Колетт Вивье - La maison des petits bonheurs
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- Название:La maison des petits bonheurs
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- Год:1959
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— Mais je n'oserai jamais, jamais… ja…
— Naturellement! Ah que tu es gourde, et quelle idée j'ai eue de t'emmener!.. Parce que c'est ta faute, hein, tout ça: si tu ne m'avais pas montré la baraque à 20 francs, nous ne nous y serions pas arrêtées, et, si nous ne nous y étions pas arrêtées, nous aurions encore nos 900 francs, au lieu de ces saletés-là!
Et j'ai donné un grand coup sur le paquet. J'étais furieuse: plus j'en disais, plus j'avais envie d'en dire, d'autant plus que Violette m'agaçait, à me regarder de son air triste; et puis, n'est-ce pas, quoi que je puisse lui faire, elle ne m'en veut jamais; ça finit par être insupportable!
Je criais, je criais, quand une main se pose sur mon épaule:
— Eh bien… eh bien… quelle petite furie!
C'était Mlle Délice qui me regardait, étonnée, un peu grave.
— Qu'est-ce qu'il y a donc, Aline?
— Je… je…
Mais les mots s'étranglaient dans ma gorge, j'étouffais, j'aurais voulu mourir. Qu'elle m'ait vue comme ça, elle, elle que je rêvais de rencontrer un jour, par hasard, simplement pour qu'elle me dise: «Bonjour, ma petite Aline!» Et voilà, je l'avais rencontrée…
— Mademoiselle, ai-je balbutié, c'est à cause du marchand!
Et j'ai tout expliqué, à travers mes larmes: la loterie, la boutique à vingt francs, le bracelet, le beau tablier brillant!
— Alors, j'ai décidé d'aller chanter dans les rues pour le payer, et Violette n'a pas voulu!
— Eh, je la comprends! s'est écriée la maîtresse, et ses yeux souriants se sont posés sur Volette qui a murmuré timidement:
— Aline n'était pas vraiment fâchée, vous savez, c'était pour rire!
— Non, non, ai-je dit, pas pour rire!
— Mais si, Liline!
— Non, non, et non, et non! ai-je hurlé à tue-tête.
Mlle Délice m'a secoué le bras.
— Allons, allons, tu n'as pas honte… et laisse-moi toutes ces folies, hein!.. J'ai d'ailleurs là quelque chose qui va tout arranger, je crois!
Et elle a mis dans les bras de Violette un carton blanc qu'elle tenait à la main.
— Qu'est-ce que c'est, mademoiselle?
— Devinez!
Violette soulève le couvercle, et c'était le tablier, le beau tablier brillant!
— Oh! mademoiselle, vous saviez donc?
— Ah! voilà… Maintenant, rentrez vite chez vous. A demain, Aline; à demain, ma petite Violette!
J'ai bien noté la nuance entre nous deux, mais je l'avai mérité, et puis, j'étais dans un tel état d'enthousiasme que je n'arrivais pas à avoir de la peine. Demain, d'ailleurs, demain, j'aurai 10 pour que la maîtresse m'appelle aussi sa «petite Aline», et tous les autres jours, j'aurai encore 10, même si je devais passer mes nuits entières à travailler!.. J'ai embrassé Violette au moins vingt fois, à l'étouffer, en lui disant qu'elle était parfaite, qu'elle n'avait pas un seul défaut, mais que je l'aimais bien quand même, et nous sommes rentrée, bras dessus, bras dessous. Violette se demandait comment Mlle Délice avait pu deviner, pour la loterie, mais moi, je me suis souvenue de sa voix douce, quand elle avait parlé à Marie, et j'ai bien compris qu'elle avait acheté le tablier pour le lui donner. Jamais, jamais je n'ai vu quelqu'un comme elle!
Tout l'après-midi, nous avons empaqueté les lots; pendant que je les numérotais de 1 à 30, Violette écrivait les mêmes numéros sur des morceaux de papier qu'elle pliait en quatre, et nous avons eu soin de mettre à part celui qui a le numéro 19. Armand jouait au foot-ball, on était bien tranquilles, et Riquet est venu nous aider, Riquet, mais pas Estelle qui tricotait avec tante Mimi.
Oh! que je voudrais être à demain.
VENDREDI SOIR, 9.
Vite, que je raconte comment tout s'est passé: très bien, merveilleusement bien, et nous avons même eu un vrai succès! Quand Violette, à la récréation, a annoncé la loterie aux élèves qui n'étaient pas du complot et a commencé la distribution des billets, elles se sont toutes jetées sur elle comme des enragées, et c'était à qui prendrait son numéro la première. Lulu Taupin, dans son émotion, n'arrivait pas à lire le sien.
— Retourne à la maternelle! lui a crié Tiennette Jacquot, et toutes de rire, excepté Marie Collinet qui nous regardait de loin, d'un air maussade, en tortillant son tablier jaune. J'ai couru vers elle:
— Viens donc, Marie, il y a un numéro pour toi aussi… tiens, le voilà, c'est le 19!
— Pour moi? fait-elle, hésitante, et puis, elle se décide à le prendre, avec un faible sourire.
— Retiens-le bien! lui crie cette folle de Tiennette, 19… 19…
Marie se retourne d'un air méfiant.
— Et pourquoi donc faut-il le retenir?
— Pour rien, pour rien, mais si tu savais quel beau…
Je mets ma main sur la bouche de Tiennette:
— Ne l'écoute pas, Marie, elle est idiote!
Mais Marie Collinet s'est déjà éloignée, le visage fermé, en fourrant rageusement le billet dans sa poche.
— Eh, dis-je à Tiennette, c'est malin; elle va croire que nous nous moquons d'elle! Dépêchons-nous de tirer les lots, au moins!
J'avais tout bien préparé dans une grande boîte, et nous en faisions un effet, avec toutes les élèves serrées autour de nous, et les autres, celles des autres classes, qui se bousculaient pour voir! Je tire un papier au hasard:
— Le 27!
— Pour moi! s'exclame Jacqueline Mouche.
C'était un petite glace; elle pousse un cri de joie.
— J'en avais tellement envie, justement!
— Tant mieux, au suivant: le 14!
Les lots sortent un par un de la boîte: Tiennette gagne un porte-mine, Violette, une bague dorée, la grosse Carmen, un album de décalques, Lulu Taupin le beau bracelet d'argent. On n'entend plus que des bruits de papier froissé, des exclamations, des rires. Moi, je guettais Marie qui, dissimulée derrière les autres, regardait avec inquiétude la boîte qui se vidait peu à peu.
— Le numéro 19!
— 19?… C'est… c'est le mien! balbutie-t-elle, si troublée qu'elle ne pense même pas à bouger de son coin.
Je lui tends le paquet.
— Ouvre-le, ouvre-le!
Elle l'ouvre. Ah! je n'oublierai pas son visage: il est devenu clair tout d'un coup, et ses lèvres tremblaient tant qu'on ne savait pas si c'était de joie ou de peine. Et puis, après avoir longuement contemplé le tablier, elle s'est mise à le caresser d'un doigt timide, comme pour s'assurer qu'il était bien vrai.
— Ça te fait plaisir? lui a demandé Violette.
Elle a voulu répondre, mais on voyait qu'elle n'osait pas parler, de peur de pleurer, et elle a fait seulement «oui» avec sa tête. Ah! comme elle m'a semblé différente, tout d'un coup! Dans un élan, j'ai passé mon bras sous le sien et, cette fois, elle ne m'a pas repoussée.
— Hein, s'est écriée Tiennette, tu peux le jeter maintenant, ton vilain tablier jaune!.. Aline en a eu une bonne idée, de…
— Tiennette! ai-je crié.
Mais c'était trop tard, Marie avait compris; sa main s'est crispée sur le tablier, elle a baissé les yeux. Qu'allait-elle faire? Nous l'observions toutes, en silence, et puis, soudain, au moment où je croyais qu'elle allait se sauver, elle a relevé doucement la tête et m'a souri d'un air tranquille, comme si elle n'avait rien deviné.
— Vive Marie! avons-nous crié.
Et, sans la questionner davantage, nous l'avons aidée joyeusement à retirer le tablier jaune pour mettre le beau neuf, tout brillant.
— Que tu es belle! disions-nous.
Et Jacqueline lui prêtait sa glace de poche pour qu'elle s'admire, et Violette attachait les boutons! Marie se laissait faire, sérieuse, un peu raidie, avec un petit sourire heureux qu'elle s'efforçait en vain de retenir.
Seulement, quand la récréation a été finie et que nous avons dû rentrer en classe, elle a trottiné derrière moi et m'a retenue par la manche:
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