Au contraire, la plupart des élèves de classes privilégiées croient vraiment à ce que l’école dit d’elle-même, c’est-à-dire qu’elle ne fait que transmettre un savoir et les mêmes possibilités pour tous. Les élèves les plus brillants venant de classes moins privilégiées savent, eux, que les dés sont pipés.
Gérard Fourez —
Éduquer — Accès + — 1992
156. Après moi le déluge !
Peu m’importe ce qu’il va se passer (après ce que j’ai fait), même si c’est une catastrophe.
Le linguiste Alain Rey indique n’avoir trouvé pour cette expression aucune attestation antérieure à 1789. Elle est pourtant, selon les sources, associée quelques dizaines d’années auparavant soit à Louis XV, soit à sa favorite, M mede Pompadour. Il est donc étonnant de ne pas en trouver de trace écrite un peu avant, compte tenu de la notoriété de leurs auteurs présumés.
Bien entendu, le déluge fait référence non pas à une simple pluie diluvienne ou à une inondation banale, mais à la catastrophe biblique que fut le Déluge dont seul Noé sortit vivant avec sa famille et tous les couples d’animaux qu’il avait pu faire monter à bord de son arche. On prête cette expression à Louis XV qui, parlant de son Dauphin, l’aurait employée pour dire qu’il se moquait complètement de ce qu’il pourrait faire après sa disparition.
Mais on évoque plus souvent la Pompadour qui, devant le roi accablé d’avoir appris la défaite du maréchal de Soubise à Rossbach en 1757, lui aurait dit : « Il ne faut point s’affliger : vous tomberiez malade ; après nous le déluge ! »
Mais, malgré le manque d’attestation écrite plus ancienne, le linguiste Claude Duneton affirme que cette expression existait bien avant et qu’elle aurait été remise au goût du jour par l’astronome Maupertuis. Celui-ci avait annoncé le retour de la comète de Halley pour 1758, en prédisant qu’elle provoquerait un nouveau déluge, voire la fin du monde, ce qui aurait rendu certaines personnes très fatalistes et donc susceptibles de prononcer cette affirmation.
Après moi le déluge, et ce que deviendront ses autres collaborateurs, je m’en contrefous. Mais je ne veux pas me trouver le bec dans l’eau à quarante-deux ans, après avoir scié la bonne branche sur laquelle j’étais assis !
Michel de Saint-Pierre —
Le milliardaire — Grasset — 1970
Tentation de la chair qui s’empare des êtres humains vers le milieu de leur vie.
C’est vers la quarantaine, voire la cinquantaine, que s’éveille principalement chez les hommes (mais la femme n’est nullement à l’abri) la tentation, provoquée par le « démon de midi », d’aller tester son pouvoir sexuel ailleurs qu’à la maison, souvent au même moment de l’existence où ils s’interrogent sur l’utilité et la réussite de leur vie, sur leur capacité à séduire encore, doutes accompagnés de divers autres tourments psychologiques. Ce démon-là serait d’abord né d’une erreur de traduction de la Bible, de l’hébreu vers le grec, par les Septante [27] Les soixante-dix interprètes qui, sous Ptolémée Philadelphe, roi d’Égypte, se sont attelés à la tâche de traduction des livres de l’Ancien Testament.
qui, dans un psaume évoquant les fléaux capables de frapper les hommes en pleine nuit et ceux frappant en plein midi, auraient confondu shêd (démon) et yâshûd (qui dévaste). Cette erreur, reconduite dans la Vulgate [28] Version latine de la Bible adoptée par le concile de Trente au XVI e siècle.
y est devenue daemonius meridianus, le « démon » ou « diable méridien ».
Cette formule n’avait à l’origine aucun lien avec le péché de chair. Mais vers la fin du XVII esiècle, le démon allait devenir la personnification d’une mauvaise tentation (comme dans « le démon du jeu » ou « le démon de la chair »). Le remplacement dans les esprits du milieu de la journée par le milieu de la vie (« midi » de la vie), associé à l’idée du milieu du corps, siège de l’activité sexuelle, a probablement donné lieu à un nouveau sens de l’expression biblique.
Les vedettes qui disjonctent, on a l’habitude à Hollywood : Tiger Woods, Alec Baldwin, Britney Spears… Mais Mel Gibson ? Le père de famille modèle, Mad Max le jour, papa poule le soir […], catholique pratiquant assistant à une messe en latin tous les dimanches, dans une chapelle construite sur sa propriété de Malibu. Las, tous les Pater et les Ave n’ont rien pu faire contre le démon de midi.
Le Point — Article du 22 juillet 2010
1. Avec un grand appétit.
2. Avec beaucoup d’ardeur.
Cette expression date des alentours du XV esiècle. Le qualificatif « belle » doit être ici compris comme « grand » ou « gros », comme on le trouve, par exemple, dans une belle somme, un beau poulet. Elle est parente de l’expression « déchirer quelqu’un à belles dents », qui signifiait « dire des choses très féroces sur quelqu’un ». Le lien avec les crocs (ou les belles dents) d’un animal féroce est évident, cet animal déchirant sa proie à grands coups de crocs avec beaucoup d’ardeur, comme s’il avait un grand appétit. On peut l’opposer à « manger du bout des dents », qui sert à désigner celui qui, au contraire, mange peu ou peu volontiers.
Je dis qu’elle m’a mordu à belles dents, comme vous voyez. Je dis qu’elle ne voulait pas me lâcher.
Alexandre Dumas —
Les mille et un fantômes — 1849
159. Avoir une dent contre quelqu’un
En vouloir à quelqu’un.
Il faut remonter au XIV esiècle pour trouver les premiers usages de cette expression. À l’époque, on disait plutôt « avoir la dent (les dents) à (sur) quelqu’un ». Nul doute qu’à l’époque, les individus devaient facilement avoir une dent contre les arracheurs de chicots qui sévissaient sans vergogne, à la tenaille et sans anesthésie. Lorsque, dans cette ancienne forme de l’expression, on remplaçait la personne par une chose, la locution signifiait alors « être passionné par », « convoiter ardemment » ou « s’acharner sur ».
Mais pourquoi une dent ? Pour le comprendre, il faut savoir qu’à partir du XIV esiècle, le mot « dent », au sens figuré, exprimait l’agressivité ou la malveillance. On en imagine aisément la raison : non seulement la dent est à la fois un symbole de dureté et de morsure, mais l’animal qui « montre ses dents » a un comportement agressif. Ne disait-on point, d’ailleurs, ne faire apparaître aucune dent pour « ne montrer aucune agressivité » ? À la même époque, une dent de lait était une rancune, une animosité de longue date. C’est pourquoi, un peu plus tard, on retrouve chez Molière, dans le Bourgeois gentilhomme , l’expression « avoir une dent de lait contre quelqu’un ». Toutefois, rien ne dit pourquoi on a glissé de « la dent » ou « les dents », articles définis, à « une dent », article indéfini.
D’abord, mon vieux, on peut avoir une dent contre quelqu’un même s’il ne vous a fait aucun mal.
Miguel de Unamuno —
Abel Sánchez : une histoire de passion — 1917
160. Mentir comme un arracheur de dents
Mentir effrontément.
De nos jours, lorsque vous allez vous faire arracher une ou plusieurs dents, le dentiste ne se pose plus de questions : il anesthésie automatiquement la cible de l’extraction avant de procéder à l’opération. Pour votre plus grand bien, car, à moins d’être profondément masochiste, vous n’aimez pas souffrir inutilement.
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