— Bien sûr, répondaient les petites, c’est vous qui avez raison.
Un jour, le cochon, après un exercice de gymnastique, se reposait auprès du puits et comme il demandait au chat qui ronronnait sur la margelle s’il voyait pousser sa huppe, celui-ci eut pitié et feignant d’y regarder de tout près, répondit :
— En effet, il me semble apercevoir quelque chose. Ce n’est bien sûr qu’un début, mais on dirait une promesse de huppe.
— Enfin ! cria le cochon. La voilà qui pousse ! On l’aperçoit déjà ! Je suis bien heureux… Et ma traîne, chat, la vois-tu aussi ?
— Ta traîne ! Mon Dieu… je dois dire…
— Comment ! Comment !
Et le cochon parut si bouleversé que le chat se reprit aussitôt :
— A la vérité, ce n’est pas encore une traîne, mais c’est déjà un très joli balai qui n’a pas fini de pousser.
— Bien sûr, il faut qu’elle grandisse encore, convint le cochon.
— Oui, oui, approuva le chat. Mais elle ne grandira que si tu manges beaucoup. Et pour la huppe, c’est la même chose. Le régime du paon, c’était excellent pour tout mettre en train, mais maintenant que la huppe et la traîne sont sorties, il s’agit de les alimenter.
— C’est pourtant vrai, fit le cochon. Je n’y avais pas pensé.
Et aussitôt il courut à son auge où il mangea tant qu’il y eut et après s’en alla auprès des parents pour avoir encore.
Quand il fut enfin rassasié, il se mit à gambader par la cour en criant à tue-tête :
— J’ai une huppe ! J’ai une traîne ! J’ai une huppe ! J’ai une traîne !
Les bêtes de la ferme essayaient de le détromper mais il les accusait d’être jalouses ou d’avoir les yeux dans leurs poches. Le lendemain, il eut une longue discussion avec le coq et celui-ci, lassé par son entêtement, abandonna la partie en soupirant :
— Il est fou… il est complètement fou…
Les témoins, qui étaient nombreux, éclatèrent d’un grand rire dont le cochon se trouva tout décontenancé.
Durant plus d’une heure, une couvée de poussins s’attacha à ses pas en piaillant :
— Il est fou… ! Au fou !.. Il est fou !..
Et les autres volailles ne se tenaient pas de ricaner et d’avoir des mots désobligeants quand il passait devant elles. Dès lors, le cochon s’abstint de parler à personne de sa huppe ou de sa traîne. Quand il traversait la cour, il allait toujours la tête en arrière, tellement rengorgé qu’on se demandait s’il n’avait pas avalé un os qui lui fût resté en travers du gosier, et si quelqu’un venait à passer derrière lui, même à bonne distance, il faisait vivement un saut en avant, comme s’il eût craint qu’on lui marchât sur la queue. L’oie le montrait alors aux deux petites, leur disant :
— Vous voyez ce qui arrive quand on est trop occupé de sa beauté. On devient fou comme le cochon.
Les petites, en l’entendant parler ainsi, plaignaient leur pauvre cousine Flora qui devait avoir perdu la tête depuis longtemps. Pourtant, Marinette qui était un peu plus blonde que sa sœur, ne pouvait pas s’empêcher d’admirer le cochon.
Un matin de soleil, le cochon partit pour une longue promenade dans la campagne. Au retour, le temps se couvrit et il y eut de grands éclairs au-dessus de lui, de quoi il ne fut pas surpris, pensant apercevoir sa huppe balancée sur sa tête par le vent. Il trouva toutefois qu’elle avait beaucoup grandi et qu’elle était maintenant aussi importante qu’on pouvait souhaiter. Cependant, la pluie se mit à tomber très serrée et il se réfugia un moment sous un arbre en prenant garde à baisser la tête pour ne pas abîmer sa huppe.
Le vent s’étant apaisé et la pluie tombant moins serrée, le cochon se remit en marche. Lorsque la ferme fut en vue, à peine tombait-il encore quelques gouttes et le soleil passait déjà entre les nuages. Delphine et Marinette sortaient de la cuisine en même temps que leurs parents, et la volaille quittait la remise où elle avait trouvé abri. Au moment où le cochon allait entrer dans la cour, les petites pointèrent le doigt dans sa direction en criant :
— Un arc-en-ciel ! Ah ! qu’il est beau !
Le cochon tourna la tête et à son tour poussa un cri.
Derrière lui, il apercevait sa traîne déployée en un immense éventail.
— Regardez ! dit-il. Je fais la roue !
Delphine et Marinette échangèrent un regard attristé, tandis que les bêtes de la basse-cour parlaient entre elles à voix basse en hochant la tête.
— Allons, assez de comédie, firent les parents. Rentre dans ta soue. Il est l’heure.
— Rentrer ? dit le cochon. Vous voyez bien que je ne peux pas. Ma roue est trop large pour que je puisse pénétrer seulement dans la cour. Elle ne passera jamais entre ces deux arbres.
Les parents eurent un mouvement d’impatience. Ils parlaient déjà de prendre une trique, mais les petites s’approchèrent du cochon et lui dirent avec amitié :
— Tu n’as qu’à refermer tes plumes. Ta traîne passera facilement.
— Tiens, c’est vrai, fit le cochon. Je n’y aurais pas pensé. Vous comprenez, le manque d’habitude…
Il fit un grand effort qui lui creusa l’échine. Derrière lui, l’arc-en-ciel fondit tout d’un coup et se déposa sur sa peau en couleurs si tendres, et si vives aussi, que les plumes du paon, à côté, eussent été comme une grisaille.
Caché derrière la haie, le loup surveillait patiemment les abords de la maison. Il eut enfin la satisfaction de voir les parents sortir de la cuisine. Comme ils étaient sur le seuil de la porte, ils firent une dernière recommandation.
— Souvenez-vous, disaient-ils, de n’ouvrir la porte à personne, qu’on vous prie ou qu’on vous menace. Nous serons rentrés à la nuit.
Lorsqu’il vit les parents bien loin au dernier tournant du sentier, le loup fit le tour de la maison en boitant d’une patte, mais les portes étaient bien fermées. Du côté des cochons et des vaches, il n’avait rien à espérer. Ces espèces n’ont pas assez d’esprit pour qu’on puisse les persuader de se laisser manger.
Alors, le loup s’arrêta devant la cuisine, posa ses pattes sur le rebord de la fenêtre et regarda l’intérieur du logis.
Delphine et Marinette jouaient aux osselets devant le fourneau. Marinette, la plus petite, qui était aussi la plus blonde, disait à sa sœur Delphine :
— Quand on n’est rien que deux, on ne s’amuse pas bien. On ne peut pas jouer à la ronde.
— C’est vrai, on ne peut jouer ni à la ronde, ni à la paume placée.
— Ni au furet, ni à la courotte malade.
— Ni à la mariée, ni à la balle fondue.
— Et pourtant, qu’est-ce qu’il y a de plus amusant que de jouer à la ronde ou à la paume placée ?
— Ah ! si on était trois…
Comme les petites lui tournaient le dos, le loup donna un coup de nez sur le carreau pour faire entendre qu’il était là. Laissant leurs jeux, elles vinrent à la fenêtre en se tenant par la main.
— Bonjour, dit le loup. Il ne fait pas chaud dehors. Ça pince, vous savez.
La plus blonde se mit à rire, parce qu’elle le trouvait drôle avec ces oreilles pointues et ce pinceau de poils hérissés sur le haut de la tête. Mais Delphine ne s’y trompa point. Elle murmura en serrant la main de la plus petite :
— C’est le loup.
— Le loup ? dit Marinette, alors on a peur ?
— Bien sûr, on a peur.
Tremblantes, les petites se prirent par le cou, mêlant leurs cheveux blonds et leurs chuchotements.
Le loup dut convenir qu’il n’avait rien vu d’aussi joli depuis le temps qu’il courait par bois et par plaines. Il en fut tout attendri.
— Mais qu’est-ce que j’ai ? pensait-il, voilà que je flageole sur mes pattes.
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