Caryl Férey - Condor

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Condor: краткое содержание, описание и аннотация

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Condor Condor Condor Caryl Férey vit à Paris. Après s'être aventuré en Nouvelle-Zélande avec sa « saga maorie » (
et
), en Afrique du Sud avec
(récompensé entre autres par le
en 2008 et adapté au cinéma en 2013) puis en Argentine avec
, il nous entraîne avec
dans une exploration sombre du Chili, dans une course-poursuite sanglante transfigurée par l'amour. Le nouveau roman de Caryl Férey nous fait voyager et frémir autant que réfléchir et nous rappelle, s'il le fallait, que l'auteur s'est imposé comme le maître du thriller des grands espaces et de l'ailleurs.

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Ali MacGraw et Steve McQueen se voyaient expulsés dans une carrière parmi les ordures compressées d’un camion-poubelle, quand la porte de bois grinça, laissant jaillir le jour.

— Mon père ! lança sœur María Inés en cherchant parmi les spectateurs. Mon père !

María Inés était accompagnée de sœur Donata, son ombre, le visage rougi après leur course d’octogénaires. Stefano suspendit la projection tandis que Patricio se dressait.

— Qu’est-ce qui se passe ?

Les sœurs reprirent leur souffle, le monde au bout de la langue.

— Tu… Vous devriez venir.

* * *

Un cheval d’un blanc douteux broutait les racines du terrain vague, la crinière secouée de tics, insensible à l’attroupement qui s’était créé un peu plus loin. Une centaine d’hommes et de femmes se pressaient, curieux attirés par les sirènes, voisins, témoins potentiels et policiers confondus ; seule la tête de Popper dépassait de la mêlée.

— Reculez ! Reculez !!

Alessandro Popper tentait de repousser la foule mais ce matin le chef des carabiniers ne faisait peur à personne : on serrait les rangs, penché vers le sol où gisait la nouvelle victime. L’info s’était répandue comme une traînée de poudre dans la población , des gens affluaient encore. Le capitaine Popper jaugea les forces en présence — Sanchez et deux auxiliaires, face à une vague humaine qui allait grossissant. Le carabinier glissa un mot à son second, qui fila vers la voiture garée en bordure du terrain vague pour demander du renfort. Ses hommes avaient toutes les peines du monde à contenir la foule ; Popper fit rempart de ses cent kilos pour protéger le corps à terre.

— Reculez, nom de Dieu ! ordonna-t-il d’une voix tonitruante. Reculez !

Mais les gens n’avaient que de l’amertume à la bouche, des insultes à l’encontre de la police qui ne faisait rien pour protéger les jeunes de La Victoria.

— Vous attendez quoi, qu’ils crèvent tous ?!

— C’est le quatrième depuis mardi, putain de merde !

— Vous savez l’âge qu’il a ?!

— Un jeune tout ce qu’il y a de poli ! assurait une vieille en fichu.

Les esprits s’échauffaient, blocs de vie opposés au destin qui frappait la jeunesse, prêts à chasser les pacos d’un territoire dont ils se fichaient. Popper ne fléchit pas, mais à cinquante contre un, ils seraient vite submergés. Les têtes se tournèrent alors vers la camionnette vermoulue qui venait de se garer près du véhicule de police.

Rare autorité morale dans le quartier, le père Patricio fendit la foule excitée, accompagné d’un sexagénaire à demi claudicant et d’une Indienne à la robe coquelicot.

— Où est-il ? demanda Patricio après avoir brièvement salué le chef des carabiniers.

Le corps gisait dans le dos de Popper qui, sous les regards haineux, laissa le vieil homme approcher. La victime portait des habits bon marché, une veste de survêtement à capuche et des tennis fatiguées ; Patricio eut un regard de compassion en se penchant vers le cadavre, puis il découvrit ses traits d’adolescent et son cœur se figea… Enrique : les sœurs avaient parlé d’un nouveau jeune retrouvé sans vie, pas du fils de Cristián.

— Mon Dieu, souffla Gabriela à ses côtés.

Le fils du rédacteur de Señal 3 était étendu là, subjugué par la mort, les yeux ouverts sur le ciel gris qu’ils ne voyaient plus. Enrique et son fusil en bois, Enrique et ses figurines d’animaux qu’il disséminait partout dans la maison : des bouts d’enfance sautaient au visage de l’étudiante. Le choc la cloua à la portion de terrain vague mais l’heure n’était pas au recueillement ; déjà les voix se ravivaient. Les familles prenaient le curé à témoin, répétaient que c’était le quatrième décès inexpliqué en moins d’une semaine, qu’ils venaient de laisser un message sur le portable de Cristián, qu’aucun père ne méritait ça, surtout pas lui qui avait déjà perdu sa femme.

— Calmez-vous ! tempérait Patricio au milieu de la confusion. Je vous en prie, calmez-vous !

Les carabiniers avaient empoigné leur matraque, protégeant la dépouille du gamin à terre. Stefano sentit que les choses allaient mal tourner : la foule devenait menaçante, certains regards franchement hostiles, comme si la rage accumulée depuis des années remontait du cloaque. Gabriela ravala sa salive, pâle souvenir de son petit déjeuner, ouvrit discrètement son sac en vinyle et déclencha sa GoPro.

— Calmez-vous ! exhorta le curé du quartier. S’il vous plaît, écoutez-moi ! Écoutez-moi !

Patricio agitait ses bras maigres mais la multitude n’avait plus d’oreilles : les plus virulents secouèrent la voiture des carabiniers, arrachèrent antenne et gyrophare, bourrèrent les portières de coups de pied dans un flot d’injures, vite reprises par les gorges déployées. Qu’on connaisse ou non Enrique n’était plus la question, c’était le mort de trop. Encouragés par le nombre, des jeunes commencèrent à ramasser des pierres. Popper lut la panique dans le regard de ses hommes — ils allaient se faire lyncher si ça continuait. On fracassait les phares de la Toyota à coups de bâton, un vent de révolte soufflait et l’avenue restait désespérément vide. Le père Patricio se posta devant les carabiniers mais les premiers crachats fusèrent par-dessus son épaule. Popper reçut de la salive sur le col de son uniforme, garda son sang-froid face aux émeutiers.

— Vous piétinez la scène ! les invectiva-t-il. Comment voulez-vous qu’on mène une enquête si vous salopez tout ?!

Certains avaient des cailloux à la main, le regard de ceux qui allaient les lancer.

— Lâchez ces pierres ! fit Popper en brandissant sa matraque. Lâchez ça tout de suite !

Ses hommes étaient morts de trouille. Qu’un seul empoigne son arme de service et c’était le carnage. Quelques gouttes d’eau tombèrent du ciel, ajoutant au décor. Le chef des carabiniers aperçut enfin le camion blindé qui déboulait de l’avenue.

La section antiémeute accourue en renfort n’eut pas le temps d’activer les canons à eau : déjà les premières pierres volaient sur le pare-brise grillagé, ricochant plus fort à mesure que le camion fondait sur eux. Les femmes s’éparpillèrent les premières, abandonnant une arrière-garde de jeunes adultes bien décidés à se battre. Une pluie de cailloux rebondit sur le blindage, piqûres inoffensives pour le monstre d’acier.

— Reculez ! Reculez !

Popper poussa ses hommes vers l’arrière : leurs collègues allaient bientôt tirer. De fait, un jet de gaz lacrymogène aspergea les civils, qui se dispersèrent en les couvrant d’insultes. Une odeur âcre serra la gorge de Stefano : il saisit le bras du prêtre, hébété au milieu du chaos.

— Il ne faut pas rester là…

Les soldats jaillissaient du camion blindé, masques à gaz sur le visage, protégés par des boucliers de Plexiglas, prêts à charger la foule. La mort de l’adolescent virait à l’émeute : Patricio se laissa entraîner par Stefano, qui se retourna vers le champ de bataille.

— Gabriela, putain, qu’est-ce que tu fous ?!

Elle ne filmait pas la scène d’émeute mais le cadavre d’Enrique, en gros plan…

3

Edwards guettait l’entrée du bar dans un état de confusion extrême, pas seulement à cause de la mallette rangée sous la table… Bon Dieu, il savait qu’il ne devait pas faire des choses pareilles, c’était tirer la queue du diable, s’exposer au boomerang : c’était surtout plus fort que lui.

Certains fouillent les messageries de leur conjoint, leur portable, dans leurs poches ou les tiroirs de leur bureau, ce matin Edwards avait fouillé la machine à laver où s’entassait le linge sale. Un doute, ou un manque de confiance en lui qui s’était transformé en soupçon. Levé comme souvent le premier, il avait extirpé les sous-vêtements que sa femme portait la veille et inspecté le fond de sa culotte. Son cœur avait pompé du verre pilé en découvrant les traces blanchâtres. Des traces sans équivoque : du sperme. La semence d’un autre, qui avait reflué quand Vera s’était rhabillée à la va-vite.

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