Flattée, la maîtresse hésitait pourtant à le recevoir dans sa classe. Les autres bêtes s’étaient avancées et réclamaient la même faveur.
— Bien entendu, ajouta le sanglier, nous nous engageons, mes compagnons et moi, à être sages et à ne pas troubler la leçon.
— Après tout, dit la maîtresse, je ne vois pas d’inconvénient à ce que vous entriez dans la classe. Mettez-vous en rang.
Les bêtes se placèrent à la suite des fillettes alignées deux par deux devant la porte de l’école. Le sanglier était à côté du cochon, la petite poule blanche à côté du cheval et le chien au bout de la rangée. Lorsque la maîtresse eut frappé dans ses mains, les nouveaux écoliers entrèrent en classe sans faire de bruit et sans se bousculer. Tandis que le chien, le sanglier et le cochon s’asseyaient parmi les fillettes, la petite poule blanche se perchait sur le dossier d’un banc, et le cheval, trop grand pour s’attabler, restait debout au fond de la salle.
La classe commença par un exercice d’écriture et se poursuivit par une leçon d’histoire. La maîtresse parla du XVe siècle et particulièrement du roi Louis XI, un roi très cruel qui avait l’habitude d’enfermer ses ennemis dans des cages de fer. « Heureusement, dit-elle, les temps ont changé et à notre époque il ne peut plus être question d’enfermer quelqu’un dans une cage. » A peine la maîtresse venait-elle de prononcer ces mots que la petite poule blanche, se dressant à son perchoir, demandait la parole.
— On voit bien, dit-elle, que vous n’êtes pas au courant de ce qui se passe dans le pays. La vérité c’est que rien n’a changé depuis le XVe siècle. Moi qui vous parle, j’ai vu bien souvent des malheureuses poules enfermées dans des cages et c’est une habitude qui n’est pas près de finir.
— C’est incroyable ! s’écria le sanglier.
La maîtresse était devenue très rouge, car elle pensait aux deux poulets qu’elle tenait prisonniers dans une cage pour les engraisser. Aussi se promit-elle de leur rendre la liberté dès après la classe.
— Quand je serai roi, déclara le cochon, j’enfermerai les parents dans une cage.
— Mais vous ne deviendrez jamais roi, dit le sanglier. Vous êtes trop laid.
— Je connais des gens qui ne sont pas du tout de votre avis, repartit le cochon. Hier au soir encore, les parents disaient en me regardant : « Le cochon est de plus en plus beau, il va falloir s’occuper de lui. » Je n’invente rien. Les petites étaient là quand ils l’ont dit. N’est-ce pas, petites ? Delphine et Marinette, confuses, durent reconnaître que les parents avaient tenu ce propos élogieux. Le cochon triompha.
— Vous n’en êtes pas moins l’animal le plus laid que j’aie jamais vu, dit le sanglier.
— Apparemment que vous ne vous êtes pas regardé. Avec ces deux grandes dents qui vous sortent de la gueule, vous avez une figure affreuse.
— Comment ? Vous osez parler de ma figure avec cette insolence ? Attendez un peu, gros butor, je vais vous apprendre à respecter les honnêtes gens.
Voyant le sanglier sauter hors de son banc, le cochon s’enfuit autour de la classe en poussant des cris aigus, et telle était sa frayeur qu’il bouscula la maîtresse et faillit la jeter à terre. « Au secours, criait-il. On veut m’assassiner ! » Et il se jetait entre les tables, faisant sauter les livres, les cahiers, les porte-plume et les encriers. Le sanglier, qui le serrait de près, ajoutait encore au désordre et grondait qu’il allait lui découdre la panse. Passant sous la chaise où était assise la maîtresse, il la souleva de terre et l’entraîna un moment dans sa course. Celle-ci s’en trouva d’ailleurs ralentie et Delphine et Marinette en profitèrent pour essayer d’apaiser le sanglier, lui rappelant la promesse qu’il avait faite de ne pas troubler la leçon. Avec l’aide du chien et du cheval, elles finirent par lui faire entendre raison.
— Pardonnez-moi, dit-il à la maîtresse. J’ai été un peu vif, mais cet individu est si laid qu’il est impossible d’avoir pour lui aucune indulgence.
— Je devrais vous mettre à la porte tous les deux, mais pour cette fois, je me contenterai de vous mettre un zéro de conduite :
Et la maîtresse écrivit au tableau :
Sanglier : zéro de conduite.
Cochon : zéro de conduite.
Le sanglier et le cochon étaient bien ennuyés, mais ce fut en vain qu’ils la supplièrent d’effacer les zéros. Elle ne voulut rien entendre.
— A chacun selon son mérite. Petite poule blanche, dix sur dix. Chien, dix sur dix. Cheval, dix sur dix. Et maintenant, passons à la leçon de calcul. Nous allons voir comment vous vous êtes tirés du problème des bois de la commune. Quelles sont celles d’entre vous qui l’on fait ?
Delphine et Marinette furent seules à lever la main. Ayant jeté un coup d’œil sur leurs cahiers, la maîtresse eut une moue qui les inquiéta un peu.
Elle paraissait douter que leur solution fût exacte.
— Voyons, dit-elle en passant au tableau, reprenons l’énoncé. Les bois de la commune ont une étendue de seize hectares…
Ayant expliqué aux élèves comment il fallait raisonner, elle fit les opérations au tableau et déclara :
— Les bois de la commune contiennent donc quatre mille huit cents chênes, trois mille deux cents hêtres et seize cents bouleaux. Par conséquent, Delphine et Marinette se sont trompées.
Elles auront une mauvaise note.
— Permettez, dit la petite poule blanche. J’en suis fâchée pour vous, mais c’est vous qui vous êtes trompée. Les bois de la commune contiennent trois mille neuf cent dix-huit chênes, douze cent quatorze hêtres et treize cent deux bouleaux. C’est ce que trouvent les petites.
— C’est absurde, protesta la maîtresse. Il ne peut y avoir plus de bouleaux que de hêtres. Reprenons le raisonnement…
— Il n’y a pas de raisonnement qui tienne. Les bois de la commune contiennent bien treize cent deux bouleaux. Nous avons passé l’après-midi d’hier à les compter. Est-ce vrai, vous autres ?
— C’est vrai, affirmèrent le chien, le cheval et le cochon.
— J’étais là, dit le sanglier. Les arbres ont été comptés deux fois.
La maîtresse essaya de faire comprendre aux bêtes que les bois de la commune, dont il était question dans l’énoncé, ne correspondaient à rien de réel, mais la petite poule blanche se fâcha et ses compagnons commençaient à être de mauvaise humeur. « Si l’on ne pouvait se fier à l’énoncé, disaient-ils, le problème lui-même n’avait plus aucun sens. » La maîtresse leur déclara qu’ils étaient stupides. Rouge de colère, elle se disposait à mettre une mauvaise note aux deux petites lorsqu’un inspecteur d’académie entra dans la classe.
D’abord, il s’étonna d’y voir un cheval, un chien, une poule, un cochon et surtout un sanglier.
— Enfin, dit-il, admettons. De quoi parliez-vous ?
— Monsieur l’Inspecteur, déclara la petite poule blanche, la maîtresse a donné avant-hier aux élèves un problème dont voici l’énoncé : les bois de la commune ont une étendue de seize hectares…
Lorsqu’il fut informé, l’inspecteur n’hésita pas à donner entièrement raison à la petite poule blanche.
Pour commencer, il obligea la maîtresse à mettre une très bonne note sur les cahiers des deux petites et à effacer les zéros de conduite du cochon et du sanglier.
« Les bois de la commune sont les bois de la commune, dit-il, c’est indiscutable. » Il fut si content des bêtes qu’il fit remettre à chacune un bon point et à la petite poule blanche, qui avait si bien raisonné, la croix d’honneur.
Delphine et Marinette rentrèrent à la maison, le cœur léger. En voyant qu’elles avaient de très bonnes notes, les parents furent heureux et fiers (ils crurent aussi que les bons points du chien, du cheval, de la petite poule blanche et du cochon avaient été décernés aux deux petites). Pour les récompenser, ils leur achetèrent des plumiers neufs.
Читать дальше