Le goût de la défaite.
Le dimanche 10 mars 2013, la police fédérale fit deux découvertes majeures dans le cadre de l’enquête sur le casse de Zaventem.
En fin de matinée, deux adolescents qui se promenaient à vélo dans les sentiers du Hellebos tombèrent sur la carcasse calcinée d’une voiture. Le véhicule était dissimulé dans la cour intérieure d’un manège laissé à l’abandon, à l’entrée du village de Perk, à un kilomètre à vol d’oiseau de la tour de contrôle de l’aéroport et à moins de trois cents mètres d’un poste de police.
Dépêchés sur place, les enquêteurs constatèrent que le véhicule était l’Audi S8 qui avait servi lors de l’attaque du 18 février.
Ils relevèrent de nombreuses traces de pneus imprimées dans la terre de la cour, ce qui indiquait que plusieurs véhicules s’étaient rendus à cet endroit peu accessible.
Ils en déduisirent que la cour du manège avait servi de point de chute aux braqueurs après le casse. Sa situation isolée et sa proximité avec l’aéroport en faisaient un emplacement idéal.
D’après eux, les malfrats avaient mis le feu à l’Audi avant de repartir avec trois autres véhicules dont le Mercedes Vito qui avait été retrouvé incendié à Tubize le 26 février.
Dans l’après-midi, à cinquante kilomètres de là, une équipe de la police judiciaire força la porte d’un hangar situé près du barrage de Ronquières.
Ils y trouvèrent une BMW 730 qui avait été volée le 16 février à Bruxelles et une Ford S Max immatriculée au nom du propriétaire du hangar, un homme suspecté de faire partie de la bande à Huzo Grozdanovic, dit Pépé, auteur de nombreux braquages et père d’Alex Grozdanovic.
Dans le coffre de la S Max, ils trouvèrent un lot de fausses plaques d’immatriculation, des gyrophares, des cagoules, des gants et des gilets pare-balles.
Dans une autre partie du hangar, ils mirent la main sur un véritable arsenal : des fusils d’assaut Kalachnikov, des fusils à pompe, des pistolets-mitrailleurs, des grenades à plâtre, de nombreuses munitions et deux kilos de semtex.
Ils remarquèrent que les parois du hangar étaient constellées d’impacts de balles. Des traces de sang sur le sol témoignaient d’un échange de tir nourri.
Le hangar se trouvait à quelques centaines de mètres de l’endroit où l’on avait retrouvé les deux corps dans la camionnette Mercedes. Les enquêteurs en déduisirent que les deux hommes avaient été tués dans l’entrepôt avant d’être transportés à Tubize.
Une équipe de la police judiciaire se rendit au domicile du propriétaire dans la soirée. Ils n’y trouvèrent que le cadavre d’un chat.
Le lundi 17 février 2003, la presse rivalisa de superlatifs pour annoncer le casse qui s’était produit au Diamond Center d’Anvers dans la nuit du 15 au 16.
Si quelques titres mirent l’accent sur l’habileté dont les auteurs avaient fait preuve, la plupart se focalisèrent sur le butin astronomique, qui dépassait les cent millions d’euros.
Franck n’avait pas choisi cette date sans raison. Après une année de préparation, il aurait pu lancer l’opération dès le mois de janvier. Malgré l’insistance d’Alex et de Pépé, il avait refusé de précipiter les choses.
À intervalles réguliers, il avait dû leur rappeler qu’il n’avait accepté de sortir de sa retraite que s’il pouvait monter le coup de A à Z.
Le vendredi 14, il avait réuni l’équipe dans l’appartement de Léonard Finkel, le contact de Pépé, l’homme qui louait un bureau au Diamond Center.
— Demain, Kim Clijsters et Justine Henin, les deux meilleures joueuses belges de tennis, s’affrontent en demi-finale d’un tournoi au Sportpaleis. Tout Anvers fera le déplacement ou passera la soirée devant la télé. La ville sera déserte. Nous lancerons l’opération à 22 heures.
Les membres de l’équipe poussèrent un soupir de soulagement.
En plus de Laurent, Alex et Pépé, Franck avait engagé Lazar et son frère Roman, deux hommes qu’il avait choisis dans le vivier de Pépé, ceux qui lui paraissaient les moins fébriles et les plus débrouillards.
Six mois avaient été nécessaires à Franck pour trouver le maillon faible du dispositif. Il avait étudié les matières qui touchaient de près ou de loin aux systèmes de détection, aux alarmes en tout genre et à la fabrication des coffres-forts.
Il en avait conclu que chaque système, même le plus sophistiqué, comporte ses failles et que les moyens de les exploiter sont souvent d’une telle simplicité que personne ne les envisage.
Malgré les problèmes techniques auxquels il fut plus d’une fois confronté, il n’avait pas fait appel à Julie. Après avoir posé ses conditions à Alex et Laurent, en janvier 2002, il l’avait informée qu’il montait un coup avec eux.
Elle le connaissait suffisamment pour savoir qu’il était inutile de tenter de l’en dissuader. Elle avait accueilli la nouvelle avec flegme, ne lui avait posé aucune question et ne lui avait fait ni scène ni reproche.
Après quelques jours de froid, elle était revenue sur le sujet.
— Fais comme tu veux. Je ne te demande qu’une seule chose, sois prudent.
Le samedi 15 février, peu avant 22 heures, Franck et son équipe se regroupèrent dans l’entrée du parking du Diamond Center, situé dans une rue adjacente.
Quelques semaines auparavant, Franck était entré dans le parking, caché dans la voiture de Finkel. Il s’était laissé enfermer et avait passé la nuit à analyser le système d’ouverture du volet métallique. En identifiant les fréquences utilisées, il avait réussi à confectionner une télécommande qui permettait d’actionner le portail à distance.
Les hommes se faufilèrent dans le parking, à l’exception de Lazar, chargé de monter la garde. Ils forcèrent une porte et parcoururent le sous-sol en direction de la salle des coffres.
La veille, peu avant la fermeture, Léonard Finkel avait suivi à la lettre les instructions de Franck et était descendu pour utiliser son coffre. Dans le hall qui menait à la chambre forte, il avait neutralisé le détecteur de chaleur en l’aspergeant de vaseline et posé un morceau de ruban adhésif sur le détecteur de lumière.
Ces deux premières alarmes étant hors d’état de nuire, ils allumèrent leurs torches pour localiser le détecteur de mouvement. Laurent s’était longuement entraîné à désamorcer ce type d’appareil.
Il s’agenouilla et se mit à ramper sur le sol, centimètre par centimètre.
Les autres le regardèrent progresser en retenant leur respiration. Parvenu au pied de l’appareil, il se redressa avec une lenteur majestueuse et posa une boîte en polystyrène sur le capteur.
Aucune alarme ne se déclencha.
Il fit un geste de la main, puis un deuxième. Voyant qu’il avait réussi, il se mit à danser dans le hall en fixant les caméras.
Franck soupira.
— C’est bon, Laurent, calme-toi, on est loin du compte.
Pépé et Roman s’attaquèrent à l’obstacle suivant, les contacts magnétiques fixés sur la porte. Ils les fixèrent à l’aide d’une patte métallique pour que les deux parties restent solidaires. La manœuvre terminée, ils dévissèrent l’ensemble. La manipulation leur prit moins de dix minutes.
Franck et Alex partirent à la recherche de la clé. Finkel avait remarqué que les gardiens la mettaient dans un coffret fixé au mur, dans un local attenant.
La serrure céda à la première sollicitation.
Alex transpirait à grosses gouttes.
— C’est trop facile, le ciel va nous tomber sur la tête.
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