L’émir la coupa avec colère :
« Je ne suis pas n’importe qui !
— On s’en doutait, plaida Brigitte… Un homme qui croit pouvoir faire l’amour à six femmes…
— Il ne s’agit pas que de moi.
— Hein ?
— Pour obtenir la deuxième pierre, vous devrez d’abord coucher avec mes deux gardes du corps. Vous verrez… vous ne serez pas déçues… je doute que vous arriviez à les rassasier… Ne bougez plus, ma mignonne petite fille… »
Annette, pas rassurée du tout, se révolta mollement :
« Vous me jurez que ce n’est pas douloureux ?… Au lieu de ce truc barbare, tout juste bon à marquer le bétail, pourquoi ne pas nous attribuer des numéros ?
— Ma chère enfant, j’ai la mémoire du bétail, beaucoup plus que celle des noms ou des chiffres… Voulez-vous ne plus remuer je vous prie… »
Annette s’immobilisa complètement, le visage convulsé par la peur. La lame s’approcha de ses reins… Elle eut la sensation de l’acier froid sur sa peau, qui l’effleurait et la caressait sans que le tranchant l’entame. À tout hasard, elle poussa un petit cri, pour la forme…
« Aïe !
— Voilà, c’est tout… Maintenant, je n’oublierai plus que vous vous appelez Annette. Tenez… Pour vous consoler de cette affreuse blessure… »
Il saisit une pierre entre son pouce et son index, la fit miroiter et la jeta sur le tapis où elle roula, pour aller se perdre sous un fauteuil.
« Allez la chercher maintenant… Non, pas comme cela… À quatre pattes… »
Annette s’agenouilla et fit ce qu’on lui demandait. Maladroitement, elle se dirigea vers le fauteuil. Pourtant, elle avait déjà marché à quatre pattes, enfant d’abord pour des jeux stupides et gratuits, adulte ensuite, afin de satisfaire l’une des mille manies des piqués que sa profession lui donnait l’occasion de rencontrer. Ses copines la suivaient des yeux, le regard rivé sur la tache rouge dont la surface augmentait au plus léger de ses mouvements. Pourtant, le rasoir ne semblait même pas l’avoir touchée et, apparemment, l’incision avait été indolore. Les unes et les autres eurent un petit pincement au cœur en songeant qu’à leur tour elles allaient avoir à la subir. L’émir dut deviner leur pensée :
« Bah !… qu’est-ce que cela peut faire ? Demain, vous ne penserez plus qu’aux joyaux que je vous aurai offerts ce soir, alors que cette minuscule égratignure sera oubliée… »
Se tournant du côté de Cathia :
« Que préférez-vous ? Le ventre, les fesses ou les seins ?
— Ce qui se voit le moins… Les seins, si vous voulez. »
Ce qu’el-Sadek aurait préféré, c’était la gorge, mais il lui était difficile d’en faire état. Cathia, qui s’était avancée en offrant sa poitrine, eut un soubresaut et recula :
« Non, je ne peux pas ! »
L’émir fut suave, ce qui l’excitait le plus, c’était la peur des autres :
« Allons, ma douce fleur, vous n’avez rien à craindre… Regardez Annette… Regardez son diamant… Vous ne voulez pas avoir le même ? Vous n’avez pas envie que je vous reconnaisse, que je ne vous confonde avec personne ? »
Soûles, Ghislaine et Marie-Laurence s’étaient affalées sur le lit, cuisses ouvertes, l’une contre l’autre, enlacées, se caressant les bras, le visage, les cheveux, admirant le reflet d’elles-mêmes que leur renvoyaient, sous tous les angles, les miroirs qui tapissaient la pièce. Elles voyaient d’un œil hébété mille Joëlle caresser les mille sexes d’une infinité d’Arabes brandissant des rasoirs sous le nez de millions de Cathia, pâles de terreur.
Simultanément derrière les miroirs, quatre caméras automatiques balayant la totalité de la chambre dans ses moindres recoins, enregistraient la même scène, y compris ce que ni Ghislaine ni Marie-Laurence ne pouvaient voir : leurs propres yeux. Les machines ronronnaient doucement, depuis l’instant où l’homme et les six femmes avaient pénétré dans ce piège de glaces, de velours et de fourrures. En ouvrant la porte à son invité, Satrapoulos en avait lui-même déclenché la mise en route. Apparemment, il n’avait pas installé pour rien ce studio miniature : avec ce prologue seulement, il y avait de quoi faire un sacré film ! Le film le plus cher du monde, celui que l’émir souhaiterait ne jamais voir projeté du côté du Koweït.
On frappa à la porte. La tête d’Ali se glissa dans l’entrebâillement, presque hilare. Sans un regard pour le spectacle, il riva ses yeux à ceux d’el-Sadek et prononça une phrase en arabe. À son tour, l’émir sourit de contentement. Il répondit d’un mot et, s’adressant aux blondes :
« Rhabillez-vous. »
Elles le regardèrent, hésitant à comprendre.
Il répéta, chuintant de plus en plus les voyelles sous le coup d’un soudain énervement :
« Je vous dis de vous rhabiller ! Vous m’avez fait passer une divine soirée, mais je dois me consacrer maintenant à des choses très sérieuses. »
Ghislaine fut la première à reprendre ses esprits :
« Mais… Vous n’avez plus envie de nous faire l’amour ?
— Filez !
— Et les diamants que vous nous aviez promis ? s’indigna Joëlle…
— Faites l’amour avec mes hommes, vous aurez droit à un de plus.
— Appelez-les ! », dit Marie-Laurence.
Elle était venue dans un but très précis, qui ne l’enthousiasmait ni ne la révoltait, avec peut-être le secret espoir qu’il ne se passerait rien. Et maintenant que cela lui arrivait, ou, plutôt, que rien ne lui arrivait, elle se sentait frustrée, dupée et, ce qui n’arrangeait pas les choses, vraiment très ivre. Elle ajouta :
« Qui va me baiser, moi ? Je veux qu’on me baise ! »
Elle s’était accroupie sur le lit et Ghislaine, avec une tendresse insistante, qu’elle osait pour la première fois, lui caressait doucement les cheveux.
« Allez vous faire baiser ailleurs ! », siffla l’émir dans un dernier effort pour se contenir. Il fouilla une fois de plus dans sa bourse, tous les regards rivés à ce geste enchanteur, en sortit six pierres qu’il jeta par terre avec colère :
« Prenez-les et sortez ! Ahmed et Ali vous attendent. »
Il les appela. Les deux géants pénétrèrent instantanément dans la chambre.
El-Sadek leur dit quelques mots, désignant les filles d’un geste large qui signifiait : « Du balai ! »
Elles étaient déjà à genoux, ou à plat ventre, essayant avec difficulté de concilier, dans un dérisoire effort de dignité, leur position humiliante, leur avidité pour les bijoux, leur désir de ne pas perdre la face. Gentiment, Ahmed et Ali les aidaient à ramasser leurs affaires, lorgnant à la dérobée, au hasard de postures révélatrices, ces chairs pâles et soyeuses. Certaines d’entre elles se saisirent de leurs vêtements sans même songer à les enfiler. À quoi bon ? Pour les quitter à nouveau dans cinq minutes ? Tapotant avec agacement dans ses mains, l’émir pressait le mouvement, berger nerveux d’un troupeau de call-girls. Lorsque Cathia, qui était la dernière, franchit le seuil de la porte sans un regard pour lui, afin de mieux montrer à quel point elle était mécontente, el-Sadek glissa une phrase dans l’oreille d’Ali, qui acquiesça. Il entrevit Ahmed faisant monter ces morues dans les étages, laissa la porte entrebâillée, retourna s’asseoir sur le lit et attendit. On frappa très légèrement.
Le cœur de l’émir cogna dans sa poitrine :
« Entre ! »
La porte s’ouvrit toute grande, livrant passage à Ali, encadré par deux petits garçons d’une douzaine d’années, de race blanche, souriant d’un air faussement timide. El-Sadek leur sourit en retour :
« Entrez donc, mes chers enfants… »
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