-y, dites-moi tout, je vous écoute.
— Baissez votre slip, sinon, je ne peux rien voir. »
Elle s’exécuta, toujours avec lenteur. Elle avait des jambes superbes, des attaches diaphanes à force d’être fines qui, mystérieusement, se gonflaient progressivement le long des mollets, s’étranglaient doucement, en col d’amphore, à l’articulation du genou, pour reprendre leur volume en remontant vers les cuisses et s’épanouir en une courbe explosive, violente et douce, qui allait mourir dans la prodigieuse minceur de la taille. El-Sadek en avait la bouche toute sèche. D’un doigt qu’il voulait distrait, il caressa les fossettes formant deux creux souples à la hauteur des vertèbres lombaires, descendit, suivant de l’index des lignes imaginaires. Les autres candidates à la voyance s’étaient tues, troublées :
« Je vois une carrière formidable ! dit el-Sadek.
— Dans quoi ? pouffa l’une des blondes.
— Argent. »
Il plongea la main dans sa poche, en retira la bourse pour en extraire un diamant qu’il inséra entre les dents de la fille troussée :
« Vous voyez que je ne mens pas. Voici le début de votre fortune.
— À moi ! dit Joëlle d’une voix rauque, c’est mon tour… »
Nerveusement, elle dégrafa les trois boutons qui ornaient le haut de son corsage. Elle prit ses seins à pleines mains et les fit jaillir par-dessus son soutien-gorge. Presque agressive, elle ajouta :
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