Les petites et même le coq et l’oie éclatèrent de rire.
— Je ne voix pas ce qui vous fait rire, dit le cochon. En tout cas, pour ce qui est de savoir lequel est le plus beau, vous voilà d’accord.
— C’est une plaisanterie, dit l’oie.
— Mon pauvre cochon, fit le coq, si tu pouvais voir combien tu es laid !
Le cochon regarda le coq et l’oie avec un air peiné et soupira :
— Je comprends… oui, je comprends. Vous êtes jaloux, tous les deux. Et pourtant, est-ce qu’on a jamais rien vu de plus beau que moi ? Tenez, les parents me le disaient encore tout à l’heure. Allons, soyez sincères. Dites-le, que je suis le plus beau.
Pendant la dispute, un paon apparut au coin de la haie et chacun fit silence. Son corps était bleu, son aile mordorée, et sa longue traîne verte était parsemée de taches bleues cernées par un anneau couleur de rouille.
Il portait une huppe sur la tête et marchait d’un pas fier. Il eut un rire élégant et, se tournant de côté pour se faire admirer, dit en s’adressant aux deux petites :
— Depuis le coin de la haie, j’ai assisté à leur querelle et je ne vous cacherai pas que je me suis follement amusé. Ah ! oui, follement…
Ici, le paon s’interrompit pour rire discrètement et reprit :
— Grave question de savoir quel est le plus beau de ces trois personnages. Voilà un cochon qui n’est pas mal avec sa peau rose et tendue. J’aime bien le coq aussi avec cette espèce de moignon qu’il a sur la tête et ces plumes qui l’habillent comme un hérisson. Et quelle grâce aisée dans le maintien de notre bonne oie, et quelle dignité dans le port de la tête… Ah ! laissez moi rire encore… Mais soyons sérieux. Dites-moi, jeunes filles, ne pensez-vous pas qu’il vaudrait mieux, quand on est si loin de la perfection, ne pas trop parler de sa beauté ?
Les petites rougirent pour le cochon, pour le coq et pour l’oie, et un peu pour elles, aussi. Mais flattées de ce qu’il les eût appelées « jeunes filles », elles n’osèrent pas reprocher au paon son impolitesse.
— D’un autre côté, poursuivit le visiteur, je sais bien qu’on est un peu excusable quand on ne sait pas ce qu’est la vraie beauté…
Le paon tourna lentement sur lui-même en prenant des poses, pour que chacun pût le voir tout à son aise.
Le cochon et le coq, muets d’admiration le regardaient avec des yeux ronds. Mais l’oie ne paraissait pas trop surprise. Elle fit observer tranquillement :
— C’est entendu, vous n’êtes pas mal, mais on en a déjà bien vu autant. Moi qui vous parle, j’ai connu un canard qui avait un plumage aussi beau que le vôtre. Et il ne faisait pas ces embarras. Vous me direz qu’il n’avait pas comme vous une longue traîne à balayer la poussière ni cette huppe sur la tête. Si vous voulez. Mais je peux vous assurer qu’elles ne lui manquaient pas non plus. Il vivait très bien sans ça. Du reste, vous ne me ferez pas croire que tous ces ornements sont bien convenables. Me voyez-vous, moi, avec un pinceau sur la tête et un mètre de plumes par derrière ? Mais non, mais non. Ce n’est pas sérieux.
Pendant qu’elle parlait ainsi, le paon étouffait à peine un bâillement d’ennui et quand elle eut fini, il ne prit pas la peine de répondre. Déjà le coq reprenait de l’aplomb et ne craignait pas de comparer son plumage au sien. Il se tut tout d’un coup et le souffle même lui manqua une minute. Le paon venait de déployer les longues plumes de sa traîne qui s’arrondissait autour de lui comme un large éventail. L’oie elle-même en fut éblouie et ne put retenir un cri d’admiration. Émerveillé, le cochon fit un pas en avant pour voir les plumes de plus près, mais le paon fit un saut en arrière.
— S’il vous plaît, dit-il, ne m’approchez pas. Je suis une bête de luxe. Je n’ai pas l’habitude de me frotter à n’importe qui.
— Je vous demande pardon, balbutia le cochon.
— Mais non, c’est moi qui m’excuse de vous dire les choses aussi simplement. Voyez-vous, quand on veut être beau comme je suis, il faut en prendre la peine. C’est presque aussi difficile de le rester que de le devenir.
— Comment ? s’étonna le cochon. Est-ce que vous n’avez pas toujours été beau ?
— Oh ! non. Quand je suis venu au monde, je n’avais qu’un maigre duvet sur la peau et rien ne permettait d’espérer qu’il en serait un jour autrement. Ce n’est que peu à peu que je me suis transformé jusqu’au point d’être où vous me voyez à présent, et il m’a fallu des soins. Je ne pouvais rien faire sans que ma mère me reprenne aussitôt : « Ne mange pas de vers de terre, ça empêche la huppe de pousser. Ne saute pas à cloche-pied, tu auras la traîne de travers. Ne mange pas trop. Ne bois pas pendant les repas. Ne marche pas dans les flaques… » C’était sans fin. Et je n’avais pas le droit de fréquenter les poulets ni les autres espèces du château. Car vous savez que j’habite ce château qu’on aperçoit là-bas. Oh ! ce n’était pas souvent bien gai. En dehors des promenades que je faisais en compagnie de la châtelaine pour faire pendant à son lévrier, j’étais toujours seul. Et encore, si j’avais l’air de m’amuser ou de penser à quelque chose de drôle, ma mère me criait avec désespoir : « Petit malheureux, ne vois-tu pas qu’à rire ainsi et à t’amuser, tu as déjà dans la démarche et dans la huppe et dans la traîne un air de vulgarité ? » Oui, voilà ce qu’elle me disait. Oh ! la vie n’était pas drôle. Et même maintenant, vous ne me croirez peut-être pas, mais je suis encore un régime. Pour ne pas m’alourdir ni perdre l’éclat de mes couleurs, je suis obligé de me rationner au plus juste et de faire de la gymnastique, du sport… Et je ne parle pas des longues heures que je passe à ma toilette.
Sur la prière du cochon, le paon se mit à énumérer par le détail tout ce qu’il faut faire pour être beau et quand il eut parlé une demi-heure, il n’en avait pas seulement dit la moitié. Cependant, d’autres bêtes arrivaient à chaque instant et faisaient le cercle autour de lui. Vinrent d’abord les bœufs, puis les moutons, ensuite les vaches, le chat, les poulets, l’âne, le cheval, le canard, un jeune veau, et jusqu’à une petite souris qui se glissa entre les sabots du cheval. Tout ce monde se bousculait pour mieux voir et mieux entendre.
— Ne poussez pas ! criait le veau ou l’âne ou le mouton ou n’importe qui. Ne poussez pas. Silence. Ne me marchez donc pas sur les pieds… Les plus grands derrière… Allons, desserrez-vous… Silence, on vous dit… Et si je vous flanquais une correction…
— Chut ! faisait le paon, calmons-nous un peu… Je reprends : le matin au réveil, manger un pépin de pomme reinette et boire une gorgée d’eau claire… Vous m’avez bien compris, n’est-ce pas ? Allons, répétez.
— Manger un pépin de pomme reinette et boire une gorgée d’eau claire, disaient en chœur toutes les bêtes de la ferme.
Delphine et Marinette n’osaient pas répéter avec elles, mais jamais à l’école elles n’avaient été aussi attentives qu’elles le furent aux leçons du paon.
Le lendemain matin, les parents furent bien étonnés. Leur surprise commença à l’écurie, tandis qu’ils se préparaient à garnir les mangeoires et les râteliers, comme ils faisaient tous les jours. Le cheval et les bœufs leur dirent avec un peu d’impatience :
— Laissez, laissez, ce n’est pas la peine. Si vous voulez vous rendre utiles, donnez-nous plutôt un pépin de pomme reinette et une gorgée d’eau claire.
— Qu’est-ce que vous dites ? Un pépin de… de…
— De pomme reinette, oui. Nous ne prendrons rien d’autre jusqu’à l’heure du midi, et ce sera ainsi tous les jours.
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