Les contes de Grimm Jakob et Wilhelm Grimm Les contes de Grimm Nouvelle édition, version intégrale Traduits de l’allemand par Frédéric Baudry
Préface du traducteur
Contes moraux
Les présents des gnomes
Blancheneige et Rougerose
La reine des abeilles
Le vieux grand-père et le petit-fils
Le fidèle Jean
Les deux compagnons en tournée
Le pêcheur et sa femme
Le fils ingrat
La gaspilleuse
Faute d’un clou
Jean le chanceux
Petites légendes pieuses
L’enfant de la Bonne Vierge
Les ducats tombés du ciel
Dieu nourrit les malheureux
Les trois rameaux verts
La pauvre vieille mère
Le festin céleste
Contes fantastiques et contes facétieux
L’homme à la peau d’ours
Les trois fileuses
Les trois cheveux d’or du diable
Tom Pouce
La table, l’âne et le bâton merveilleux
Les six compagnons qui viennent à bout de tout
Les nains magiques
I
II
III
Les trois héritiers chanceux
Les trois frères
Le fuseau, la navette et l’aiguille
La gardeuse d’oies près de la fontaine
L’ondine de l’étang
Petit frère et petite sœur
Le paysan dans le ciel
Le juif dans les épines
Le valeureux petit tailleur
Les vagabonds
Le jeune géant
Monsieur Pointu
Le lièvre et le hérisson
La tombe
L’ours et le roitelet
Les musiciens de la ville de Brême
Jakob et Wilhelm Grimm
Les contes de Grimm
Nouvelle édition, version intégrale
Traduits de l’allemand par Frédéric Baudry
Tout le monde sait que Charles Perrault n’a pas inventé les contes qui portent son nom, et qu’il n’a fait que les rédiger à sa manière. Les sujets qu’il a traités se transmettaient oralement de génération en génération, depuis le moyen âge. Ce qu’il avait fait pour la France à la fin du dix-septième siècle, les frères Grimm, ces Ducange de l’Allemagne, l’ont fait pour leur pays au commencement du dix-neuvième. Ils ont recueilli avec soin tous les contes, les légendes, les facéties, les apologues que la tradition avait conservés dans les campagnes allemandes. Mais Perrault, qui ne se proposait d’autre but que d’amuser ses petits-enfants, s’était permis sur le fonds légendaire des broderies galantes, conformes au goût de son temps, et inspirées par l’influence de l’Astrée. Les frères Grimm, qui voulaient faire une œuvre sérieuse d’érudition, ont traité leurs récits avec plus de discrétion et de respect. Autant que possible ils ont écrit purement et simplement ce qu’ils avaient entendu, sans rien modifier, sauf pour mettre, comme on dit, les choses sur leurs pieds, et en poussant le scrupule jusqu’à conserver le patois dans lequel chaque histoire leur était racontée.
Tel est en effet l’état où l’archéologie est parvenue de nos jours : heureusement descendue dans des régions où elle n’avait jamais pénétré au dix-septième siècle, elle étudie le passé dans ses moindres détails ; dialectes, légendes, traditions locales, chansons, elle ne dédaigne rien, car tous les matériaux ont leur valeur pour la construction de l’édifice historique. Les contes populaires tiennent dans ce genre de recherches une place importante à plus d’un égard. Déjà plusieurs d’entre eux ont une origine certaine, et on y peut constater les modifications que l’imagination de la foule a fait subir aux faits : témoin ce sire de Retz, terreur de la Bretagne au quinzième siècle, dont la légende a fait la Barbe-Bleue ; témoin encore l’ Ogre du Petit-Poucet, souvenir du nom même des Hongrois, dont les invasions épouvantèrent l’Occident.
Mais, si c’est intérêt historique se rencontre rarement, et si la plupart de ces contes ne sont que des produits de l’imagination pure, à ce point de vue encore il n’est pas moins curieux de les étudier, comme des monuments de l’état des esprits parmi les générations et dans les pays qui leur ont donné naissance. La langue populaire y a conservé tout son charme et toute sa naïveté. Dumarsais, qui allait chercher ses tropes à la halle, en eût trouvé de plus poétiques encore, s’il les avait poursuivis jusque dans les récits légendaires des campagnes.
La faculté de bien conter les légendes est un don qui n’appartient pas précisément aux plus spirituels, mais aux plus impressionnables et aux mieux doués du côté de la mémoire. C’est ordinairement chez des femmes de la campagne que cette aptitude se développe le mieux. Dans leur préface, les frères Grimm en décrivent un type remarquable :
« Nous avons eu le bonheur de connaître, au village de Niederzwehrn, près de Cassel, une paysanne à laquelle nous devons les plus beaux contes de notre second volume. C’était la femme d’un petit éleveur de bestiaux : elle était pleine encore de vigueur et n’avait guère plus de cinquante ans. Ses traits avaient quelque chose de net et d’arrêté, avec une expression agréable et intelligente ; ses grands yeux étaient clairs et perçants. Elle gardait parfaitement dans sa mémoire toutes les anciennes légendes, en avouant que cette faculté n’était pas donnée à tout le monde et que beaucoup de gens ne pouvaient pas les retenir. Elle les racontait posément, sans hésitation, avec une animation extraordinaire ; on voyait qu’elle y prenait un plaisir extrême ; quand on le lui demandait, elle répétait ses récits assez lentement pour qu’on pût les recueillir sous la dictée. Plusieurs de nos contes ont été conservés ainsi mot pour mot. Ceux qui croient que les traditions se perdent vite, et que la négligence qu’on met à les transmettre empêche qu’elles ne puissent jamais avoir une longue durée, auraient été bien détrompés s’ils avaient entendu notre conteuse, tant elle restait toujours dans les mêmes termes et veillait avec soin à leur exactitude ; jamais, en répétant un conte, elle n’y changeait rien, et, si elle s’était permis une variante, elle se reprenait aussitôt pour la corriger. Les hommes qui vivent toute leur vie de la même façon tiennent bien plus à la tradition que nous ne pouvons nous l’imaginer, nous qui changeons sans cesse. »
Si les frères Grimm, en composant cette collection, ont eu surtout l’érudition en vue, ils n’en ont pas moins réussi à faire un livre charmant, qui n’amuse pas seulement les petits enfants de leur pays. En effet, la littérature légendaire (il y a bien peu de temps qu’on s’en doute) a des mérites tout particuliers. Entièrement spontanée et naïve, elle ne contient aucune de ces prétentions personnelles, de ces exhibitions du moi artistique, de ces digressions philosophiques qui sont le fléau de la littérature de nos jours, et qui ont trouvé le moyen de se glisser jusque dans les contes pour l’enfance.
De plus, tandis que les actualités offrent toujours, par la force des choses, un mélange de bon et de mauvais où le mauvais l’emporte souvent, dans les légendes le choix est tout fait. La tradition a agi comme un crible, se délivrant de ce qui était insignifiant, et conservant seulement ce qui la frappait, ce qui éveillait à un titre quelconque l’attention de ces auditoires, dont le goût n’est pas bien épuré, il est vrai, mais aussi qui n’ont pas de complaisance. Elle a fait plus encore : elle a corrigé, poli, perfectionné ce qui était bon, jusqu’à ce qu’elle l’ait fait parvenir à un état aussi précis et aussi formulé que possible. Ceux qui examineront à fond, comme nous l’avons fait, les originaux de ces contes, seront étonnés de la perfection littéraire de leur composition. Tout y est habilement calculé et prévu ; les incidents sont amenés de longue main par des circonstances bien choisies ; le surnaturel même est, pour ainsi dire, introduit naturellement. On retrouve partout les caractères spéciaux de la poésie populaire, la symétrie, les antithèses, les répétitions dues parfois au calcul, souvent à une heureuse négligence ; quelquefois même des indications et des nuances d’une grande délicatesse ; partout enfin cette attention appliquées qui est l’esprit, comme on a dit que la patience est le génie. Par là cet art naïf des conteurs anonymes se rapproche de l’art raffiné des plus grands maîtres.
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