« Olympe ! », hurla le Grec en écho. Il se rua de son côté, imité par Jeff qui arrivait en sprintant. Ils trouvèrent la Menelas blanche comme un linge, tremblant de tous ses membres.
« Tu as été piquée ?… Dis ?… Où ça ?… Où ça ?…
— Salaud ! gémit-elle… Tu le savais !…
— Jeff ! Allez chercher la trousse !… Olympe, montre-moi l’endroit !
— Jamais plus !… Jamais plus, tu entends !…
— Montre !
— Fous-moi la paix ! se révolta-t-elle… J’ai failli crever à cause de toi !
— Failli ?… » D’un coup de talon, Socrate écrasa le scorpion qui essayait de trouver un abri… Près de l’emplacement où il le broyait, il en vit un autre entrer dans une anfractuosité de la pierre. Il le laissa filer, ne voulant pas effrayer Olympe davantage. Elle hoqueta :
« Et le serpent !… »
Il comprit qu’elle avait eu peur, simplement. Il prit une grosse voix joviale :
« Voyons !… Dans huit jours, il n’y aura plus un seul insecte sur l’île ! Ni de serpents !… On va venir arroser tout ça de vingt tonnes d’insecticide !
— Allons-nous-en ! »
Il vit qu’elle frissonnait. Ce n’était pas le moment de la raisonner. Le lendemain, ils devaient partir pour les Caraïbes où le Pégase II les avaient précédés. Plus tard, il lui expliquerait que, si l’île s’appelait Serpentella, ce n’était probablement pas parce qu’on y trouvait des papillons. Il la prit affectueusement par les épaules… Elle se dégagea comme si lui-même eut été une vipère. Vexé, il laissa retomber son bras et cria à Jeff qui arrivait avec une trousse de premiers secours :
« Pas la peine ! Tout va bien ! »
Entre ses dents serrées, elle lui jeta :
« Ah ! tu crois que tout va bien ! Compte sur moi pour te prouver le contraire ! »
Slim Scobb remontait de la cave, les bras chargés de bouteilles de bière. En arrivant sur les dernières marches, il se heurta à sa femme qui descendait l’escalier à sa rencontre. Elle était en peignoir et tenait un biberon à la main :
« Slim !… Il y a un type qui veut te voir.
— Qu’est-ce qu’il veut ?
— Il l’a pas dit.
— Remonte. J’arrive. »
En deux bonds, il fut à nouveau dans la cave. Derrière un tas de charbon, il y avait une vieille lessiveuse. Slim s’accroupit et plongea le bras à l’intérieur. Il en ramena un Luger accroché dans le fond par des bandes adhésives. Machinalement, il vérifia que le chargeur était plein, fit monter une balle dans le canon et ôta le cran de sûreté. Il enfouit l’arme sous sa ceinture, entre la peau et l’étoffe de son pantalon. D’un pas traînant il se dirigea vers l’escalier, s’accroupit brusquement et fit jaillir l’arme qu’il braqua droit devant lui, sur une cible imaginaire. Il hocha la tête, remit le Luger à sa place et remonta. En haut, debout, son chapeau à la main, il y avait Trendy…
« Ça alors !…
— Hello ! Slim ! Ça va ? »
Le plus jeune des trois enfants, un nourrisson, se mit à piailler d’une voix aiguë.
« Annie, tu peux les emmener dans la chambre ?
— Voulez-vous que je vous serve quelque chose à boire ? »
Slim se tourna vers Trendy :
« Une bière ? Annie, va chercher la bière. Je l’ai oubliée dans l’escalier. »
Elle disparut, le bébé sur les bras. Embarrassé, Slim désigna un siège à Trendy. La pièce était jonchée de jouets, de vaisselle, de vêtements qui gisaient en vrac sur le plancher. À travers la minceur des murs, on entendait nettement les bruits simultanés de la vie de plusieurs familles, aboiements d’un chien, cris d’enfants, grondements d’un homme, voix aiguë haut perchée d’une femme qui lui tenait tête. Les bruits baignaient dans une odeur de choux si dense qu’ils semblaient se frayer un passage à travers elle.
« Asseyez-vous… »
Annie entra dans la pièce, posa les canettes sur la table, sortit deux verres douteux d’un placard, ramassa sa marmaille, se rendit dans la pièce à côté et referma la porte sur elle. Slim et Trendy se dévisagèrent.
« Alors, Slim… Ils sont chouettes, tes mômes…
— L’aîné est premier à l’école.
— Il a quel âge ?
— Douze ans.
— Dis donc ! »
Tous deux avalèrent une gorgée de bière.
« À la tienne et au bon temps !
— À la vôtre, monsieur Trendy !
— Ça a l’air bien chez toi… Chouette… Comment tu t’en sors ?
— Ça pourrait être pire. Je suis gardien dans un garage, la nuit.
— Tu es content ?
— Boph… Comme vous le disiez, ça ne vaut pas le bon temps…
— Hé oui !…
— Annie, les mômes, je me suis acheté une conduite quoi…
— Tu revois les anciens copains ?
— Non. Vous savez, la vie de famille…
— Ça, tu as raison, il n’y a rien de mieux… L’embêtant, c’est que ça vous rouille un homme…
— Pas forcément… Je m’entraîne toujours…
— Non, c’est vrai ?
— Oui, deux fois par semaine.
— Tu as toujours la main ?
— Toujours. Pourquoi vous me demandez ça ?
— Comme ça… Des fois que tu aurais eu envie de reprendre du service… »
Slim marqua un temps d’arrêt :
« Vous avez quelque chose pour moi ?
— Ma foi… J’ai peut-être quelque chose… Maintenant, va savoir si c’est pour toi…
— Monsieur Trendy !… Vous savez bien que, pour vous, n’importe quoi… n’importe quand… J’ai pas la mémoire courte, moi !
— Je n’en doute pas, Slim, je n’en doute pas…
— C’est quelque chose… d’important ?
— Plus que tu ne penses.
— Je suis votre homme ! Vous voyez, rien au monde ne pourrait me faire quitter Annie et les gosses… C’est tout, vous comprenez… Mais pour vous…
— Ne parle pas trop vite, Slim… Tu ne sais pas de quoi il s’agit.
— Dites-le-moi…
— Pas si vite… C’est un gros morceau. Mais qui pourrait te rapporter de quoi t’acheter la propriété de tes rêves, en Floride par exemple, tu sais, là où il y a toujours du soleil… C’est bien simple, les gosses vont à l’école en plein air !
— Je vous écoute !
— Seulement, tu ne pourrais peut-être pas les voir de sitôt… Il faudrait que du temps passe…
— Combien de temps ?
— Plus il y aurait de temps, plus tu serais riche ! Chaque mois passé loin de ta famille, tu toucherais…
— Combien ?
— Je ne sais pas, moi, qu’est-ce que tu voudrais ?… Combien tu gagnais dans les Marines ?
— De quoi me soûler et jouer au poker. Mais j’étais seul.
— Qu’est-ce que tu dirais de vingt mille dollars comptant et cinq mille par mois ?
— Combien vous dites ?
— J’ai dit vingt mille.
— Vrai ? Vous charriez pas ?
— C’est mon genre ?
— Non. Mais c’est tellement énorme !…
— Ce que tu aurais à faire aussi. Tu sais toujours te servir d’un flingue ?
— Vous rigolez !… En tir instantané, je vide mon chargeur au centre de la cible !
— Et avec une carabine ?
— Encore plus facile ! Même si je le voulais, je crois que je suis incapable de louper mon coup ! »
Trendy eut un léger sourire :
« Justement, c’est ça qui me gêne… Parce que, vois-tu, dans l’affaire qui nous intéresse, il ne s’agit pas de faire mouche, mais de rater en ayant l’air d’avoir voulu toucher… »
Slim ouvrit des yeux ronds…
« J’comprends pas très bien, m’sieur Trendy…
— Je vais t’expliquer… Mais auparavant, je voudrais savoir si tu es prêt à marcher sur les bases que je t’ai indiquées ?
— Au feu, j’irais pour vous !… Au feu !
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