Le canon de beauté correspond aux normes esthétiques de chaque époque. En revanche, le rapport avec l’âge canonique est moins évident. Ici, l’adjectif signifie précisément « conforme aux canons de l’Église » : l’âge canonique, c’était l’âge requis pour exercer certaines fonctions dans l’Église, notamment celle de domestique féminin. La bonne du curé ne devait pas tenter son employeur et le faire déroger à la règle du célibat. On décida (c’était du droit canon ) qu’elle aurait au moins quarante ans, âge de la maturité, au-delà duquel les plaisirs de la chair étaient, en ces temps éloignés où la vie était brève, moins tentants.
Heureusement, aujourd’hui, on peut être canon jusqu’à un âge avancé, et l’expression âge canonique est le plus souvent employée pour parler d’une personne très âgée, sans plus de prêtre à tenter.
Le mot de Stéphane De Groodt
Avoir un âge canonique c’est avoir un âge où l’on se sent beau et bien dans sa peau. Où les canons de la beauté extérieure et intérieure sont en osmose parfaite. C’est être épanoui, voire épanouix pour ceux qui ont un âge canonix…
parler à un groupe sans s’adresser précisément à quelqu’un
Où est-elle, cette cantonade ? Nous savons par l’usage que l’expression signifie « parler tout haut », sans interlocuteur précis ou visible. Le mot cantonade est devenu obscur. Pourtant, ces cantonades existent toujours, mais elles ont perdu leur nom.
Venu au XV esiècle du provençal cantonada « angle », le mot désigne d’abord un « petit coin », coin de maison ou coin de rue. Le mot a la même origine que canton, qui, avant de désigner une division administrative ou politique, avait lui-même le sens de « coin, quartier ». De ce petit coin nous reste également le verbe (se) cantonner : demeurer dans un même endroit limité.
Le mot s’est spécialisé à la fin du XVII esiècle dans la langue du théâtre : située sur les côtés de la scène, la cantonade fut l’endroit où les spectateurs les plus aisés pouvaient s’asseoir pour assister au spectacle en privilégiés. Avec l’évolution de la société et de la mise en scène, l’endroit, invisible de la salle, servit à ranger des décors ou des costumes. La cantonade fut une sorte d’annexe des coulisses, quand les spectateurs furent conviés à regagner le parterre et les balcons. À la cantonade est alors une indication scénique demandant au comédien de parler en direction des coulisses pour s’adresser à un personnage absent de scène.
Puis l’expression s’est émancipée du contexte théâtral : elle fait référence à une parole prononcée tout haut, qui ne semble destinée à personne, mais qui, comme pour le public de jadis, s’adresse en réalité à tout le monde. Et même si nos contemporains s’égosillent sur leurs téléphones portables, on ne dira pas qu’ils parlent à la cantonade, puisque, lorsqu’ils sont sains d’esprit, on suppose qu’ils ont un interlocuteur.
À titre d’exemple
« La patronne du café parut à la porte de l’arrière-salle réservée aux réunions, et cria, à la cantonade : “On demande Thibault au téléphone”. »
Roger Martin du Gard,
Les Thibault, L’Été 14, 1936.
des pieds à la tête
La formule de pied en cap est victime d’une erreur fréquente : certains écrivent cap comme son homonyme cape, le vêtement sans manche qui enveloppe le corps et les bras. Il faut dire, à leur décharge, que le cap de l’expression n’est plus compris.
Cap « tête » vient, par l’intermédiaire du provençal, du latin caput, capitis, de même sens, qui a enrichi notre vocabulaire : décapiter fait perdre la tête, le capitaine est à la tête, la peine capitale coûte la tête, celui qui est précipité tombe la tête en avant, le vin capiteux monte à la tête. On disait se trouver cap à cap avec quelqu’un lorsqu’on le rencontrait en tête à tête. De pied en cap, c’est donc tout simplement « des pieds à la tête », puis « complètement ».
En ce sens, le mot n’a pas fait fortune : la langue lui a préféré chef (également issu du latin caput ), qui fut lui-même évincé par tête et dont il ne reste que quelques vestiges en ce sens, couvre-chef ou branler du chef. Cap s’est en revanche implanté dans les domaines géographiques et maritimes : depuis la fin du XIV esiècle, on l’emploie pour désigner une pointe de terre qui s’avance dans la mer puis la direction d’un navire, avec les divers emplois figurés qui en découlent, comme garder le cap .
L’expression de pied en cap est tout ce qui reste du sens originel de cap . Et même si les deux mots n’ont rien à voir, rien de tel que s’enrouler dans une cape pour se couvrir des babouches au tarbouche, comme on dit au Liban.
Le mot de Stéphane De Groodt
Les mots de cette expression ont été inversés à la suite d’une erreur de retranscription. Le typographe avait mauvais caractère. Bien connue des cinéphiles, elle désigne un genre cinématographique particulier. Jean Marais, Gérard Depardieu font partie de ces héros de films « de cap et des pieds ».
Rabattre, rabaisser le caquetà quelqu’un
obliger quelqu’un à se taire, le remettre à sa place
Il est des assemblées, des réunions au cours desquelles quelqu’un prend la parole avec trop d’assurance, si bien qu’on brûle de le remettre à sa place et de le faire taire. On s’emploiera à lui rabattre le caquet .
L’expression signale que l’intéressé présente deux défauts en un mot. D’une part, prétention et vanité. De l’autre, bavardage. Ces jacasseries suffisantes rappellent les poules et leur caquetage. Caquet évoque les cris de la volaille qui va pondre et, généralement, les piaillements d’oiseaux, la musique discordante des basse-cours.
Des cris d’oiseaux, on est passé aux paroles sans contenu, faisant écrire à Furetière : « Les femmes parlent beaucoup, mais elles n’ont que du caquet ». Car l’antiféminisme cherche dans le langage même les occasions de sévir. Caquet bon bec désignait donc une commère bavarde et La Fontaine en a fait le surnom de la pie. La formule caquet bon bec, la poule à ma tante évoquait un flux de paroles intarissable. En français du Canada, une personne abattue par une déception ou une mauvaise nouvelle a le caquet bas .
Celui à qui l’on rabat le caquet est donc assimilé à un volatile de basse-cour : comme les poules, les oies et les canes (les mâles sont exemptés), il caquète et cancane. Pourtant, par sa vantardise, il évoque aussi le coq et sa fierté. Il existait d’ailleurs une expression française qui, mot pour mot, existe encore en italien : rabaisser la crête à quelqu’un .
Quand des gens s’assemblent, leur réunion peut prendre vite des allures de poulailler : chacun donne de la voix pour faire l’intéressant. Rien de tel pour lui rabattre le caquet que de lui clouer le bec !
À titre d’exemple
« Ouais ! vous êtes un grand docteur, à ce que je vois, et je voudrais bien qu’il y eût ici quelqu’un de ces messieurs, pour rembarrer vos raisonnements et rabaisser votre caquet. »
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