Justement, il ordonna :
— Viens me sucer, salope.
Regard vitreux, bouche tremblante, le sang lui pissait littéralement du blanc des yeux. Gaëlle sentit la peur lui dévorer l’estomac. D’un geste, elle exhiba sa vulve imberbe et gonflée.
— Et si on inversait les rôles ? ricana-t-elle. All you can eat , mon salaud.
Il lui balança une gifle et l’envoya valdinguer sur le lit. En grognant, il l’immobilisa sur le dos et lui arracha sa culotte, lui écartant les cuisses comme pour un échauffement des petits rats de l’Opéra.
— Sale pute blanche, rugit-il, tu vas goûter mon sida…
Il la pénétra avec violence et s’arrêta net, semblant s’étouffer avec son propre cri. Des deux pieds, elle le repoussa de toutes ses forces. Mumbanza rebondit contre le mur, sa tête heurtant l’écran plasma suspendu. Il beuglait maintenant comme un porc qu’on égorge, les deux mains plaquées sur son entrejambe. Déjà, les gardes du corps cognaient à la porte.
Quelques secondes .
Gaëlle courut dans la salle de bains, enfila ses gants de chirurgien et, de retour dans la chambre, saisit sur le fauteuil le calibre de Mumbanza qui se tordait toujours à terre, la bite en sang. En une fraction de seconde, absurdement, elle mémorisa les initiales de l’arme : HK USP.
Les cerbères tentaient maintenant d’enfoncer la porte — vlam, vlam, vlam ! Encore quelques coups d’épaule et le verrou sauterait. Elle ôta le cran de sécurité du 9 mm, fit monter une balle dans la chambre — depuis septembre dernier, elle avait appris à manier ce genre de flingues — et se précipita vers la porte qui vibrait sur ses gonds à chaque poussée. Postée à gauche du châssis, elle tendit sa main libre et déverrouilla la serrure.
Les deux Luba se ruèrent dans la pièce, arme au poing, manquant de trébucher contre la table basse. Elle fit feu dans la tête du premier. Le temps que le second se retourne, elle lui tira une balle en plein visage. Tout s’arrêta — ou du moins c’est ce qu’il lui sembla. Trou noir dans le temps et l’espace.
Elle se reprit et évalua les dégâts. Deux géants en costume impeccable, magma de crânes ouverts et de morceaux de cervelle, empêtrés au pied d’un couvre-lit à fleurs, parmi des coupes brisées et des glaçons éparpillés. Au fond de la pièce, Mumbanza se traînait contre le mur façon limace.
Elle balança le HK USP sur le lit, se plaça à califourchon sur le Luba le plus proche du général. De ses deux mains gantées, elle saisit les doigts du mort toujours serrés sur son arme. Elle leva le bras inerte, vérifia que le calibre était armé, cran de sécurité baissé, et glissa son index dans le pontet. L’odeur de poudre et de sang l’enivrait comme un sniff de coke.
Mumbanza l’implorait de ses yeux rouges. Il se tordait comme un monstrueux ver coupé en deux, un rictus incrédule sur ses traits luisants de sueur.
Elle sourit et murmura, le canon braqué sur lui :
— Je suis la fille de Morvan, connard…
L’expression de stupeur sur sa face de fonte : elle la garderait en mémoire comme on conserve un précieux talisman. Elle appuya sur la détente. La première fois pour lui faire sauter la bite. La deuxième pour lui exploser le cœur. La dernière pour le défigurer. Elle laissa retomber la main du cadavre, récupéra le HK sur le lit, le plaça dans la paume du général et tira une nouvelle fois sans viser — des résidus de poudre brûlée sur les doigts du Congolais attesteraient que c’était lui qui avait fait feu, par trois fois.
Elle bondit dans la salle de bains, lava son visage éclaboussé de sang, enfila sa robe noire sans zip ni agrafe — elle avait prévu le coup —, récupéra ses affaires et se précipita dans le couloir tout en arrachant ses gants.
Personne. Il régnait encore entre ces murs un silence stupéfait. Elle gagna l’escalier de service, dévala les deux étages. Elle savait qu’aucune caméra ne l’avait filmée. Que la scène de crime évoquerait un règlement de comptes entre maître et esclaves. Qu’on ne pourrait pas la soupçonner, elle, plus qu’un autre dans ce palace.
Plutôt moins, même.
Au deuxième, on commençait à s’agiter. Elle fit mine de paniquer elle aussi. Des clients s’interrogeaient sur leur seuil, des garçons d’étage couraient. Elle regagna sa chambre sans attirer le moindre coup d’œil. Une foule effrayée regarde partout à la fois mais ne voit rien en particulier.
Elle referma sa porte avec son dos et attendit que son cœur reparte. Elle avait toujours le bouchon de champagne entre les cuisses. Elle n’avait plus qu’à prier pour ne pas avoir chopé le virus.
Le retour à Paris avait viré au cauchemar.
Ce genre de rêves où tout se précipite et où on est impuissant à endiguer quoi que ce soit. Aux arrivées d’Orly, Tonfa, la mine décavée, porteur d’une nouvelle sidérante : à Louveciennes, au 82, rue des Domaines, il avait découvert le cadavre d’Audrey Wienawski. Gorge ouverte, yeux crevés. Sans doute surprise dans la nuit par l’habitant de la villa. Elle n’avait même pas eu le temps de dégainer — son Glock avait d’ailleurs disparu.
Erwan n’avait plus rien entendu du trajet. Ni le deux-tons hurlant, ni les commentaires débités à bout de souffle par son collègue, ni les appels qui fusaient de la hiérarchie. Au fond de son crâne palpitait cette unique vérité : c’était lui, et lui seul, qui avait envoyé Audrey au casse-pipe. Il l’avait exposée au danger dans le cadre d’une mission illégale. Pire encore, il s’était trouvé, aux mêmes heures, à quelques bornes de la villa. S’il l’avait rejointe, aurait-il pu la sauver ?
La demeure d’Isabelle Barraire s’ouvrait de plain-pied au fond d’un parc mal entretenu, aux côtés d’un étang. Une bâtisse en longueur qui semblait posée sur la pelouse comme une immense caravane. Elle en avait la couleur — blanc cassé — et l’aspect précaire. Malgré tout, l’architecture style Trianon persistait : un seul étage, une toiture plate cernée par une balustrade à l’italienne. La façade était fissurée d’un bout à l’autre et le lierre s’était invité autour des fenêtres, prêt à ronger tout ce qui lui passerait sous les racines.
— On a touché à rien, avertit Tonfa en empruntant l’allée déjà encombrée de véhicules de police. On attend la substitute. Riboise est aussi prévenu.
Ils se garèrent sur les pelouses et finirent à pied : le périmètre de sécurité couvrait un rayon de cinquante mètres autour du bâtiment. Les lumières au xénon des gyros pulsaient sous les arbres avec la régularité lancinante d’un rythme cardiaque. Éclaboussée par ces éclairs, la chorégraphie des techniciens scientifiques en combinaison blanche s’imprimait sur la rétine alors que les autres uniformes se fondaient dans le décor.
Erwan aperçut Levantin, le coordinateur de l’IJ, qui s’affairait sous sa capuche de papier. D’autres gueules connues. Flics du 36, bricards, croque-morts des Pompes funèbres générales. La ronde de nuit familière.
— On a qu’une certitude, dit Tonfa avant qu’ils n’entrent dans la maison, quelqu’un vivait ici.
— Isabelle Barraire ?
— Non. Plutôt un squatteur.
Audrey surprenant un vagabond qui lui aurait tranché la gorge ? Ça ne tenait pas debout. Elle venait elle-même du pavé et tenait ses réflexes de la rue. Jamais elle n’aurait été prise au dépourvu. En outre, une telle coïncidence, dans la maison même d’une suspecte, était de l’ordre de l’impossible.
Ils enfilèrent des surchaussures et des gants de latex dans le vestibule puis s’engagèrent dans le couloir principal : des croix de rubalise barraient chaque châssis de porte, les lustres, lampes et autres abat-jour projetaient une lumière crue sur un décor vieillot et poussiéreux. Un mobilier pseudo-Louis XV de piètre qualité, des moulures et des lambris écaillés, des tapis et des rideaux élimés. L’ensemble confirmait l’impression de l’extérieur : un lieu vétuste et négligé. Ni habité ni abandonné.
Читать дальше