Nous sommes partis lundi matin de Valtournenche pour rejoindre Courmayeur. Nous avons commencé la course à l’heure de mon rendez-vous avec Olga Simon. J’ai coupé mon téléphone et ne l’ai plus rallumé.
Après un ultime coup de piolet, j’arrive à sa hauteur.
La vue est époustouflante.
Le soleil se lève sur les aiguilles du Diable. Les premiers rayons font scintiller la neige.
Je ferme les yeux et grave cette image dans ma mémoire.
En quittant Bruxelles, j’ai fait une halte chez Bachir.
Dans la lettre qu’il m’avait adressée, Akim me demandait de remercier Leila. Elle avait réussi à gagner sa confiance. Il lui trouvait toutes les qualités. Il voulait également que je remette la deuxième lettre à son père et à son frère en précisant qu’ils devaient la lire ensemble.
Avant qu’Adil Bachir ne se lance dans un discours-fleuve, je lui ai demandé d’aller dans l’arrière-boutique et d’appeler Youssef. La femme était là, assise dans la pénombre. Adil et Youssef ont pris place. Ils ont posé la lettre sur la table et l’ont lue en silence.
Quand Adil a sorti son mouchoir pour s’essuyer les yeux, la femme s’est manifestée. Je ne comprenais rien à ce qu’elle disait, mais elle gémissait, se lamentait.
Après quelques minutes de ce manège, Adil s’est retourné et lui a lancé quelques mots d’une voix autoritaire. Elle s’est tue instantanément. À la tête de Youssef, j’ai compris qu’il venait de remporter une victoire.
Je rouvre les yeux.
— Merci, Luigi.
Je lui donne une tape sur l’épaule.
— Merci, Luigi.
— Ça va, tu l’as déjà dit. On n’est pas encore au sommet.
L’Androsace est à mes pieds, fidèle à ce que je sais d’elle, une liane fragile tendue entre deux précipices.
Il tend une main, indique la voie.
— Passe devant.
Il m’offre la primeur.
— D’accord.
J’enfonce un pied dans la neige et m’engage sur l’arête.
Luigi me guide.
— OK, c’est bien, avance, doucement.
De chaque côté, le vide vertigineux se perd dans la brume.
J’avance, pas après pas.
Vers le milieu du passage mythique, je marque l’arrêt.
Je contemple le ciel bleu sombre, les nuages rougeoyants, le soleil naissant, les sommets enneigés.
Luigi s’impatiente dans mon dos.
— Qu’est-ce que tu attends ?
Mes pensées filent vers Estelle.
Je revois nos années heureuses, notre complicité. Comme dans un fondu enchaîné, le visage d’Estelle s’estompe et celui de Leila apparaît. Elle me sourit, ses yeux pétillent. Elle s’approche, me frôle, s’enroule autour de moi. Je ferme les yeux. Mes mains cherchent son corps.
J’inspire profondément et bloque l’air dans mes poumons.
D’un geste lent, j’ouvre le mousqueton et libère la corde.
Luigi hurle dans mon dos.
— Jean, qu’est-ce que tu fais ? Jean !
Une partie de ce roman a été rédigée dans un parloir de la prison d’Ittre, lors de mes visites hebdomadaires à François Troukens. Une autre, pendant un procès d’assises au Palais de Justice de Nivelles ou dans le bureau encombré de dossiers de Pierre Monville.
Il me tient à cœur de remercier ces deux personnages hors normes pour leur apport inestimable à ce titre, même si j’ai de temps à autre fait la sourde oreille à leurs prescriptions pour privilégier la trame romanesque de l’histoire.
Pierre Monville est avocat, inscrit au Barreau de Bruxelles depuis 1990. Il est Maître de conférences, assistant en droit pénal à l’université de Liège et auteur de très nombreuses publications sur le droit pénal.
Il m’a permis de mieux comprendre le fonctionnement (et les dysfonctionnements) de la justice belge et de me frayer un chemin dans le labyrinthe inextricable des procédures.
Grand amateur d’alpinisme, il m’a en outre fait profiter de son expérience des hauts sommets. Pierre est également connu pour son sens de l’humour et son impressionnante collection de couvre-chefs.
François Troukens a été braqueur de haut vol. À l’époque, la presse belge l’a qualifié d’ennemi public numéro 1. Après neuf années de prison durant lesquelles il a décroché deux diplômes universitaires, il est aujourd’hui auteur, cinéaste, chroniqueur, écrivain, réalisateur et scénariste.
Fin 2013, il a vu sa libération conditionnelle révoquée pour avoir rencontré Joey Starr dans le cadre de son projet de cinéma. En effet, une clause lui interdisait de fréquenter d’anciens détenus et le comédien avait fait de la prison.
C’est au long de ces sept mois de détention qu’il m’a guidé dans les arcanes du grand banditisme et de l’univers carcéral.
Durant la rédaction de ce roman, Pierre et François sont devenus amis.
Et les miens par la même occasion.