— Les agences sont équipées de caméras ?
— Pas toutes, ça dépend lesquelles, mais dans le bureau où se trouve le coffre, en général, oui.
— Que fait le chauffeur pendant ce temps-là ?
— Il attend. Il regarde s’il n’y a pas de mouvement dans la rue. Si ça dure, il appelle le convoyeur. S’il ne répond pas, il donne l’alerte.
Franck ferma les yeux et dodelina de la tête comme s’il cherchait à résoudre un problème insoluble.
Il reprit après quelques instants.
— Quel est le meilleur jour ?
— Le jeudi soir. Les agences commandent un max de fric pour charger les distributeurs de billets en vue du week-end.
— D’après l’épaisseur des pochettes, quelle est l’agence la mieux fournie ?
Alex fit une moue.
— Je ne sais pas, je dirais celle du square Montgomery.
Franck résuma la situation d’un ton neutre.
— Cinq à dix millions plus les valeurs. Jeudi soir. Square Montgomery.
Alex s’impatienta.
— Je ne sais pas ce que tu mijotes, mais je trouve que c’est risqué.
Franck se leva et se rendit à la fenêtre.
Une partie de tennis se déroulait sur l’un des courts. La nuit était presque tombée, mais les joueurs continuaient leur match dans la pénombre.
Il les discernait à peine, mais il percevait les éclats de voix et le bruit des balles qu’on frappe. Il en était de même tous les soirs depuis que la saison avait repris.
Sans se retourner, il mâchonna entre ses dents.
— Les passionnés n’abandonnent jamais.
Alex l’interpella.
— Qu’est-ce que tu dis ?
— Rien. Parle-moi de ton infirmière.
21
Une virée de milliardaire à Tokyo
Dès le lendemain, Franck se rendit à l’agence Montgomery pour effectuer les premiers repérages.
Sous prétexte de changer cent marks allemands, il entra dans la banque à l’heure de pointe et se rangea dans la file la plus longue pour avoir le temps de détailler les lieux.
Il nota la présence d’une caméra de surveillance dans le hall d’entrée, face aux distributeurs de billets, mais aucune dans la salle des guichets, ce qui recoupait les informations qu’Alex lui avait données. Ce dernier avait également précisé qu’une caméra contrôlait le bureau dans lequel se trouvait le coffre-fort.
Le soir même, il se gara à proximité de l’immeuble pour assister à l’arrivée du fourgon et observer le déroulement de la procédure.
Il se rendit compte qu’il avait sous-estimé la complexité de la tâche. Un riverain qui promenait son chien passa devant sa voiture en jetant de fréquents coups d’œil dans sa direction.
L’expression de son visage indiquait que la présence d’un homme seul assis dans un cabriolet Alfa Romeo à cette heure avancée de la soirée lui paraissait suspecte.
De plus, Franck se maudit d’avoir bu trois tasses de café pour se maintenir éveillé : sa vessie lui jouait des tours et il dut faire un rapide aller-retour dans les jardins du collège Saint-Michel pour se soulager.
Peu avant minuit, alors que le fourgon tardait à arriver, il vit apparaître une Golf GTI de la gendarmerie dans son rétroviseur. Les muscles tendus, le cœur battant, il bloqua sa respiration.
Le véhicule ralentit et s’arrêta à sa hauteur.
La chemise collée à la peau, il fit mine de se recoiffer dans le miroir de courtoisie, démarra et prit la direction du Cinquantenaire sous l’œil suspicieux des gendarmes.
Il rentra chez lui penaud, maudissant son manque de réalisme. Le lendemain, il téléphona à Alex et l’informa qu’il allait revoir sa copie et envisager une autre approche.
Trois jours plus tard, vers 23 heures, il déboula devant l’agence au volant d’une Ford Fiesta louée la veille à l’aéroport.
Il avait pris soin de mettre de fausses plaques minéralogiques et posé un carton sur la plage arrière. Dans celui-ci se trouvait un caméscope braqué sur l’entrée de la banque.
Vêtu d’un survêtement et chaussé d’une paire de tongs en caoutchouc, il sortit de la Fiesta et partit promener Wiménon, un jack russel qu’il avait adopté deux jours auparavant chez Veeweyde, la société protectrice des animaux.
Alex avait eu un mouvement de recul lorsqu’il avait découvert le chien.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Un chien.
— Qu’est-ce que tu vas faire avec ce clebs ?
Franck lui avait expliqué sa stratégie.
— La meilleure façon de passer inaperçu est de se fondre dans la masse.
— Et après ? Tu ne comptes pas le garder, j’espère ?
— Je l’offrirai à une petite amie, il y a des cadeaux qui ne se refusent pas. Peut-être que je le garderai. Je commence à m’attacher à lui.
Il fit plusieurs fois le tour du pâté de maisons. Personne ne lui prêta attention, pas même la patrouille de police qu’il croisa à deux reprises.
Il renouvela l’opération durant les jours qui suivirent et passa le dernier week-end de mai à visionner les vidéos pour préparer l’intervention.
Le jeudi 4 juin 1992, la veille du long week-end de la Pentecôte, le fourgon s’arrêta devant l’agence du square Montgomery à 23 h 41.
Alex sortit du véhicule muni de la mallette et pénétra dans l’agence. Alors qu’il venait de couper le système d’alarme, un homme cagoulé surgit derrière lui et posa le canon d’un pistolet dans sa nuque.
— Salut, Yougo.
Alex sursauta.
— Merde ! Je ne t’ai pas entendu arriver.
— C’est le but. Comment ça se présente ?
— Bien. L’enveloppe est énorme.
— Le chauffeur ?
— Normal. Il ne se doute de rien.
Ils se dirigèrent tous deux vers le bureau. Avant d’entrer dans la pièce, Franck désarma Alex et glissa le Smith & Wesson dans sa ceinture.
— Tu es prêt ?
— Oui.
— N’oublie pas qu’on est filmés.
Alex entra dans le bureau, le dos courbé, la tête rentrée dans les épaules, en panique sous la menace de l’arme. Avec des gestes fébriles, il ouvrit le coffre ainsi que la valise et remit l’ensemble des pochettes à son agresseur.
D’un mouvement de son arme, ce dernier le somma de laisser la valise ouverte et de ressortir avec lui.
De retour dans la salle des guichets, Franck menotta Alex à l’un des radiateurs.
— Je te file un petit coup de crosse sur la tronche ?
Alex grinça entre ses dents.
— Je te connais, tu vas me tuer.
D’un mouvement brusque, il lança sa tête contre le radiateur. Le bruit du choc résonna dans la pièce et le sang se mit à couler sur son front.
Il grimaça.
— On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Fous le camp, le timing est dépassé.
Dehors, le chauffeur commençait à s’impatienter.
Il s’apprêtait à aller aux nouvelles lorsqu’il vit un homme cagoulé sortir de l’agence, monter sur un vélo et se mettre à pédaler à toute allure. Il comprit que son collègue s’était fait dévaliser et lança l’alerte.
Franck parcourut les huit cents mètres qui le séparaient du parc du Cinquantenaire en un peu moins de cinq minutes.
Il démonta les roues du vélo et jeta le tout à l’arrière de la Ford qu’il avait garée à proximité du musée de l’Armée. Il démarra la voiture, remonta les boulevards, contourna le bois de la Cambre et emprunta la drève de Lorraine.
Un kilomètre plus loin, il gara la Fiesta dans le chemin qui longeait la conciergerie du château Wittouck. Muni d’une pelle, il partit à pied et prit la drève des Enfants Noyés, un sentier qui s’enfonçait dans la forêt.
Après une centaine de mètres, il alluma sa lampe de poche et examina le butin. Il le rangea ensuite dans un grand Tupperware qu’il enterra au pied d’un arbre.
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