Franck comprit que ce n’était pas lui qu’ils cherchaient, mais qu’il venait d’être identifié. Il bouscula le policier et se mit à courir à toutes jambes.
Dans son dos, il entendit crier son nom et appeler des renforts.
Après un sprint de deux cents mètres, il déboucha rue Bayard et se mêla à un groupe qui stationnait devant la porte de l’immeuble de RTL.
Des sirènes hurlaient de tous côtés. Franck comprit que le quartier allait être bouclé et qu’il avait perdu la partie.
Il se fraya un passage dans la foule, trompa les gardiens et monta quatre à quatre les marches de l’escalier qui menait à l’étage de la rédaction. Il fit irruption dans une vaste salle occupée par une dizaine de bureaux et s’adressa aux journalistes.
— Je suis Franck Jammet, les flics sont derrière moi, je ne suis pas armé.
Il ôta sa veste pour prouver sa bonne foi.
L’un des journalistes approcha.
— On reste avec vous, vous ne risquez rien.
Plusieurs policiers de l’OCRB épaulés par des hommes du RAID investirent l’immeuble. Un quart d’heure plus tard, ils firent irruption dans le bureau. Deux des journalistes qui entouraient Franck allèrent au-devant d’eux et parlementèrent pendant quelques instants avant de lui adresser un signe d’apaisement.
Franck leva les mains et s’avança.
Le soir même, il fut placé sous mandat d’arrêt et incarcéré à la prison de la Santé.
Le 4 février 2009, il fut condamné à cinq ans de détention pour le braquage du fourgon à Marseille.
Durant sa détention, Christine Ferjac vint lui rendre visite plusieurs fois, mais il la dissuada de rédiger un article dénonçant l’erreur judiciaire dont il était victime.
Il fut libéré le 21 mars 2012, le jour de l’arrivée du printemps.
73
Nous revoir très bientôt
Cléopâtre m’a reconnu. Elle se met à hurler dès mon entrée dans le bureau.
Olga Simon lance un coup d’œil à sa perruche et remue la tête.
— Qui voilà ? Bonsoir, maître. J’ai cru que vous ne viendriez plus.
— Veuillez m’excuser, l’audience s’est terminée plus tard que prévu.
Comme je m’y attendais, elle n’est pas seule.
Un homme d’une quarantaine d’années est assis en face d’elle. Visage émacié, cheveux taillés en brosse, allure décontractée, il sent le flic à plein nez.
Olga Simon fait les présentations.
— Je vous présente le commissaire Jacques Labbé.
L’homme se lève et me tend la main.
La juge entame les mondanités sans prendre le temps de m’expliquer les raisons de sa présence.
— Comment se passe votre procès ?
— On est dans les temps. Cet après-midi a eu lieu l’audition des psychiatres et des psychologues. Demain, c’est la fin de l’instruction et le début des débats sur la culpabilité.
Par chance, elle ne m’a pas demandé comment s’était passé mon week-end. J’aurais éprouvé des difficultés à lui dire qu’il avait été idyllique.
J’ai tourné en rond dans l’appartement en consultant ma montre toutes les deux minutes. Dimanche matin, je n’ai pas osé me montrer à la salle d’escalade et l’après-midi a été l’une des plus cafardeuses de ma vie.
Plus d’une fois, j’ai failli téléphoner à Leila, mais je me suis ravisé.
— Tant mieux. Ces procès sont longs et fatigants. Le commissaire Labbé et moi-même avons quelques questions à vous poser.
Mon estomac se noue.
— Je suis là pour y répondre.
Labbé amorce les débats.
— Comme vous le savez, M. Akim Bachir s’est évadé vendredi, lors de son transfert de la clinique Saint-Pierre vers la prison de Saint-Gilles.
Simon termine la phrase.
— Le fourgon qui le transportait a été attaqué par trois individus.
Je reste calme, en apparence du moins.
— J’ai appris ça.
Tous deux hochent la tête.
Le policier reprend.
— Le mode opératoire qui a été utilisé est le même que lors de l’évasion d’Alex Grozdanovic, en 1999.
Je grimace.
— Il y a quatorze ans de cela, pourquoi revenez-vous sur cette affaire-là en particulier ? Il y a eu un tas d’évasions similaires depuis.
Olga Simon prend la relève.
— Parce que Akim Bachir et Alex Grozdanovic se sont connus à Andenne en 2008. Il semble d’ailleurs que Bachir ait aidé Grozdanovic à s’évader en 2010.
Je feins l’ignorance.
— Vous me l’apprenez.
Labbé intervient.
— Vous ne le saviez pas ?
— Non. Monsieur Bachir n’est mon client que depuis cette année.
— Et Grozdanovic ?
— Il n’a jamais été mon client.
Il recule sur sa chaise et échange un regard qui en dit long avec Simon. J’en conclus que je viens de commettre une erreur.
Elle reprend le flambeau.
— Dans ce cas, pourquoi êtes-vous allé à ses funérailles ?
J’encaisse sans broncher et réfléchis à toute vitesse.
— Je comptais y voir l’un de mes clients.
— Qui ça ?
— Je ne suis pas tenu de répondre à cette question.
Elle ne se démonte pas.
— Franck Jammet ?
— Je ne connais pas Franck Jammet.
J’ai répondu trop vite, j’en ai peur.
Cela dit, ils ne peuvent pas être au courant. Je ne l’ai rencontré qu’une fois, en France qui plus est.
Tous deux échangent un regard entendu.
Olga Simon prend un document sur son bureau et le retourne vers moi.
— Regardez ce que nos amis français nous ont fait parvenir.
La photo est prise au téléobjectif. Je reconnais le décor au premier coup d’œil. Je suis assis dans le restaurant lyonnais, au sommet du Crayon. Franck Jammet me fait face. Nous sommes en grande conversation.
Ma voix flanche quelque peu.
— Je suis avocat, je n’ai pas de comptes à rendre sur mes clients.
Elle me fustige du regard.
— Je connais l’article 458 par cœur. Je vous informe qu’il s’applique, je cite, « hors le cas où vous êtes appelé à rendre témoignage en justice ou devant une commission d’enquête parlementaire ».
— Vous m’avez parlé de questions de routine concernant l’évasion d’Akim Bachir. Je ne vois pas le rapport qu’il y a avec Alex Grozdanovic et Franck Jammet.
Simon fait signe à Labbé, qui embraie aussitôt.
— Nous nous sommes penchés sur le cas Bachir. Ce gamin n’est pas ce que j’appellerais une figure marquante du grand banditisme. Ses anciens complices sont des petits voyous, pas des caïds qui se trimballent avec des Kalachnikovs et des lance-roquettes. Qui s’intéresse à lui au point de vouloir le tuer en prison et de le faire évader ? Le 25 février, vous êtes venu voir madame la juge et vous avez demandé son transfert. Vous avez parlé de menaces. Qui le menaçait ?
— Il m’a dit qu’il se sentait menacé, sans me donner de détails ni de noms.
Olga m’apostrophe avec cynisme.
— L’article 458, c’est ça ?
Labbé continue son travail de sape.
— Ceux qui ont voulu le tuer l’ont raté. Par contre, ceux qui l’ont fait sortir ne voulaient pas l’éliminer, sinon ils l’auraient exécuté sur place.
— Sans doute. Je n’ai aucune information sur son évasion. Je l’ai vu la veille et il ne m’a parlé de rien.
Il acquiesce pour la forme.
— Bien sûr. Nous sommes allés plus loin. Selon un témoin, Bachir et Grozdanovic se sont revus il y a peu. Le 18 février, Grozdanovic participe au casse de Zaventem et est éliminé quelques heures après. Le lendemain matin, Bachir braque un bureau de poste. Dans les romans policiers, on appelle ça de troublantes coïncidences .
— Je ne vois aucun rapport entre les deux événements.
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