Je pourrais attendre d’avoir retrouvé mon calme, réfléchir, respirer, laisser mon cœur reprendre son rythme normal, gagner du temps.
Je ne ferais que tricher avec moi-même.
Je compose le numéro de Franck Jammet, la mort dans l’âme.
Le crime aurait été parfait si Lazar, un des hommes que Franck avait choisi dans l’équipe de Pépé, ne s’était arrêté sur le bord de l’autoroute pour se débarrasser de deux sacs-poubelles dans un sous-bois.
De même, son erreur aurait pu passer inaperçue si le propriétaire du terrain ne faisait quotidiennement le tour de ses terres.
Le lundi 17 février, en fin de matinée, alors que les médias ne parlaient que du casse d’Anvers, l’homme découvrit deux sacs à ordures sur son domaine de chasse.
Ceux-ci contenaient des déchets électroniques, des gants en latex, des outils, un rouleau de ruban adhésif, des sachets d’emballage de sandwiches et une dizaine de petits carrés de papier frappés au logo du Diamond Center.
Il fit le lien avec les événements du week-end et prévint la police qui débarqua sur-le-champ.
Alors que les enquêteurs pensaient avoir affaire à des professionnels qui n’avaient laissé aucun indice, ils identifièrent en moins de vingt-quatre heures trois des six personnes dont ils avaient prélevé les empreintes et l’ADN dans les détritus.
Parmi eux, deux hommes avaient déjà écopé de peines de prison : Alex Grozdanovic et Laurent Nagels. Le premier était en cavale depuis son évasion de Jamioulx en 1999, le second avait disparu à sa sortie de prison, en avril 2001.
Le troisième homme était la plus belle prise. Il était parvenu à passer entre les mailles du filet à plusieurs reprises, mais cette fois, son implication ne faisait aucun doute.
Le mardi 18 février, à 5 heures du matin, deux sections des Unités spéciales, soit une douzaine d’hommes, débarquèrent au domicile de Franck Jammet, à Rhode-Saint-Genèse.
Ils tombèrent sur sa compagne, très choquée par leur intervention, qui déclara que son conjoint était parti skier en Italie avec des amis.
Pour ménager l’effet de surprise, la police n’avait rien divulgué à la presse, mais l’information avait filtré au sein du Diamond Center.
Lundi, en fin d’après-midi, Finkel avait appelé Franck en bégayant sous l’effet de l’émotion.
— Les flics savent. Ils ont trois noms, mais je ne sais pas lesquels.
Franck avait gardé son calme.
— Je préviens les autres. Toi, ne bouge pas, tu ne risques rien. S’ils t’avaient identifié, ils t’auraient déjà chopé.
Laurent était à Paris, Alex se trouvait à Bruxelles. Il lui fixa rendez-vous à l’entrée de l’autoroute de Paris.
— Si je ne suis pas là dans une heure, file sans moi, on se retrouvera à Paris. Dis à Pépé qu’il parte avec Roman et Lazar.
— On n’a pas de temps à perdre, qu’est-ce que tu comptes faire pendant une heure ?
— Je passe chez moi.
— Tu es dingue. Ils t’attendent peut-être.
— On verra.
Il était passé plusieurs fois devant sa maison pour s’assurer que la voie était libre. Il était ensuite entré en coup de vent pour embrasser son fils et expliquer à Julie ce qui se passait.
Elle accusa le coup et eut une réaction qui força son admiration.
— Laisse-toi pousser la barbe et change de coupe de cheveux. Quand les choses se seront tassées, je viendrai à Paris. Maintenant, file !
Arrivé à Paris, il s’installa chez Alex avec Laurent.
Quelques jours plus tard, ils apprirent par la presse de quelle manière ils avaient été démasqués. Les quotidiens précisaient qu’un mandat d’arrêt international avait été lancé contre eux.
Franck prit contact avec Pépé.
— Lazar a merdé.
Pépé était furieux.
— Je sais. Qu’est-ce que je fais ? Comme acompte, je lui ai pété une rotule.
— Tu en restes là, tu connais la règle.
Franck, Alex et Laurent examinèrent la nouvelle donne. Leurs têtes mises à prix, il était préférable qu’ils se séparent. Laurent opta pour l’Afrique du Sud. Franck s’apprêtait à le suivre quand Alex s’interposa.
— J’ai une proposition à te faire. Tu restes à Paris. Je connais une nana à Barcelone. Elle est folle de moi, je vais la rejoindre. Dans quelque temps, tu pourras faire venir Julie et Antoine.
Franck prit Alex dans ses bras et le serra contre sa poitrine.
— Tu es un frère.
Dès ce jour, Franck entama une nouvelle vie. Une vie faite de solitude, de dissimulation et de vigilance, mais aussi nourrie de méditation, d’optimisme et de liberté. Une vie où chaque jour se savourait comme si c’était le dernier.
Petit à petit, il s’adapta à la situation.
Il suivit les conseils de Julie et changea de look. En plus de la barbe, il se laissa pousser les cheveux et s’acheta plusieurs paires de lunettes. Grâce aux contacts d’Alex, il se fit faire de nouveaux papiers et choisit de s’appeler Laurent Guillaume, un nom tellement passe-partout que personne ne le retiendrait.
Pour occuper son temps, il s’acheta un piano électronique, un instrument modeste qui lui permettait de jouer en toute discrétion, sa passion pour le piano étant connue de la police.
Quand il ne revisitait pas le répertoire classique, il se promenait dans la ville, respirait, allait au cinéma, passait ses soirées au théâtre, visitait les expositions, profitait de chaque instant.
Par mesure de précaution, il ne prenait jamais ses repas dans le même restaurant et évitait de nouer des conversations, même anodines, avec les autres clients.
Trois fois par semaine, il téléphonait à Julie.
Ils prenaient soin de changer de carte prépayée après chaque appel. Il terminait en échangeant quelques mots avec Antoine.
Par prudence, ils attendirent le mois de juin pour se retrouver. Julie prit la route un samedi matin et multiplia les précautions pour s’assurer qu’elle n’était pas suivie.
Leurs retrouvailles leur rappelèrent leur première rencontre et leur coup de foudre. Rongés d’impatience, ils durent malgré tout attendre qu’Antoine s’endorme pour faire l’amour.
Ils passèrent trois jours idylliques dans un Paris éclaboussé de soleil.
La séparation fut pénible, surtout pour Antoine qui ne comprenait pas la situation. La perspective de leur prochaine rencontre adoucit l’épreuve.
En juillet, Julie et Antoine descendirent à Oppède-le-Vieux.
Trois semaines plus tard, après avoir guetté chaque recoin du village, elle donna le feu vert à Franck. Il était possible que la police française connaisse leur maison, mais ils avaient autre chose à faire que de guetter les allées et venues vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Franck vint la rejoindre. Ils passèrent deux semaines comme une famille normale, à cuisiner, lire, et jouer avec leur fils.
Un soir, Antoine se mit au piano. Au lieu de frapper le clavier du poing comme il l’avait fait à maintes reprises, il appuya sur une touche et tendit l’oreille.
Plusieurs fois d’affilée, il rejoua la même note, en exerçant une pression différente.
Il choisit ensuite une deuxième note et renouvela le scénario, passant du pianissimo au forte .
En septembre, Franck prit contact avec Pépé. Il n’avait toujours pas touché la première partie de l’argent que lui devait Finkel et commençait à s’impatienter.
Pépé soupira.
— Je sais, je suis dans le même cas. Il m’a dit qu’il avait du mal à fourguer les cailloux, mais je crois surtout qu’il panique. Je vais lui tirer les oreilles. Tu auras ton fric, je te le promets.
Fin septembre, l’argent arriva.
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