— Vous pouvez compter, dirent les parents. Ma foi oui, vous pouvez compter qu’on va vous donner un pépin de pomme remette. C’est une nourriture qui doit tenir au ventre ! Une nourriture faite pour des bêtes de somme ! Mais assez causé. Voilà le foin, voilà l’avoine et les betteraves. Vous allez nous faire le plaisir de manger. Et point de simagrées.
Quittant l’écurie, les parents s’en allèrent dans la cour donner la pâtée aux poules et à toute la volaille.
C’était une excellente pâtée, mais nul ne voulut seulement y goûter.
— Ce qu’il nous faut, dit le coq aux parents, c’est un pépin de pomme reinette et une gorgée d’eau claire. Nous ne voulons rien de plus.
— Encore ce pépin ! Mais qu’est-ce qu’ils ont donc tous à vouloir se nourrir de pépins ? Allons, coq, explique.
— Dites-moi, les parents, demanda le coq, est-ce que vous n’aimeriez pas me voir me pavaner dans la cour avec un huppe sur la tête, et, dressé tout autour de moi, un grand éventail de longues plumes de toutes les couleurs ?
— Non, dirent les parents de mauvaise humeur.
Parle-nous d’un coq au vin. Voilà ce que nous aimons et le plumage n’y ajoute rien.
Le coq tourna le dos et dit tout haut en s’adressant aux autres volailles :
— Vous voyez comme ils nous répondent quand on leur parle gentiment.
Les parents s’éloignèrent et tout du même pas s’en furent auprès du cochon lui porter sa nourriture. Mais sitôt qu’il eut senti l’odeur des pommes de terre écrasées, il cria depuis la soue :
— Remportez-moi vite cette pâtée ! Ce qu’il me faut, c’est un pépin de pomme reinette avec une gorgée d’eau claire !
— Toi aussi ? dirent les parents. Mais pourquoi ?
— Mais parce que je veux être beau et si fin, si brillant, que sur mon passage les gens s’arrêtent et se retourne en s’écriant : « Ah ! qu’il est joli et qu’on aimerait être ce merveilleux cochon qui passe. »
— Mon Dieu, cochon, dirent les parents, il est naturel que tu penses à être beau. Mais pourquoi justement, ne pas faire ce qu’il faut pour le rester ? Est-ce que tu ne comprends pas qu’être beau, c’est d’abord être gras ?
— A d’autres, fit le cochon. Mais répondez-moi. Oui et non, voulez-vous me donner un pépin de pomme remette et une gorgée d’eau claire ?
— Pourquoi pas ? Nous allons y réfléchir et dans quelque temps…
— Ce n’est pas dans quelque temps, c’est tout de suite. Et ce n’est pas tout. Il faudra aussi m’emmener promener tous les matins. Et il faudra me faire faire du sport et surveiller ma nourriture, mon sommeil, mes fréquentations, ma façon de marcher… enfin, tout.
— Entendu. Quand tu auras pris encore une dizaine de kilos, nous commencerons. En attendant, mange ta pâtée.
Après avoir rempli l’auge du cochon, les parents gagnèrent la cuisine et là trouvèrent Delphine et Marinette prêtes à partir pour l’école.
— Vous partez déjà ?-Tiens, mais… mais vous n’avez pas déjeuné ?
Les petites devinrent toutes rouges et Delphine répondit avec embarras :
— Non, pas faim… trop mangé peut-être hier soir…
— L’air nous fera du bien, ajouta Marinette.
— Hum ! firent les parents. Voilà qui est singulier. Enfin, c’est bon…
Et quand les petites furent déjà très loin sur le chemin de l’école, ils avisèrent sur la table de la cuisine deux moitiés d’une pomme reinette à laquelle on avait ôté deux pépins.
Les bêtes de l’écurie ne purent s’accommoder bien longtemps du régime recommandé par le paon. Un pépin de pomme dans l’estomac d’un bœuf ou d’un cheval, est à peu près comme rien. Renonçant à être beau, chacun revint à sa nourriture habituelle et dès le matin du deuxième jour. Il y eut plus de constance chez les bêtes de la basse-cour et quelque temps on put croire qu’elle étaient faites à ce nouveau genre de vie.
Toute cette volaille était si coquette qu’elle oublia ses crampes d’estomac pendant plusieurs jours. Les poules, les poulets, le coq, le canard, l’oie elle-même, ne parlaient plus que de leur port de tête, de leur démarche et de la couleur de leurs plumes, au point que plusieurs d’entre les plus jeunes devinrent toutes rêveuses, se plaignant de n’avoir pas la vie convenable à des personnes d’une aussi grande beauté. A les entendre ainsi divaguer, l’oie se reprit tout d’un coup et déclara que ces repas de carême auxquels on s’astreignait n’avaient pas de résultat plus clair que de brouiller la cervelle à quelques pécores en attendant que la basse-cour tout entière en perdît la tête. Quant à la beauté qu’on y avait gagnée, elle voyait surtout des yeux battus, des plumes fatiguées, des cous décharnés, des jabots raplatis. Il y eut plusieurs volailles raisonnables qui l’entendirent tout de suite. D’autres mirent un peu plus longtemps. Le coq demeura ferme partisan du régime pépin et avec lui un groupe de poulets qui admiraient beaucoup ses manières. Ils le demeurèrent ensemble jusqu’au jour où, s’étant évanoui dans la cour tant il avait faim, le coq entendit la voix des parents qui parlaient ainsi : « Dépêchons-nous de le saigner pour qu’il soit encore bon à manger », dont il eut si grande peur qu’il se leva tout d’un bond et partit du même pour aller manger grains et pâtée, et en mangea tant, pauvre coq, ce jour-là et les suivants, qu’il eut plusieurs fois des indigestions et les poulets aussi.
Passé quinze jours, le cochon resta seul de tous les animaux a suivre le régime. Dans toute une journée, il mangeait à peine de quoi nourrir un poulet en bas âge, ce qui ne l’empêchait pas de faire de longues promenade à pied, de la gymnastique et du sport en toutes manières. En une semaine, il avait perdu trente livres.
Les autres bêtes le pressaient de se remettre à une nourriture plus abondante, mais c’était comme s’il n’entendait pas, ne faisant que leur demander : « Comment me trouvez-vous ? » A quoi répondaient les bêtes toutes navrées :
— Bien maigre, mon pauvre cochon. Ta peau fait des plis, des rides et des poches, que c’est une pitié.
— Allons, tant mieux, disait le cochon. Mais je n’ai pas fini de vous étonner.
Il clignait de l’œil et demandait en baissant la voix :
— A propos ! faites-moi donc le plaisir de regarder sur le dessus de ma tête… Vous avez vu ?
— Quoi donc ?
— Quelque chose qui pousse… comme une huppe.
— Mais non, il n’y a rien du tout…
— Tiens, c’est drôle, faisait le cochon. Et ma traîne. La voyez-vous ?
— Sans doute veux-tu parler de ta queue ? Alors, il s’agit bien de traîne ! Plus que jamais elle est en forme de tire-bouchon.
— Tiens, c’est drôle. Peut-être que je ne fais pas assez de sport… ou bien que je mange encore trop… Je vais me surveiller, soyez tranquilles.
Le voyant encore plus maigre de jour en jour, Delphine et Marinette n’avaient presque plus envie d’être belles. Du moins entendaient-elles ne pas trop jeûner. Le régime du paon, qu’elles avaient d’abord voulu suivre en cachette des parents, ne les tentait plus guère. Enfin, les conseils de l’oie firent beaucoup pour les en détourner. Lorsqu’elle entendait les petites parler de leur taille et des grammes qu’elles espéraient perdre, elle leur répétait :
— Voyez dans quel état s’est mis notre malheureux cochon pour n’avoir pas mangé à son appétit. Voulez-vous comme lui avoir de la peau qui pende et de pauvres crayons flageolants en place de vos bonnes jambes ? Non, croyez-moi, tout ça n’est pas raisonnable. Et tenez, moi qui suis assez bien faite de ma personne et très joliment emplumée, je peux bien vous le dire ; La beauté ne remplit pas la vie et il vaut mieux pour vous de savoir ourler des torchons que d’avoir sur le dos des grandes plumes de toutes les couleurs.
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