d) Cette fois-ci, aucun rapport n’était parvenu des colonies extraterrestres.
e) Canton et la Mandchourie ne faisaient état d’aucune attaque récente. Ou, plus précisément, aucun rapport en ce sens n’était parvenu à Vicksburg, Texas.
f) Pour autant que je pouvais en juger par rapport à la liste que j’avais dressée, les terroristes avaient frappé l’ensemble des autres Etats. Mais il me manquait quand même certains éléments. Certaines des « nations » groupées sous la bannière très large de l’O.N.U. ne donnent de leurs nouvelles qu’à chaque éclipse totale du soleil. J’ignorais ce qui s’était produit au pays de Galles, dans les îles de la Manche, au Swaziland, au Népal ou dans l’île du Prince-Charles, encore que je ne voie pas quelle importance cela pouvait avoir ni comment des humains peuvent vivre dans des coins pareils. Il faut compter au moins trois cents Etats prétendument souverains comme n’existant que pour les secours et l’entraide, ce qui, en termes de géopolitique, n’a qu’une importance très mineure. Mais les terroristes avaient frappé dans tous les Etats importants. Et tous les bulletins d’informations avaient rapporté cette seconde vague lorsqu’ils n’étaient pas totalement censurés.
g) Dans la plupart des cas, les actions avaient échoué. La différence évidente entre les deux vagues de tueries était là. Dix jours auparavant, la plupart des assassins avaient abattu les victimes désignées et avaient réussi à s’enfuir en majorité. Cette fois-ci, le contraire s’était apparemment produit un grand nombre de victimes avaient échappé à la mort, beaucoup d’assassins avaient été tués, quelques-uns capturés et très peu avaient réussi à disparaître.
Ce qui eut pour résultat de chasser une pensée qui m’obsédait depuis quelque temps : le Patron n’était pas derrière ces vagues de meurtres.
Comment j’en étais arrivée à cette conclusion ? En constatant que la deuxième vague avait été un désastre pour quiconque l’avait déclenchée.
Les agents de combat, même les soldats ordinaires, coûtent cher et on ne les gaspille pas comme ça. Un assassin dûment entraîné revient au moins dix fois plus cher qu’un soldat. En principe, il ne doit pas être tué. Mon Dieu, non ! On attend de moi que je tue la première et que je m’en tire sans me faire pincer.
Celui qui avait orchestré tout ça avait tout perdu en l’espace d’une nuit.
Ce n’était pas un professionnel.
Donc, ce ne pouvait être le Patron.
Mais je n’avais aucun moyen de deviner qui pouvait être à la base de ce gymkhana de mort parce que j’ignorais à qui il avait pu bénéficier. Ma première idée – l’une des nations corporatives avait payé pour toute cette opération – ne me semblait plus tellement valable. Je ne voyais pas comment Interworld, par exemple, l’une des plus importantes, aurait pu se passer des meilleurs parmi les professionnels.
Mais il était encore plus difficile d’imaginer qu’une des nations territoriales ait pu concevoir un plan de conquête mondiale aussi grotesque.
En ce qui concernait les groupements de fanatiques, tels que les Anges du Seigneur ou les Stimulateurs, l’entreprise semblait nettement au-dessus de leurs moyens. Pourtant, toute cette affaire avait un relent de fanatisme. Elle n’avait rien de rationnel ni de pragmatique.
Nulle part dans les étoiles il n’est inscrit que je doive toujours comprendre ce qui se passe, et croyez bien que cela m’ennuie profondément.
Au lendemain de cette seconde vague, la ville basse de Vicksburg bourdonnait d’excitation. Je venais à peine d’entrer dans un bar pour échanger quelques mots avec la patronne, quand un petit type est venu s’installer à côté de moi et m’a murmuré :
— Rachel a un message pour vous. Elle engage tout le monde aujourd’hui. Elle m’a chargé de vous le dire personnellement.
— De la merde ! ai-je dit avec courtoisie. Rachel ne me connaît pas et j’ignorais son existence jusqu’à cette seconde.
— Parole de scout !
— Scout mon cul !
— Ecoutez, chef. Je n’ai pas de quoi bouffer aujourd’hui. Vous n’avez qu’à me suivre. C’est juste de l’autre côté de la rue. Et vous n’êtes même pas obligée de signer.
Il était effectivement plutôt maigre, mais il avait sans doute atteint cette phase pénible de l’adolescence où les glandes commencent à vous tourmenter brusquement. De toute manière, il était rare de voir les gens mourir de faim dans la ville basse. Ils pouvaient mourir de tout plutôt que de ça.
— Fous le camp, merdeux ! a aboyé le barman. Ne viens pas casser les pieds aux clients ! Tu veux vraiment que je te brise le pouce ?
— Laisse tomber, Fred, ai-je dit. A plus tard ! (J’ai posé un billet sur le bar et j’ai ajouté, sans attendre la monnaie :) Viens, petit !
Le bureau de recrutement de Rachel n’était pas exactement de l’autre côté de la rue mais à plusieurs centaines de mètres de flaques de boue, et j’ai dû repousser les assauts de deux autres recruteurs avant d’arriver. Je n’avais pas l’intention de faire perdre son pourboire au petit.
Le sergent recruteur me rappela la vieille chèvre des toilettes du palais de San José. Elle me toisa et déclara :
— Pas de gousses ici, pétasse. Mais je peux t’offrir un verre quand même.
— Payez plutôt votre coursier.
— Pourquoi ? Léonard, je te l’ai dit combien de fois ? J’ai horreur des flemmards. Alors, casse-toi et fais ton boulot.
Je lui ai bloqué le poignet gauche. Le couteau est apparu tout doucement dans sa main droite. Je l’ai pris et je l’ai planté dans le bureau, devant elle, tout en assurant un peu plus fort ma prise sur son poignet.
— Et maintenant, vous le payez ou je vous casse ce doigt-là ?
— Doucement. (Elle ne faisait pas un mouvement pour se défendre.) Tiens, Léonard.
Elle prit deux unités texanes dans un tiroir. Il s’en empara et disparut.
J’ai relâché ma pression.
— C’est tout ce que vous lui donnez ? Avec tous les recruteurs qu’il y a aujourd’hui ?
— Quand vous aurez signé. Parce que moi, je ne suis pas payée avant la livraison. Et on peut me rabattre ma part comme ça… Maintenant, ça ne vous ferait rien de me lâcher le doigt ? Il faut que je remplisse vos papiers.
J’ai bien voulu lui rendre ce service, mais aussitôt la lame s’est retrouvée dans sa main, pointée droit sur moi. Je l’ai cassée avant de la lui rendre.
— Ne recommencez pas ça. Je vous en prie. Et changez de matériel. Ça n’est pas du Solingen pur.
— Ma chérie, je vais déduire le prix de ce couteau de votre solde, a-t-elle déclaré, imperturbable. Depuis la seconde où vous avez passé ce seuil, un rayon est braqué sur vous. Vous voulez qu’on le déclenche ? Ou bien est-ce que nous cessons ce petit jeu ?
Je ne l’ai pas crue un instant mais elle m’intéressait.
— D’accord, on arrête de jouer, sergent. Quelle proposition avez-vous donc à me faire ? Votre coursier ne m’a rien dit.
— Le tarif de la guilde. Les primes. Nourrie, logée. Quatre-vingt-dix jours plus une option pour redoubler. Garantie cinquante-cinquante entre vous et la société.
— Les recruteurs dans toute cette ville offrent le tarif de la guilde plus cinquante.
(Je disais ça à tout hasard pour détendre un peu l’atmosphère.)
Elle a haussé les épaules.
— Si c’est le cas, nous nous alignerons sur eux. Quelles sont les armes que vous connaissez ? Nous ne passons pas de contrat avec les novices. Pas cette fois, en tout cas.
— Je crois bien que je pourrais vous donner des leçons sur toutes celles qui existent. Mais ça va se passer où ? Et avec qui, d’abord ?
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